Germaine
Germaine Finaud se pointa à quinze heures trente pétante devant l’appartement numéro 22 de l’immeuble cossu du 38 rue Lamartine, Paris 16ème, comme tous les vendredis.
Elle sonna à plusieurs reprises en attendant sagement, arquée sur les deux poteaux lui servant de jambes, devant la porte blindée, que la belle jeune fille russe, Ludwina Povlov, vienne lui répondre.
Mais, elle ne vint pas et Germaine en conclut que soit elle n’était pas là, soit elle était encore complètement bourrée comme cela arrivait souvent, de toute façon, deux hypothèses étaient le maximum qu’elle pouvait contenir dans sa boite crânienne.
Finalement, elle sortit de sa musette une clé de haute sécurité qu’elle introduisit dans la serrure tout en se remémorant son code personnel à six chiffres pour la centrale d’alarme.
Son cœur s’accéléra car elle n’avait que vingt secondes une fois dans la place pour la désactiver avant que les sirènes ne rameutent le voisinage.
Elle poussa la lourde, dans tous les sens du terme, et automatiquement le plafonnier de l’entrée de l’appartement s’alluma. Germaine pénétra dans le saint des saint mais une odeur violente décalqua ses narines, lui coupant le peu de souffle qu’elle avait par nature. La panique la gagnant, elle referma la porte blindée et entra son code sur le boîtier de l’alarme, les doigts légèrement tremblants.
Elle localisa un autre boîtier à droite de la centrale et appuya derechef sur le bouton marqué “ALL OPEN”. Son niveau d’anglais étant celui d’un gamin de six mois sourd, aveugle et muet, elle ne tenta pas de se lancer dans le déchiffrement de ce langage outre-atlantique. Ludwina lui avait expliqué à quoi servait les boutons et elle avait réussi à en mémoriser le quart du dixième et cela lui suffisait.
Le bouton enfoncé, l’ensemble des volets aux lames d’acier anti-effraction regagnèrent lentement leurs caissons respectifs et la lumière du soleil commença à se répandre dans l’appartement.
Germaine se précipita dans la cuisine toujours en apnée pensant y trouver un bordel pas possible suite à quelques nuits de beuverie et des restes de pizza collés au plafond mais au premier abord elle semblait nickel. Ce qui l’intrigua. Les volets continuaient leur lente et silencieuse ascension et le soleil se déversait dans la pièce.
Germaine se rua à la vitesse d’un escargot poussif vers la fenêtre triple vitrage et pare-balle de la cuisine et l’ouvrit en grand. L’odeur était encore pire que celle de son Jules, chauffeur de bus, quand il rentrait du boulot et enlevait ses pompes. Même le chien, Polo, se barrait dans le jardin pour se purger les sinus, les cosinus et même l'anus en cas de besoin.
Elle vérifia la poubelle, le vide-ordure et moufla le siphon de l’évier mais la puanteur ne venait pas de là. Elle reprit une nouvelle goulée d’air pur à la fenêtre avant de poursuivre son investigation et se dirigea vers la salle-à-manger attenante à la cuisine américaine. Il y avait bien un peu de désordre mais bien moins que d’habitude et Germaine qui commençait déjà à suffoquer arriva dans le salon où elle ouvrit en grand les trois fenêtres. Puis, se retournant, elle fit face à l’un des canapé et poussa un cri perçant à foutre un arrêt cardiaque à un mal-entendant; à côté, la sirène d’un cargo prenant le large était une douce musique.
Prise de panique, elle détala comme un lapin atteint de paralysie du train-arrière et enfonça dans un élan olympique le bouton “Alert” sans “e” de la centrale d'alarme mais pour elle ce n’était qu’une simple faute d’orthographe.
Aussitôt, les volets entamèrent leur descente à vitesse grand V, les sirènes hurlèrent et l’éclairage de toutes les pièces se mit à clignoter comme les fusées du feu d’artifice du 14 juillet.
Germaine sortit de l’appartement et, arrivée sur le palier, se raccrocha à la rampe prête à renvoyer son bol de café au lait, ses tartines de pain beurrées et le bout de gâteau de l’avant-veille restait au fond du frigo.
