7 Confessions mère-fils

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Caroline, soufflant dans ses mains puis les frottant l'une contre l'autre pour les réchauffer, observe silencieusement, avec inquiétude, Azalée qui s'éloigne dans l'allée. Elle n'est pas la seule. Niels aussi veut s'assurer qu'Azalée entre sans encombre.

Grâce à l'éclairage automatique, ils voient ses clés scintiller dans sa main lorsqu'elle les sort lentement de sa poche pour ouvrir.

Niels n'a pas besoin de distinguer le visage de Caroline pour entendre en lui la question silencieuse qu'elle lui pose. Et apparemment, elle entend tout aussi bien sa réponse muette, car les pneus de la vieille Toyota rouge délavé crissent sur le gravier, puis sur l'asphalte.

« Fais de beaux rêves, ma douce Azalée. », ne peut-il s'empêcher de penser.

De longues minutes, un silence complet règne dans l'habitacle, rempli de bons sentiments et de douceur.

— M'man... L'coup de foudre existe, pas vrai ? 'fin, j'veux dire... Comment t'sais quand ça t'tombe d'ssus ? J'la connais qu'd'aujourd'hui, mais j'sais d'jà que j'l'aime autant en amitié qu'en amour. J'suis juste perché ou... T'sais, j'capote tout l'temps en pensant à elle, maint'nant... C'matin d'jà quand ils l'ont frappée j...

— Attends, quoi ‽ Qu'est-c'c'est qu'c't'histoire ‽

Caroline, sous le choc de la révélation, freine subitement, faisant déraper la voiture.

— Mets-toi su'l'bas-côté au moins, m'man... T'm'as fait capoter, crisse !

— 'scus'-moi mon bébé... Mais qu'est-c'c'est qu'c't'histoire ? Azalée s'est faite frapper ? s'affole Caroline en manœuvrant pour se garer sur le bord de la route, déserte à cette heure de la nuit.

Elle allume le plafonnier puis défait sa ceinture de sécurité pour être libre de ses mouvements et pouvoir se tourner vers lui à sa guise.

— È's'fait harc'ler, j't'ai dit c'mat', et j'pense qu'ça dure d'puis lurette. Sa pute de triplette, là... Quelle salope, jure ! L'jour et la nuit ces deux-là ! De c'que j'ai vu, c'est elle la pire d'la bande de pouffes sans cervelle. Et pis elle a carrément sonné Azalée, c'pour ça j'étais à l'infirm'rie ! Elle lui a fait s'exploser l'crâne dans l'mur avec un croc-en-jambe, sans déc', la violence ! Et è's'marrait ! T'y croirais-tu, même en l'voyant ‽ C'tait elle aussi l'coup des chiottes ! Sa triplette quoi, PUTAIN !

Il frappe le tableau de bord de son poing droit, furieux. Caroline sursaute. Sans un mot, ressentant au fond d'elle la même fureur que son fils, elle lui caresse la cuisse pour l'apaiser puis, après un long soupir triste, pose sa joue contre son épaule.

— On va l'aider mon bébé. Je te le promets, souffle-t-elle en lui embrasant l'épaule, maternelle, à travers son tee-shirt.

Niels la croit sur parole. Contrairement aux autres parents, les siens ne lui ont jamais menti à coups de « tout va bien », « c'est rien », « ça va s'arranger », « c'est pas grave », « tu exagères, c'est pas si grave que ça ». Pas une seule fois depuis la naissance de Zachée, pour aucun de leurs enfants, ils n'ont remis en doute leur parole ou minimisé leurs émotions.

Sans qu'ils ne s'y attendent, ni l'un ni l'autre, Niels fond en larmes, son corps secoué de sanglots. Les caresses de sa mère sur sa cuisse redoublent d'intensité. Le contact de sa joue contre son épaule se fait plus puissant.

— Laisse aller, mon bébé, laisse aller, l'encourage-t-elle à pleurer.

Longtemps, malgré le froid, ils restent ainsi, l'un contre l'autre, en silence. Niels ne pleure plus, mais ils savent tous les deux qu'il y a encore des non-dits, mais qu'ils ne sont pas encore prêts à, pour Niels, les exprimer et, pour Caroline, les entendre. Il n'est pas temps non plus de repartir. Dans leur famille on met un point d'honneur à se confier et ne pas rendre ses sentiments prisonniers de son corps et de sa tête, à se libérer de ses démons, de ses angoisses, de ses rancœurs...

