En route...
C’était un soir d’octobre. La douceur des premiers jours du mois s’était estompée et une pluie fine et froide tombait sans discontinuer depuis leur départ de Zhukovka, la banlieue chic de l’ouest de Moscou. A bord du tout dernier X5 BMW, Gleb était installé paresseusement à l’avant, à côté de Vitaly. Ce dernier, tout jeune oligarque de 28 ans, avait fait fortune dans l’immobilier en rachetant les vieux hôtels délabrés et les bâtisses décrépies des quartiers industriels. Puis le travail, la chance et la folie Booking et Airbnb avaient fait le reste. En moins de cinq ans, ce fils d’enseignants parti de rien commençait à faire parler de lui.
D’abord accommodant avec cet inconnu sorti de nulle part, le petit monde des affaires s’intéressait désormais de très près à lui. De trop près. Sa réussite avait fait des envieux parmi les personnalités déjà établies, ce qui n’allait pas sans l’inquiéter. Il avait ainsi failli rater quelques coups juteux par manque d’apport. Son banquier n’avait pas pu lui apporter d’explications claires sur ces refus mais Vitaly avait très bien compris. Qu’à cela ne tienne ! Il avait engagé une bonne partie de ses fonds propres et s’était mis au travail avec énergie et passion, comme toujours. Ses multiples talents de négociateur, de financier et le réseau de gestionnaires de biens qu’il avait façonné depuis ses débuts fonctionnaient à merveille. L’argent rentrait de nouveau abondamment. Sans faillir à ses habitudes, Gleb l’avait accompagné sur la plupart des rendez-vous importants. Sa présence paisible et ô combien imposante à ses côtés rassurait Vitaly et lui portait chance.
Pourtant, le bonheur de Vitaly n’était pas complet. Le manque de soutien de l’establishment financier l’avait fait réfléchir, son ambition ne pouvant souffrir d’aucun frein. Les projets qu’il avait en tête s’étaleraient sur une petite dizaine d’années et il avait besoin de relais capables de le suivre sur la durée. C’est pourquoi des contacts avec les chefs de Podolskaïa, une des confréries les plus solides de la mafia russe, avaient été initiés. Dans le pays, c'était une pratique courante et la plupart des organisations criminelles bénéficiaient du soutien officieux du régime. Pour Podolskaïa, c'était le ministère de l'intérieur. Très pratique !
Lors des échanges avec ses futurs partenaires, Vitaly était toujours resté sûr de lui et détendu, davantage concentré sur ses objectifs que sur l’inquiétante réputation de ses interlocuteurs. De plus, il n’avait pas encore dévoilé tout son jeu et avait gardé quelques cartes maîtresses. Enfin, il était parfaitement conscient que les intérêts des uns et des autres convergeaient : Pour Podolskaïa, le blanchiment d'argent et pour Vitaly une source de financement disponible et abondante.
Le rendez-vous de ce soir allait marquer le début concret de leur collaboration. Vitaly allait leur présenter un premier projet à plusieurs milliards de roubles. La donne allait changer. « Nous apprécions beaucoup votre démesure, Vitaly. » lui avaient-ils dit. Dans moins d’une heure, tout serait joué.
Gleb quant à lui se contentait d’observer mollement le flot de véhicules en tout genre. Placide, comme à son habitude. A peine tournait-il la tête de temps à autre vers Vitaly, sans doute pour s’assurer qu’il était toujours là. Mais comment pourrait-il en être autrement ? C’est parfois très bête un chien.
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