Chapitre 4
eUn vélo était appuyé sur la muraille d’une église abandonnée.
Le vent soufflait par le vantail de la lourde porte. Les feuilles mortes voletaient au travers de la nef comme les plumes dans une bataille d’oreillers. Du transept, les statues fixaient le visiteur de leurs yeux sans pupille. Une clarté colorée filtrait au-dessus de la tête, trop haut pour éclairer convenablement l'endroit. Une immense toile sombre illustrait un récit pieux et épique. Une armure vide hébergeait quelques araignées. Et puis, dans le chœur, c'était le contraste : une lumière jaune et chaude tombait du ciel, lourde, pompeuse. Elle était complétée de nombreux lampadaires. Le laiton brillait comme dans un show steampunk. Mort habite ici. C’est une église abandonnée en 1537, après la disparition du village. Ni guerre, ni famine, ni pestilence ne l’avaient pourtant ravagé. Rien. Il avait simplement disparu du jour au lendemain, dans une procession macabre de cercueils enterrés à la hâte. Mort les fleurissait tous les mois. L’église lui avait bien plu, elle cherchait un logement pour son cheval à l’époque. Elle avait acheté le bâtiment en viager au curé. Il était arrivé un accident fâcheux, à lui et ses ouailles. Une affaire. Mais du coup, elle avait fait le boulot toute seule.
Elle vomit. Ca et puis la chiasse, franchement, c’est pas une sinécure. Et la bouffe la dégoûtait. Elle ne nourrissait plus que de pain azyme. Ouais, des hosties. Et son humeur pouvait passer du meilleur au pire en trois secondes. Elle s’était déjà embrouillée avec Icel, ce qui n’avait dû arriver qu’une fois, à propos d’un nécromant de Judée qui ressuscitait à tour de bras.
Bref, la grossesse, elle en était persuadée, était l’œuvre commune de ses trois compères.
Elle enfourcha son vélo. Elle démarra, tourna au coin de l’église et s’arrêta immédiatement devant l’hôpital de l’union médicale de Pékin. « Tu es arrivée avant ton GPS », remarqua Pestilence. « Les entités surnaturelles ne sont pas soumises à la limite de la vitesse de la lumière. », répondit la petite vieille, ensevelie dans un immense châle vert, rouge et marronnasse. « On a quoi aujourd’hui ?
- Mon premier cas de rougeole depuis la naissance d’un foyer antivax ici.
- Je ne sais pas comment tu fais. Les mecs ont la solution, ils l’ont même rendue obligatoire, ils se sont débarrassés de la maladie, je me souviens qu’en 1993 tu l’avais mauvaise…
- Oui, c’était pas une époque reluisante. Je m’étais fait pincer avec Perséphone, le patron… Icel... l’avait mauvaise, tu te souviens ? Je ne m’amusais plus trop au taf. J’étais sur d’autres projets, aussi. Tu te rappelles de la naissance de Pollution ? Un moment formidable. Je n’avais pas la tête à ça. Ils en ont profité. Mais regarde ! Le vieux Pestilence est au top de sa forme !
- Je suis sidérée. Que tu arrives à les convaincre à se refiler cette saloperie quand même est impressionnant. Excuse-moi, j’ai les dents du fond qui baignent. Assez littéralement. »
Mort déposa une galette -au beurre - au pied du mur du bâtiment. Les deux mains appuyées sur la paroi, elle reprenait son souffle, haletante. Un passant l’interpella : « Ça va, madame ? Je peux vous conduire à l’intérieur, si vous voulez ?
- D’où tu me vois, péquenot ? »
Oui. Il est déjà rare de voir la Mort arriver, alors la voir gerber relève de l’exception notable. Mais le quidam ne se démonta pas : « Oh, félicitations madame. Le premier trimestre, c’est difficile, hein ? »
La Mort l’ignora. Pestilence avait un sourire narquois. Il ôta sa casquette délavée pour se passer la main dans ses rares cheveux gras et filasses : « Mais c’est qu’on ferait des cachotteries à ses petits camarades, ma mignonne ?
- On n’annonce pas une grossesse au premier trimestre. Ça porte malheur. »
Fatima revenait du rayon spécialisé d’un magasin de vêtements de l’immense centre commercial. La ventilation faisait disparaître l’odeur de renfermé de cette sordide place, et les néons tentaient de remplacer, jusqu’à l’excès, le soleil disparu derrière les murs de tôle. Être commerçant dans ce genre d’endroit, c’est essayer de rendre sexy ce qui n’est, au final, qu’un entrepôt mal isolé. Mais Fatima n’était pas dans cette sorte de considération. Elle rayonnait d’elle-même depuis des semaines et des semaines. Elle était aux petits soins pour Élodie, qui se vidait présentement dans les toilettes publiques. « Tu t’en sors mon cœur ? , s’inquiétait Fatima. « T’inquiète, répondit une voix d’outre-tombe. C’est une gastro. Ou la COVID. Ou une grosse grippe. J’ai dû choper ça au turbin. Ne m’approche pas, j’ai pas envie qu’on perde la puce. »
Fatima se tâta le ventre. C’est vrai qu’à ce stade, appeler ça une puce, ça avait du sens. « C’est la chasse d’eau que je viens d’entendre ?
– Non, pas encore.
– Essaie de garder tes organes à l’intérieur, mon amour. J’en ai besoin. Tu sais que c’est pas vraiment comme ça que c’est sensé se passer, une couvade ? »
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