— J'sais pas comment tu l'aimes, car j'suis pas toi, mais t'l'aimes, tabarnak... souffle Caroline d'une voix extrêmement douce contrastant avec le sacre qu'elle vient de prononcer. Peu nous chaut qu'le coup d'foudre existe ou pas, tant qu'tu vis l'amour au plus profond d'toi.

— J'me sens con. Les fois qu'elle m'a r'poussé, j'ai été triste. Même l'matin que j'connaissais même pas son prénom. C'est pa'c'qu'elle est parfaite et magnifique du feu d'Diou toute cette haine ? Moi, j'rêverais d'en faire ma blonde pour être plus beau et meilleur à ses côtés. Je m'sens terne et comme éteint sans sa lumière. Je m'sens plus l'Niels d'hier. J'le connais plus c'ui-là. Pouf, envolé, souv'nir lointain ! V'là l'Niels d'Azalée qui lui vole la vedette !

— C'pas con. Elle t'a changé. J'crois qu'elle me change aussi. En tant qu'prof, en tant qu'mère et en tant qu'femme. J'vous ai espionnés toute la soirée et vous étiez radieux. Maint'nant, au milieu d'toute c'te haine, elle t'a, toi. C'est plus un combat qu'elle mène seule contre tous. Elle te change, mais tu la changes aussi. T'es son phare dans la nuit comme elle est le tien. T'es pas terne, elle a cerné ton éclat. Elle t'a dévoré des yeux pendant l'repas. Et quand t'es là, elle a pas l'air timide, paniqué, apeuré et triste qu'elle avait quand j'l'ai vue entrer en classe c'matin. Elle m'évoquait un p'tit chaton perdu et affamé, sans défense. C'est sans doute pas c't'Azalée là qu'j'aurais imaginée chantant d'vant què'qu'un, montrant ses toiles ou r'gardant Un crime au Paradis... L'jour et la nuit !

— J'suis son phare dans la nuit... répète Niels dans un murmure, comme pour encrer ces mots sous sa peau.

Un petit sourire étire son visage alors qu'il serre Caroline fort contre lui.

— Merci...

Après quelques secondes pendant lesquelles elle prolonge leur étreinte, Caroline se rassoit correctement sur le siège conducteur et se rattache. Au moment d'éteindre le plafonnier, elle fige son doigt en l'air, tout près du bouton.

— J'sais plus on j'en étais su' la route. T'sais ou qu'on s'est arrêtés ? demande-t-elle à Niels en plissant les yeux dans une tentative de se repérer.

— J'sais pas ! Toutes les routes se r'semb', dans c'bled paumé d'mes grelots !

— C'pas faux, les grelots en moins. J'espère qu'tu parles pas comme ça d'vant les profs.

— T'sais qu'd'puis t't'à l'heure j'fais qu'sacrer, m'man ? fait-il remarquer.

Pendant quelques secondes, il reste bouche ouverte. Il n'en faut pas plus à Caroline pour le taquiner.

— Ferme eût'bouque tin nez y va quere eûn'din !

— Pfff, t'es con, m'man... R'démarre, on va s'repérer.

Caroline éteint enfin le plafonnier puis s'exécute, les mains tremblantes à cause du froid glacial de cette fin de novembre.

— 'sti d'char ! jure-t-elle en calant.

Elle recommence, lentement, puis pousse un soupir de soulagement quand sa deuxième tentative réussit.

— Raconte-moi don' ta journée, chéri. J'aime pas conduire d'nuit et ta présence m'détend et m'rassure.

— Ok... L'école est p'tain d'immense. J'cherchais où aller quand Azalée a essayé d'se rattraper à mon short en tombant. J'pas vu c'qui s'est passé pour qu'è's'ramasse d'la sorte mais y avait des bouts d'papier déchiré qui volaient partout autour d'elle pis tombaient dans la boue. È's'lamentait et la bande de putes riait, là, p'tain !

— Tu m'connais, j'ai réagi, disent-ils de concert.

Caroline connaît tous ses enfants sur le bout des doigts. Elle savait qu'il dirait ces mots, tout comme elle sait, avant même qu'il n'enchaîne, comment il a réagi. Mais elle ne dit plus rien : elle le laisse continuer alors qu'ils ont, sans même le savoir à cause de l'obscurité, le même sourire complice qui étire leurs lèvres.

