Trouverez-vous le poulet ?

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Bonjour à tous, c'est le seul et l'unique Jean-Charles-Edouard. Alors aujourd'hui il faut que je vous raconte une histoire, mais cette fois je suis au courant de ce que je dois faire et je sais où je vais. Attention, ça ne veut pas dire que mes interventions précédentes n'étaient pas maîtrisées, au contraire, de ce point de vue-là je ne crois pas avoir progressé ni régressé, preuve en est que je suis encore et toujours sans amis. Non, cette fois-ci je sais exactement ce que je fais car je n'ai pas dit, euh, voyons... ah ben, exactement ça. Enfin là je l'ai fait, mais pas avant.

Sans plus attendre, je vous dévoile cette histoire qui est aussi cohérente que la précédente, c'est à dire très cohérente, car je ne m'égare jamais quand je vous raconte une histoire, voyez-vous.

C'était une nuit noire, enfin par noire je veux dire vraiment noire, pas bleu foncé, noire. Ce qui veut dire que les étoiles et les lampadaires étaient éteints. Le personnage unique de cette histoire était un poulet géant de quatre mètres et de deux cent soixante-quinze kilos, avec un bec acéré et des yeux luisants dans la nuit éteinte. Vous noterez que je n'ai pas commencé l'histoire parce que son action ne peut pas durer très longtemps, parce que comme toutes les personnes que l'on n'aime pas je suis contraint par des consignes extrêmement strictes, cela dit cela ne m'empêchera pas de terminer ce que j'ai à dire et de faire des répétitions parce que les répétitions cela a quelque chose d'extrêmement attrayant, parce que n'ayant aucun ami je m'amuse extrêmement en pensant à toutes les répétitions auxquelles vous êtes actuellement confrontées. Oui, cela m'amuse, je le dis et je le répète. Mais il est temps de démarrer cette action fatidique. Vous remarquerez (et non pas noterez car le temps des répétitions est désormais révolu) que je n'hésite toujours pas et que l'histoire est sur le point de commencer.

Le poulet géant (du charmant nom de Rex, ce qui est absurde dans la mesure où il s'agit d'un poulet) entre dans un salon de beauté. C'est la nuit, il fait noir, vraiment noir. Soudain un coup de feu retentit. Le poulet sort un revolver et tire, ce qui amène un silence de mort pendant quelques instants, juste après les coups bien sûr, vous ne croyez pas que ce sont les coups de feu du poulet qui sont silencieux ? Ce serait absurde.

Enjambant un prix nobel qui traînait (qu'importe qu'il s'agisse de celui de paix ou de médecine, ce n'est pas le moment de se poser ce genre de questions), Rex court frénétiquement à travers le salon de beauté et fouille (toujours avec frénésie) un fauteuil. Puis un autre, et encore un autre. Tous les fauteuils y passent, y compris ceux de la salle d'attente où Rex s'accorde une pause pour lire un magazine de pilote amateur. Puis il recommence, mais à ce moment-là c'est incroyable car il se fait repérer par un vigile qui lui hurle de se rendre et que c'est terminé. Alors que Rex voit sa vie se dérouler devant ses yeux (ce qui est, contrairement aux idées reçues, très visible car la nuit est noire et qu'il n'y a pas la moindre petite lumière) il entend soudainement un chuitement sournois, un feulement strident et un cri déchirant avant que le silence ne s'impose nouveau, non sans que quelques petits cliquetis se fassent brièvement entendre. A peine a-t-il le temps de se retourner qu'il aperçoit...

Oh, zut, c'est déjà la fin du temps réglementaire, je ne peux plus continuer. Ce n'est pas ma faute, hein. Je suis désolé, mais je dois vous raconter la fin sans action, enfin ce n'est pas grave car de toute façon le reste n'est pas intéressant. Rex trouve la recette des nuggets d'un militaire gradé américain (qui se trouve être un client régulier du salon de beauté, mon histoire n'est pas absurde, je me dois de le préciser) et fait fortune avec. Il en profite pour faire de la chirurgie esthétique et on réalise ainsi qu'il est en fait non seulement un cygne, mais du coup le plus beau gosse de tous les cygnes du monde et c'est la fin la plus heureuse que j'ai jamais vue de toute ma vie. Et en plus c'est moi qui l'ai trouvée, moi, Jean-Charles-Edouard.

Toutefois je ne pense pas que je puisse m'arrêter en si bon chemin. ou plutôt, je peux pas résister à l'envie de vous livrer tous les secrets de mon scénario incroyablement travaillé. Sachez donc que celui qui menaçait Rex est décédé d'une prise de karaté orléanais (variante du karaté classique inventée en juillet 2018) et que l'auteur de cet homicide volontaire n'était autre que le propriétaire du salon de beauté. Et c'est là que tout devient absolument clair contrairement à ma nuit noire et sombre.