Certains voisins, apeurés par l’alarme, enfermés chez eux à double tours en firent un troisième par acquit de conscience tandis que d’autres, au mépris du danger, sortirent de leur tanière par curiosité.
Un homme d’un soixante d’années, en robe de chambre malgré l’heure avancée de la journée, s’approcha de Germaine. Celle-ci, dont les poteaux branlants ne supportaient plus le poids, s’était assise sur les marches de l’escalier, la larme à l’œil et le nez coulant.
- Qu’est-ce qui se passe, questionna l’individu souffrant visiblement d’anosmie car la puanteur se répandait dans la cage d’escalier par la porte de l’appartement restée grande ouverte.
- La de…la demoiselle…elle est morte, couina Germaine entre deux sanglots.
- Hein ! Compléta le voisin qui à part l’anosmie souffrait aussi de surdité.
Deux neurones de son cerveau se touchèrent et dans un élan de compréhension soudain et fugace, il sortit un mouchoir propre de l’une des poches de son peignoir et se couvrit ses entrées d’air.
- Faut appeler la police, souffla-t-il à travers son carreau d’étoffe précieuse.
Germaine le regarda comme elle regarde son chien quand il lève la patte sur le pied de son bahut. Elle s’abstint de lui répondre et sortit elle aussi son mouchoir jetable qu’elle utilisait déjà depuis une semaine. Elle finit par trouver un endroit encore satisfaisant pour y déposer les résidus de ses muqueuses encombrées.
L’homme qui n’avait pas fait l’ENA pour rien, insista.
- Vous avez appelé la police ?
Cette fois Germaine, ayant fini de purger ses orifices respiratoires, tourna vers lui un visage bouffi.
- J’ai enclenché l’alarme, ducon pensa-t-elle sans le dire. La sécurité va arriver, les flics aussi, le GIGN, le raid et l’armée et, s’il est pas trop occupé avec des enfants, le pape aussi.
Le soixantenaire, un brin désarçonné par la réplique et cherchant à reprendre sa respiration descendit quelques marches afin de trouver un air plus respirable. Mais l’odeur devenant encore plus insupportable, il finit par respirer au travers d’un pan de sa robe de chambre dévoilant ses jambes nues jusqu’au genou. Germaine espéra, ou pas ! qu’il aille plus haut. Faut dire que son mari n’était pas le sosie de Brad Pitt mais son opposé. Déjà qu’à Halloween, il terrifiait les enfants quand les bouts de chou s’apercevaient qu’il n’avait pas de masque.
Deux hommes, la trentaine et du genre plutôt viril, débarquèrent après avoir monté les marches quatre-à-quatre. Germaine reconnu le logo de l’alarme sur leur tenue et tenta de se relever mais n'y parvint pas.
- Elle est morte, se lamenta-t-elle. La demoiselle, précisa-t-elle à toute fin utile, des fois qu’ils auraient pas bien compris, les gus de la sécurité.
Les deux hommes pénétrèrent dans l’appartement et, quelques secondes après, les sirènes se turent, les volets se rouvrirent et l’éclairage s’éteignit.
Puis, ils revinrent sur le palier en refermant la porte blindée de l’appartement derrière eux.
D’un coup, ils avaient pâli et cherchaient eux aussi à reprendre leur souffle.
- Vous êtes Germaine, la femme de ménage ?
- Oui…répondit-elle à l'individu qui avait passé son CAP d'inspecteur de police par correspondance un soir d'hiver où il devait s'emmerder.
- C’est vous qui l’avez trouvé comme ça ?
- Oui…
- Et vous avez enclenché l’alerte ?
- Oui…
La pauvre ne savait pas quoi dire d’autre. Pourtant, d’ordinaire elle avait la blablateuse bien pendue.
L’un des deux hommes attrapa son portable et appela les pompiers, la police et ses supérieurs. Puis, ils prirent place eux aussi sur les marches de l’escalier. Il n’y avait plus qu’a attendre que tout ce petit monde déboule et que la chienlit commence.
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