— J'l'ai défendue comme un bourrin d'bougre d'âne comme dit p'pa. J'pas pu résister. È'm'a j'té... p'tain d'osti d'tabarnak de j'té ! Tourne à gauche au prochain virage. Pis j'tais seul comme un grand couillon dans l'couloir sans savoir où aller. Y a un surveillant, c'un crisse de colosse, y m'a dit où qu'j'allais. L'prof m'a fait asseoir à côté d'c'te pétasse d'Anaïs, là. 'fin bon, j'ai seize heures d'colle et j'ai été viré d'cours, mais il a dû t'le dire... J'ai r'trouvé Azalée pendant la pause du matin. On s'est mis à côté en all'mand. C'est là qu'j'l'ai invitée à la maison et qu'elle m'a dit oui. Pis à l'interclasse Azora lui a fait un croc-en-jambe et elle est tombée la tête dans l'mur ! Pis t'connais l'passage à l'infirmerie... J'suis allée m'excuser à M'dame Lespine d'l'avoir poussée et tout va bien. J'ai mangé avec Azalée c'tait grave bien ! J'pas pu être en cours à côté d'elle à part pour l'all'mand par contre, pa'c'que M'sieur Beaumont m'a mis à côté d'la pute d'Anaïs su'l'plan d'classe collé au bureau des professeurs... Anaïs lançait des boulettes sur Azalée pis ses copines et d'autres f'saient pareil. È' réagissait pas, comme si qu'è' savait pas c'qui s'passait ou qu'elle s'en foutait mais moi j'sais qu'c'était aucun des deux. À la pause d'l'aprèm' elle en a pas causé : j'tais parti pour mais... deuxième sortie au rond-point, m'man. J'tais parti pour mais j'ai capté son r'gard pis j'ai fermé ma gueule d'osti d'con. Pis après la dernière classe j'lai perdue d'vue pa'c'qu'la prof voulait m'parler et m'souhaiter la bienv'nue. È't'plaira beaucoup. J'l'ai r'trouvée d... Deuxième sortie, j't'ai dit, p'tain ! J'l'ai r'trouvée dans les toilettes avec la bande et t'sais l'reste. La journée était à la fois horrible et trop bien, en fait... Du coup j'sais pas trop c'que j'ressens. C'pour ça qu'mes nerfs viennent d'lâcher et qu'j'ai pleuré.

— Droite ou gauche ? J'comprends mon bébé.

— Droite pis tout d'suite à droite encore. 'reus'ment qu'j'ai un assez bon cellulaire , là... Y la voient pas comme j'la vois, sinon y lui f'raient pas ça. Pis même, qui fait ça à què'qu'un ? J'aimais pas Richard mais j'ai jamais... 'fin j'l'ai tabassé et ça m'a valu l'renvoi mais c'tait pas prémédité pou'l'détruire ! Eux c'est pou's'distraire et s'amuser ! Va tout droit. C'est des jaloux pa'c'qu'y-z-ont tous des sales gueules de cons à côté d'elle ! Moi j'peux pas m'empêcher d'd'jà l'aimer d'tout mon cœur d'grand dadet d'osti d'guignol d'tabernak d'gros benêt d'bougre d'âne ! À droite pis on arrive tantôt.

Caroline suit la direction indiquée par Niels en toussant pour désencombrer sa gorge avant de parler. À cause du temps hivernal, sa voix s'enroue régulièrement et devient rauque.

Finalement, elle se ravise et ne dit rien. Même dans le silence, mère et fils restent complices, et Niels n'est pas plus décidé qu'elle à le briser.

Pas pour le moment en tout cas. Il n'est pas prêt. Et il ne sait pas quand il le sera. Ni même s'il le sera un jour...

Caroline se gare devant leur magnifique maison de campagne, mais aucun d'eux ne bouge. Leurs regards sont tout aussi parlants que leur silence prolongé. En cet instant, ils se comprennent bien mieux que s'ils utilisaient de simples mots... si... universels... si... impersonnels !

Niels passe une main dans sa longue mèche rebelle en soupirant, tandis que Caroline souffle bruyamment dans ses mains puis les frotte bruyamment contre ses cuisses pour les réchauffer.