Si vous avez bien lu, Rex n'est pas un poulet. Et s'il n'est pas un poulet, alors où est le poulet ? Une telle énigme ne devrait pas vous poser tant de difficultés que ça, à moins que vous soyez peu futés, ce qui expliquerait d'une part mon génie et d'autre part le fait que je n'ai pas d'amis, mais en somme vous n'avez pas trente mille sept cents quarante huit alternatives (c'est mon nombre commençant par une dizaine de milliers préféré).

Tout est une affaire de logique. J'en appelle à Rex qui est avec nous sur le plateau et qui est prêt à nous aider (à vous aider plutôt, parce que moi je sais déjà tout). Et comme nous allons faire les choses avec ordre, laissez-moi vous déballer que le proprio du salon de beauté bah c'est lui le poulet.

Oui, je sais, c'est dommage de vous le balancer comme ça mais je tiens à préciser que j'avais prévu une scène dramatique où le poulet pleure la mort du vigile en restant à son chevet (ça se dit être au chevet de quelqu'un quand il n'y a ni lit, ni chambre ?) mais que comme je suis brimé dans ma création artistique vous vous retrouvez avec la version au rabais. C'est pas ma faute. Ah, on me dit dans l'oreillette que Rex s'est barré aux Maldives parce que ça le saoulait d'attendre, alors ben, euh, je vais devoir tout faire tout seul.

Si j'en juge par vos têtes et par l'attitude de Rex, vous n'avez pas été convaincu par mon affirmation (j'ai réussi à vous mettre avec un cygne géant via un pronom, c'est marrant ça) alors je vais devoir m'expliquer.

Récapitulons depuis le début et récoltons tous les indices (en nombre extrêmement abondant) que j'avais disséminés dans mon histoire.

Le propriétaire du salon de beauté était titulaire d'un prix nobel qu'il avait négligemment laissé traîner, ce qui est stupide. Chacun sait que les poulets sont stupides. Le propriétaire du salon de beauté a appris le karaté orléanais, province française. Et chacun sait que la France est réputée pour ses poulets (plus que l'Asie, en tous cas, et oui je dis l'Asie car je sais plus d'où vient exactement le karaté donc je dis l'Asie comme ça personne n'est vexé). Le propriétaire du salon de beauté détient un magazine de pilotage amateur. Et chacun sait que les poulets sont des amateurs en matière de vol. Le propriétaire du salon de beauté fait des cliquetis en marchant. Et chacun sait que les poulets ont des griffes. Et le propriétaire du salon de beauté chuinte, feule et crie... alors que chacun sait que les poulets ne chuintent pas, ne feulent pas et ne crient pas, ou du moins pas dans une forme perceptible par nos sens. Ce qui prouve donc que le sauveur de Rex (car il le sauve, au cas où vous auriez oublié) est bien un poulet car Rex l'entend parfaitement et que Rex est (pour énième rappel) un cygne.

Enfin, mon histoire étant parfaitement cohérente et maîtrisée, j'avais prévu dans un élan scénaristique d'y amener une touche d'imprévu en vous faisant croire que le poulet était Rex, ce qui n'a aucun sens car Rex cherche à faire fortune dans le commerce de nuggets, qui sont jusqu'à preuve du contraire de la délicieuse chair de poulet panée et croustillante (si je vous ai donné faim, merci de donner mon nom aux services publicitaires des chaînes de fast-food que vous fréquentez, je cherche un travail, voyez-vous), et qu'un poulet qui cherche à tuer ses semblables, eh bien je suis désolé mais ça n'est absolument pas logique (en plus d'être parfaitement immoral).

Tout ceci était donc extrêmement prévisible, et je suis très déçu que personne ou presque ne l'aie anticipé. Enfin, j'ai peut-être un peu pris la confiance mais dans le fond je vous assure que je doute un peu de moi, mais c'est pas de ma faute si je vous ai bousculé, comprenez-moi. Mais je ne 'men fais pas, comme je n'ai pas d'amis vous m'excuserez pour le désagrément occasionné.

Allez, je vous souhaite une bonne fin de matinée, un bon mois de novembre dans le cas où vous liriez ceci en novembre et un joyeux anniversaire si vous lisez ceci à la rentrée. Et n'oubliez jamais : vous pourrez toujours comtper sur le propriétaire d'un salon de beauté pour vous aider à dénicher une recette de nuggets et à l'exploiter à fond.

Albert pour ceux qui comprendront, Jean-Charles-Edouard pour les autres

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