Chapitre 9 :

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La nuit commence à tomber et l’arrivée semble encore loin. John a passé sa journée en voiture, il est fatigué, toujours plus inquiet et commence à désespérer de ce voyage qui n’en finit pas. Il décide de s’arrêter sur un chemin de traverse. Inutile de rouler les phares allumés et de toute manière il ne pourra finir le trajet en une seule traite. Lassé des repas froids et des chips, il décide d’allumer un feu avec de l’herbe sèche, et du bois ramassé aux abords du bois qui jouxte son chemin de campagne. Le feu démarre rapidement, dégageant une forte fumée. Après avoir ouvert le couvercle, John pose directement la conserve de cassoulet sur le feu. Quand la sauce commence à bouillonner, John balance de l’eau pour éteindre le feu, générant davantage de fumée. Puis il saisit la conserve, se brule, et manque de la renverser. Après avoir fait couler de l’eau sur ses doigts endoloris, il saisit la conserve à l’aide de vêtements de sa valise. Enfin installé, assis au sol, le dos reposant sur une roue de son SUV, il profite de son premier repas chaud de la semaine.

Une fois le tout rangé, il installe son duvet, prend son ordinateur portable et démarre un dessin aimé, le préféré d’Axel. Alors que la princesse franchit le ravin pour sauver son prince charmant, le pont s’effondre. John chute et atterrit dans son canapé. Là, Karine l’engueule, devant les regards médusés d’Axel et Léa, qui mange une glace à la fraise. Alors que John regarde la neige tomber à la fenêtre, Karine balance une assiette au sol !

« Tu vas te réveiller oui ? crie Karine. Regarde, ton téléphone sonne ! »

John regarde son téléphone qui effectivement n’arrête pas de sonner. Son patron l’appelle, et il n’a pas l’air content.

John se réveille soudain, l’ordinateur a fini par s’éteindre faute de batterie. Le téléphone ! Il a sonné, il en est sûr ! Il se précipite dans la voiture pour le saisir. Il regarde l’écran, les appels manqués, regarde ses messages, ses mails. Rien. John craque, les larmes inondent ses joues avec pour seuls témoins les milliards d’étoiles dans le ciel, et pour seul réconfort le chant des grillons.

Aux premières lueurs, John reprend son voyage. C’est finalement en milieu d’après-midi qu’il atteint sa destination finale, ou presque. Il doit abandonner son véhicule à quinze kilomètres de la frontière. Il prend son sac à dos, ses papiers, son téléphone, un peu de nourriture, mets ses chaussures de randonnée, ferme sa voiture et part à pieds. Il n’a malheureusement plus d’eau, il pensait pouvoir faire le plein en chemin mais il n’a trouvé aucun coin d’eau potable. Les êtres humains des pays occidentaux sont persuadés que l’eau est infinie, disponible partout, tout le temps. Nous sommes entourés d’eau, elle coule en abondance dans les rivières, les fleuves, les robinets. Nous en sommes entourés, de la simple flaque après la pluie aux mers et océans. Il est ironique de penser que c’est une montée soudaine des eaux qui les privent aujourd’hui de cette ressource vitale. C’est donc la gorge sèche qu’il entame à pieds les derniers kilomètres, ceux qui lui permettront de se mettre en sécurité et de rejoindre sa famille. Enfin !

Ils sont nombreux à marcher le long de la route. Des hommes seuls, des femmes seules, des familles, des enfants. Une foule qui grossit progressivement vers une destination et un avenir flous. Avant l’entrée dans la ville, des barrages. Cela fait deux heures que John marche, il doit donc encore être entre sept et dix kilomètres de la ville. L’armée bloque l’entrée. Ça crie, ça menace. Une bouteille en verre éclate aux pieds d’un militaire. Le causeur de troubles est très rapidement mis à terre et embarqué sans ménagement sous les cris de ses enfants. John quitte la route, bifurque à droite dans un petit chemin de terre. Il franchit un barbelé, traverse un champ et 100 mètres plus loin croise un groupe qui semble avoir la même idée. Il décide de les suivre, même si leur mine se renfrogne lorsqu’ils l’aperçoivent. Après trente minutes à les suivre, ils finissent par s’accommoder de sa présence, et de simplement l’ignorer. Peu importe John, le tout est de passer les barrages et entrer dans la ville.

À la nuit tombée, la ville est enfin en vue, là, à quelques centaines de mètres. Mais alors que le groupe s’apprête à fouler les premiers pavés, un policier les interpelle. Ils sont deux, arme au poing.

« HALTE ! hurle l’un d’entre eux.

— Nous sommes une famille, nos enfants ont faim, supplie le monsieur le plus antipathique du groupe. Ayez pitié de ces enfants.

— PERSONNE NE RENTRE ! hurle le second policier. »

John s’approche des deux policiers, les mains à l’air. Une fois près d’eux, il murmure quelque chose. La famille restée en retrait regarde avec méfiance cet homme qui discute avec leurs bourreaux. Finalement, après quelques échanges silencieux, John pose son sac à dos et en sort son portefeuille. 400€ dépensés, 200€ pour lui, 200€ pour la famille derrière. Les policiers prennent les billets et partent vers la gauche, comme si ce groupe n’existait pas. John reprend son sac à dos et entre enfin dans la ville.

Il est tard, de nombreuses personnes dorment dans la rue. Heureusement qu’il ne fait pas froid, même si les températures sont plus fraiches que dans sa ville de départ. John essaie de repérer un coin tranquille, pas trop passant, pour s’allonger au sol, les bras serrant son sac à dos.