Caroline coupe le contact, à la fois à contrecœur mais avec soulagement. D'une part, elle aime tant ces moments privilégiés avec ses fils et souhaiterait qu'ils ne terminent jamais, d'autre part, elle est transie de froid, et ce n'est pas sa vieille Toyota rouge délavé qui se ferme aussi difficilement qu'elle s'ouvre qui va la protéger de la température extérieure.

— Bourrin... murmure-t-elle en souriant tendrement quand Niels ouvre sa portière avec fracas.

Aux petits soins malgré son manque de délicatesse, Niels contourne le véhicule et ouvre la portière conducteur.

— Merci, m'man, souffle-t-il, reconnaissant, à l'oreille de Caroline, avant de l'embrasser doucement et longuement sur la joue.

Lentement, Caroline passe ses mains fébriles autour de la taille de Niels et plaque son visage contre son ventre.

— Je t'aime, mon amour... Je suis toujours là pour toi, quoi qu'il arrive.

Niels, quelques secondes, reste les bras ballants, il pense à Azalée. Puis, avec un immense sourire, il place ses mains dans les cheveux de Caroline. Rien de tel qu'un câlin mère-fils, père-fils ou frère-frère pour oublier tous les soucis et être heureux ! Surtout pour lui, qui a toujours été si tactile !

Tout comme Caroline, il ferme les yeux, pour profiter pleinement, poussant un long soupir de bien-être.

— Je t'aime, maman...

C'est bien l'une des seules phrases qu'il n'a jamais élidées. Inconcevable de dire « J't'aime » et encore moins à « m'man » !

Il a l'impression d'avoir passé une bonne partie de la nuit blotti contre sa mère, mais on ne fait jamais assez de câlins dans toute une vie aux êtres que l'on chérie...

C'est finalement Caroline qui met fin à leur étreinte.

— Rentrons, 'vant d'finir en congère... dit-elle en grelottant. J'sens pu' les bouts d'mes pauv' et malheureux p'tits doigts ! Pis t'as encore tes d'voirs à faire, 'sti d'grand con !

Niels éclate de rire : il reconnaît bien là Caroline ! Tous ces noms d'oiseaux prononcés avec tant de tendresse !

— Ouiiiii, ouiiiiiii, ouiiiiiii m'man... ronchonne-t-il, tout sourire.

Doucement, lui qui n'est en rien le roi de la délicatesse, soulève sa mère de son siège et la porte dans ses longs bras maigres. Avec une inspiration, tout aussi longue que ses bras, pour se donner de la force, il la mène rapidement jusqu'à la porte d'entrée puis la dépose précautionneusement sur le sol.

Pendant qu'elle ouvre, difficilement à cause du froid, Niels court jusqu'à la vieille Toyota rouge délavé dont il ferme la portière conducteur d'un grand coup de pied, faisant vibrer la vitre.

— Du calme, 'sti d'couillon d'grand dadais, t'vas réveiller tout l'pays, b'Diou d'marde ! braille Caroline.

Une nouvelle fois, Niels éclate de rire : il adore sa mère, il ne la changerait pour rien au monde, elle est si parfaitement imparfaite ! Il repense au rire lumineux et authentique d'Azalée lorsque Caroline lui avait hurlé d'arrêter de jabler la porte d'entrée.

Lorsqu'il arrive dans le vestibule, Caroline est debout devant la planche à repasser, fer à la main. Elle pousse un long bâillement, en lissant un chemisier. Niels sourit en s'approchant dans son dos. Il la prend dans ses bras et pose son menton sur ses cheveux.

— Laisse, m'man, j'vais l'faire. Va dodo.

Quelques secondes, Caroline ne bouge pas, un sourire éclatant étirant ses lèvres. Puis elle soupire d'aise en reposant le fer, passe ses mains sur les bras nus de Niels qui l'enserrent pour caresser sa peau et commence à se balancer contre lui, pour les bercer tous les deux.

— Désolé bébé, mais t'échapp'ras pas à tes d'voirs 'vec le r'passage, dit-elle enfin.

Niels souffle en levant les yeux au ciel, résigné.

— OK, mais j'vais à côté d'toi pou'les faire !

Alors qu'il dévale les escaliers à vive allure pour récupérer sa boge, sans se soucier de Jacob qui dort à poings fermés dans la chambre voisine à la sienne, il pense à Azalée et à son sérieux pendant les classes. À son contact, il a envie d'être meilleur, alors il se dit, là, maintenant, que sa mère a raison, il doit faire ses devoirs. Il doit être digne d'Azalée et de sa merveilleuse intelligence, car c'est bien elle la plus brillante de la classe, et même de toute l'école, en comptant les professeurs ! Seule sa mère, et encore, peut rivaliser avec elle...

Il redescend les marches aussi vite qu'il les a montées. Il lance son cartable sur la table basse puis se jette littéralement dans le canapé.

— Toi, l'jour où la délicatesse a été créée t'tais parti pisser ! s'exclame Caroline en levant les yeux au ciel, exaspérée.

Niels sort une feuille froissée, sur laquelle il a gribouillé à la hâte les devoirs à faire, et son stylo quatre couleurs de son sac. Songeur, il regarde fixement les quelques mots presque illisibles écrits de sa propre main en mordillant le bout de son stylo.

— Ça fait bien cin' minutes qu'tu fais rien, ça va ? s'inquiète Caroline.

— M'man, je... Tu... Elle... Pfff... Aza', t'vas tu la pénaliser pour son travail ?

— Pourquoi don' mon bébé ? s'étonne Caroline en plissant le front.

— T'as tu pas r'gardé sa copie quand è't'la rendue ? Elle a séché physique-chimie pour r'faire son d'voir pa'c'qu'sa sœur et sa bande ont réduit sa dissert' en morceaux ! C'est sa p'tite sœur qui lui a sauvé l'coup en scannant son boulot ! È'm'l'a dit ! C'tait ça les bouts déchirés c'mat' !

— T'en fais pas trésor. J'suis pas juste là pour faire apprendre bêt'ment ! Z'êtes pas des oies qu'on gave ! L'plus important c'pas les résultats !

— È's'hait tell'ment ! È'm'l'a pas dit mais j'y vois ! T'as vu ses toiles ? Et pou'tant elle a abandonné celle d'un Noël d'enfance en famille comme quoi qu'elle est foirée et moche alors qu'j'ai flashé d'sus ! J'l'ai vu dans ses yeux qu'è'pense ça ! È'peut pas s'haïr comme ça 'teh, è'peut pas !

Niels enfonce son visage dans l'un des coussins du canapé pour étouffer son hurlement de frustration.

— T'mets pas dans c't'état bébé ! On va l'aider j'te promets ! L'vilain p'tit canard d'viendra l'magnifique cygn'noir !

Caroline arrête son repassage et vient s'allonger contre Niels sur le canapé pour le réconforter. Elle place son visage contre son cœur et lui caresse les cheveux en lui murmurant des mots réconfortants.

Niels prend une longue inspiration tout en agrippant le chemisier de sa mère, comme s'il avait peur qu'elle ne mette fin à ce câlin rempli d'amour, de tendresse et de solidarité.

— Tu sens bon, souffle-t-il en reniflant le creux de son cou.

Depuis sa plus tendre enfance, il adore sentir l'odeur de sa mère contre ses vêtements et ses doudous. Son parfum maternel est rassurant, il le comble d'amour, de bonheur et de bien-être.

Finalement, ils s'endorment paisiblement, l'un contre l'autre. Grâce à la présence de Caroline contre son corps et à son parfum persistant dans ses narines, aucun mauvais rêve ne vient hanter Niels durant la nuit.

Au petit matin, l'odeur de café et de pâtisseries fraîchement achetées du matin vient réveiller doucement Niels et Caroline. Lorsqu'ils ouvrent les yeux, Jacob boit doucement son jus d'orange en les regardant avec bienveillance, un sourire tendre étirant ses lèvres. Sur la table basse devant eux s'étalent croissants, pains au chocolat, tartines beurrées et café chaud.

Caroline, les plis du tee-shirt de Niels ayant marqué sa peau, se frotte délicatement le visage. Lentement, elle se redresse en position assise et s'étire. Puis elle secoue légèrement Niels pour qu'il se réveille à son tour, parce qu'il a refermé les yeux en grognant pour se rendormir.

— M'maaaaaaan, arrêêêêêêêteuh, ronchonne-t-il.

Caroline sourit et commence à lui chatouiller le ventre pour l'embêter.