Ce n’est que le lendemain matin, à la lumière du jour, que John se rend compte de la déliquescence accélérée de la ville. Sa première impression est celle de se retrouver dans un décor de film comptant le moyen-âge. Un film rempli d’anachronisme avec des personnes en jean consultant désespérément un téléphone portable privé de réseau. Les rues sont sales, remplies d’excréments humains, faute de toilettes publiques en quantité suffisante. L’odeur pestilentielle qui en résulte semble d’autant plus prenante ce matin que John est moins fatigué et plus attentif à ce qui l’entoure. La ville dort encore dans son immense majorité, nombreux sont ceux qui dorment à même le sol, agglutinés les uns contre les autres. Les plus chanceux possèdent un duvet qui sert de matelas. Certains enfants sont entourés par leurs parents, d’autres dorment seuls. Les cloches sonnent l’angélus. Il est encore tôt, mais petit à petit, les gens remuent et se lèvent.

John décide d’abandonner sa couchette pour parcourir les rues de cette ville en déshérence. L’immense majorité des commerces affichent une porte close, certains, la vitrine cassée ou la porte d’entrée enfoncée ont été pillés. Quelques magasins restent ouverts, pour s’occuper, ou éviter de laisser le lieu à l’abandon, mais les clients se font rares. Quelques vendeurs à la sauvette proposent un peu de nourriture, contre d’autres objets utiles de la vie courante. Le troc fait son retour, l’argent n’a plus de valeur. De toute manière les retraits sont désormais impossibles.

Certaines rues pavées renforcent cette idée que John a totalement changé de décors et est retourné dans une époque passée. Il s’attendrait presque à croiser un forgeron s’attelant à son travail au fond de son échoppe. Les traces de modernité s’effacent progressivement. De nombreuses voitures sont brulées, les portes des habitations ont pour la plupart été forcées. La police est absente, les habitants excédés forment leur propre milice. Un homme, soupçonné de vol à la tire est frappé au sol par plusieurs d’entre eux. Une justice expéditive, dans une ville abandonnée par la loi.

Des poubelles éventrées parcellent la route, un rat passe en courant entre les jambes de John. De nombreuses personnes se dirigent dans la même direction. La foule se fait de plus en plus nombreuse. C’est arrivé sur la place principale que John se rend compte de l’ampleur de la situation. Des centaines, voire des milliers de gens s’agglutinent dans un lieu bien trop petit. La police est ici présente, elle a délaissé les rues pour se concentrer sur ce point de tous les dangers. Derrière les rues sont fermées par d’immenses barrières, des camions anti-émeutes et de frêles murs en construction surmontés de barbelés. La place est particulièrement bruyante, au brouhaha permanent de la foule s’ajoute des cris d’enfants qui jouent, qui pleurent, qui ont faim ou simplement s’ennuient. Des personnes tentent de négocier avec des gardes impassibles, un prédicateur à moitié débraillé annonce la fin du monde. John se fait bousculer par un petit groupe pressé souhaitant atteindre l’autre bout de la place. Finalement, il rejoint un semblant de file d’attente pour la distribution d’un maigre petit-déjeuner. Un peu de lait, froid, quelques biscottes et une madeleine. Deux semaines auparavant il était cadre supérieur dans une entreprise internationale, à travailler sur des projets de développement important ; aujourd’hui il dort dans la rue et mendie pour de la nourriture. Cela serait plus supportable avec sa femme, ses enfants, ses amours à ses côtés. En se renseignant auprès des personnes croisées, il apprend que la frontière a brutalement été fermée il y a trois jours. Au début, tout le monde pouvait plus ou moins passer, la désorganisation était totale. Puis petit à petit ils ont restreint les accès. Seules les femmes accompagnées d’enfants passaient, puis plus personne. Maintenant les frontières sont bien tenues, plus personne ne passe et comme de plus en plus de gens arrivent, cela devient intenable.

John constate rapidement que des personnes ont été victimes de violences, si ce n’est pire. Tous les magasins sont fermés, ou pillés. Il n’y a apparemment plus de nourriture à l’achat et seuls les apports d’associations humanitaires permettent de survivre. Pour combien de temps ? John essaie d’obtenir des nouvelles de sa famille, en vain. Un mur est couvert de photos, des gens qui cherchent les personnes disparues. Il cherche la sienne, au cas où. Il ne la trouve pas. Il y poserait bien celle de sa famille mais c’est tout ce qu’il lui restera d’eux si, ou plutôt lorsque son téléphone rendra l’âme.

Un centre d’informations ! John doit prendre son mal en patience et se mettre en bout de file. Les bousculades, les personnes qui essaient de passer devant, celles qui se croient plus importantes, ou les plus désespérés, tout cela participe à un énervement généralisé. On est à deux doigts de la rupture. John lui-même, d’un tempérament plutôt calme, pousse une personne sur le point de lui passer devant. Heureusement cela suffit à dissuader cet homme de grande taille. Il se range trois places derrière John, doublant tout de même la moitié de la file. Enfin c’est son tour. Il les interroge pour savoir si sa famille est passée, où elle se trouve… Malheureusement aucun registre n’a été tenu les premiers jours et ils n’apparaissent pas sur les listes actuelles, très incomplètes. On lui conseille de rentrer chez lui et d’attendre des nouvelles. S’il a bien leur numéro de téléphone, il pourra les recontacter dès que les lignes seront rétablies. Le gouvernement y travaille. Il faut se rassurer, tout va revenir à la normale. La personne lui conseille de retourner d’où il vient et lui tend un sauf-conduit pour franchir les barrages, dans l’autre sens.

Il aurait donc fait ce long trajet pour rien. John est loin d’être rassuré. Cela ressemble à un discours tout préparé. Il soupçonne même son interlocuteur de ne pas avoir plus d’informations que lui.

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