— Non trésor, y t'reste tes d'voirs à faire après le p'tit déj' !

— C'est ça, on lui dira... marmonne-t-il en essayant de se retourner.

Caroline éclate de rire en lui tapant sur le torse.

— Debout, tire au flan !

Jacob s'esclaffe à son tour. Niels obtempère et se redresse pour s'asseoir à côté de Caroline. Ses cheveux gorgés d'électricité statique à cause du coussin sur lequel il a dormi tiennent debout tout seuls, lui donnant l'air d'un savant fou.

Il bâille longuement et bruyamment, très vite imité par Caroline et Jacob.

— Tu nous emmerdes ! s'exclament-ils tous les deux simultanément, souriant de toutes leurs dents.

— Un bon bâilleur en fait bâiller plusieurs, réplique-t-il de manière quasi inaudible à cause d'un second bâillement.

— Ouais c'est ça, on lui dira ! Allez, prends-toi l'cul à deux mains !

Niels lève les yeux au ciel, exaspéré : il sait qu'il ne peut plus repousser l'échéance sans subir les foudres de Caroline.

Il croque sauvagement dans un croissant et, la bouche pleine, cède, résigné.

— Ouais, cha va, cha va...

Il laisse tomber négligemment sa feuille froissée et sale sur la table basse, faisant tomber des miettes de croissant dessus. Le papier se recouvre d'auréoles de gras.

— Rooooooh Niels, sérieusement ! le gronde Caroline en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

Les minutes passent, et il a l'impression de ne pas avancer. Il est contrarié : il a envie de réussir, pour sa mère, pour son père, pour Zachée, pour Jacob, pour lui... pour Azalée... Mais il n'y arrive pas, vraiment !

En soupirant, il boit une gorgée de café, qui est désormais presque froid. Il grimace et, en reposant sa tasse, inondant son exercice de math.

— P'teh, j'ai noyé ma math ! s'énerve-t-il. Hors d'question de r'commencer, c'trop dur d'jà !

— Oooooh bébé ! compatit Caroline, en revenant dans la pièce, son corps enveloppé dans une serviette de bain et ses longs cheveux blonds humides dégoulinant sur le sol. Mont'-moi ça, j'vais t'aider. C'est c'que t'as commencé ? Cœur, normal qu't'es bloqué, la racine de x² c'est pas 2x c'est x ! T'vois là, tu...

Finalement, avec les aides conjointes de Jacob et de Caroline, Niels finit ses devoirs quotidiens, ce qui n'est plus arrivé depuis... en fait, ça fait si longtemps qu'il n'en sait absolument rien !

— Merci... souffle-t-il, reconnaissant, les larmes aux yeux. À tous les deux. Et merci m'man pour c'te nuit. Pour tous nos câlins, pour tous tes mots réconfortants, pour avoir dormi dans l'canapé cont' moi. J'me sentais mal et j'aurais jamais pu m'endormir sans toi, 'sti !

— J'suis toujours si fière d'toi mon bébé, lui répond-elle en souriant, les yeux brillants d'émotion alors que son regard va du visage ému de son fils à sa feuille de devoirs immonde mais terminée puis de sa feuille de devoirs immonde mais terminée au visage ému de son fils à plusieurs reprises. Allez, va t'laver, j'veux pas d'retard pour l'lycée ! ajoute-t-elle en se levant pour se diriger vers la planche à repasser pour terminer le linge qu'elle n'a pas eu le temps de faire la veille et ainsi pouvoir enfiler sa tenue du jour.

Doucement, Niels essuie les larmes qui perlent aux coins de ses yeux en acquiesçant. Il monte, le pas traînant, à l'étage. Quand il entre dans sa chambre, il frissonne de froid : il a complètement oublié de fermer sa fenêtre avant de ramener Azalée chez elle. Il s'empresse de la fermer puis se dirige vers son dressing. Lorsqu'il l'ouvre, des vêtements roulés en boule s'écroulent sur le sol. Il les ramasse, les renifle, grimace et...

— Ça va l'faire... murmure-t-il en haussant les épaules.

Il se rend dans la salle de bain et commence à se déshabiller puis, dans un soupir, il s'immobilise.

— Nan, j'peux pas puer l'f'nnec pour Azalée ! se réprimande-t-il.

Il ouvre la porte de la salle de bain avec fracas.

— M'MAAAAAAAAAAAAAAAN ! braille-t-il.

— CHIÔ ! GUEULE PAS COMME ÇA, QU'EST-C'T'AS ‽ hurle-t-elle, au moins trois fois plus fort que lui, de sa voix aiguë et stridente.

— RABOULE DES GUENILLES PROPRES ! J'SENS L'OURS !

— LAVE-TOI L'CUL J'ARRIVE T'METT'ÇA SU'L'PORTE-SERVIETTES !

— OK. J'LAISSE L'VERROU OUVERT !

— OUAIS ET MAINT'NANT FERME TON OSTIE D'GUEULE, TU M'FILES LA MIGRAINE !

Niels entend Jacob s'esclaffer au loin. Son rire est contagieux : il se contient avec peine de suivre le mouvement, mais il sourit jusqu'aux oreilles.

Enfin, il entre sous la douche. Lui qui a l'habitude de se laver très rapidement sous l'eau froide tous les matins, il prend une longue douche chaude sous laquelle il ne peut pas s'empêcher de penser à sa journée de la veille. Il est si heureux d'avoir rencontré Azalée, même s'il aurait aimé que ce ne soit pas parce qu'elle est malmenée au quotidien au lycée. Il est heureux de l'avoir invitée à passer la soirée chez lui. Il est heureux qu'elle ait accepté. Il est heureux tout simplement. Chaque seconde passée avec elle est une seconde merveilleusement magique. Et aujourd'hui, il compte bien tout faire pour qu'il n'arrive rien à Azalée et, pourquoi pas, pour qu'Azora, Anaïs et le reste de la bande de putes ait enfin ce qu'elles méritent et soient punies à la hauteur de leurs mauvaises actions.

Lorsqu'il sort de la douche, des vêtements immaculés aux senteurs fleuries de lessive l'attendent sagement, comme l'avait promis sa mère, sur le porte-serviettes. Il sourit, reconnaissant de tout l'amour que leur porte Caroline, à lui, Zachée, Jacob et leur père. Et tous, ils le lui rendent bien. Il ne pourrait rêver d'une famille plus unie que la sienne, il en est parfaitement conscient.

En comparaison, la famille d'Azalée, qu'il ne connaît pas encore entièrement, lui semble des plus dysfonctionnelle. Il est désolé pour elle. Il voudrait tellement qu'elle s'épanouisse dans un environnement familial agréable et heureux, avec des sœurs et des parents qui l'encouragent et la conseillent dans ses décisions, qui lui montrent toute la beauté qu'elle a en elle, tous les talents qu'elle possède.

Il serre les poings, l'air décidé : grâce à lui, Azalée passera une excellente journée aujourd'hui.

Et pour ça, il doit commencer à se faire beau et présentable pour elle. Il se met, en quantité, du déodorant sous les esselles. Puis il prend un soin tout particulier à coiffer et lisser sa longue mèche rebelle, qui finit toujours par se rebiffer. Il lâche l'affaire, souffle dessus puis s'ébouriffe les cheveux. Il ne veut pas non plus être le cliché dégueulasse de l'intello coincé chef du club d'échecs incapable de serrer une fille avec ses cheveux bien trop gominés qui ne bougent pas de toute la journée. Il n'est pas trop beau mec, mais il se trouve plutôt cool, dans ses éternels shorts et tee-shirts, avec ses longs cheveux en bataille sur lesquels il adore souffler pour dégager sa vision. Il se brosse si bien les dents qu'il a peur de perdre la vue en se souriant dans le miroir.

— Salut beau gosse ! s'exclame-t-il en faisant un clin d'œil à son reflet.

Lentement, il enfile le slip, les chaussettes, le short rouge sombre et le tee-shirt blanc que Caroline a minutieusement lavés, repassés et pliés en repensant à la question d'Azalée la veille. C'est vrai qu'il pourrait faire un effort de temps en temps et ne pas porter les mêmes tenues toute l'année...

Pour elle, il le jure sur la bible, il va faire en effort ! Samedi, c'est décidé, il va dépenser toutes ses économies au centre commercial pour être digne d'elle et ne pas lui faire honte rien qu'avec sa simple présence !

— NIEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEELS !

Il sursaute, une main sur le cœur, avec un grand rire nerveux.

— ALLEZ DANS L'CHAR J'SUIS LÀÀÀÀÀ !

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