Le 2 mars, lorsque Roman entra dans la salle de travaux pratiques de chimie, il eut la surprise de voir que Flora était déjà installée près de la fenêtre, à l'opposé de l'entrée. À ses côtés, Corentin. Ils paraissaient engagés dans une conversation passionnante accompagnée de mimes un peu grotesques d'instruments de musique. Roman en conçut une forme de jalousie, au début, puis se rassura en se convaincant qu'elle ne pouvait rien trouver à ce type aux cheveux longs et gras et à l'attitude faussement rebelle. Il se planta devant la paillasse, à sa place habituelle, et s'efforça de regarder ailleurs. Petit à petit, les autres lycéens entraient. Rachel s'approcha.
 — May I ? demanda-t-elle en faisant mine de prendre la chaise à ses côtés avec un clin d’œil.
 — Bien sûr, installe-toi !
 Enzo et Max s'assirent un rang devant eux.

 Bientôt, le cours débuta. La professeure sillonnait les rangées pour donner des conseils aux différents binômes sur la meilleure façon de réussir leur dosage d'acide chlorhydrique par de la soude, un savoir-faire qui, à n'en pas douter, leur serait fort utile dans leur vie d'adulte. Dès qu'elle avait le dos tourné, Enzo et Max ouvraient le robinet surplombant l'évier de leur paillasse et s'aspergeaient d'eau, manifestement peu intéressés par l'exercice. De son côté, Flora semblait inhabituellement concentrée sur la manipulation. Lorsqu'elle était avec Rachel, sa binôme habituelle, elles bavardaient sans relâche, au point d'agacer la professeure. Tout le monde savait que Flora préférait les matières littéraires... sauf aujourd'hui apparemment, comme si elle voulait prouver quelque chose à quelqu'un... Roman grimaça et se concentra sur son expérience.

 Enzo se tourna soudain et projeta un mince filet d'eau sur Roman et sa partenaire en infléchissant de l'index la direction du jet du robinet. Rachel, éclaboussée, émit un petit cri de surprise, ce qui attira l'attention de l'enseignante aussi sûrement que les ricanements de hyène des fauteurs de trouble. Mme Petrucci les gourmanda et leur intima d'éponger la flaque d'eau. Penaud, Enzo s'en alla chercher une serpillière et commença à nettoyer. Dans son dos, Rachel avait préparé sa vengeance. Elle versa un erlenmeyer rempli dans le col de l'Italien. Celui-ci fit un bond d'une dizaine de centimètres en l'air en hurlant, tandis qu'une bonne moitié de la classe, attentive aux événements, se bidonnait.

 Mme Petrucci eut beau faire tout son possible pour ramener le calme, la pagaille gagna bientôt toute la salle. Excédée, elle cria bientôt :
 — Stop ! Ça suffit ! C'est fini, on arrête ! Plus de TP jusqu'à la fin de l'année !
 — Mais, madame...
 — Il n'y a pas de TP au bac, de toutes façons. Tant pis pour vous ! À chaque fois c'est la même chose. Allez, vous allez tous vider vos solutions dans les bidons dédiés, vous faites la vaisselle de la verrerie, et vous disparaissez !
 Un silence pesant s'abattit sur la classe, personne n'osant plus protester.
 — Allez, allez, hop, hop, et que ça saute ! appuya l'enseignante en claquant des mains. Un à un, les binômes s'exécutèrent d'un pas lent.

 Alors qu'il retournait un bécher sur le plan de travail pour le laisser sécher, Enzo murmura quelques mots pour Roman.
 — Désolé, on a un peu merdé. Je sais que t'aimais assez les TP.
 — C'est vrai.
  — Mais on s'est bien marrés quand même, non ?
  Le visage de l'Italien s'orna d'un sourire contrit. Roman fit un geste de la main droite pour balayer le problème et pardonner. Sans regarder, il plongea la main gauche dans l'évier pour récupérer le bécher suivant. Celle-ci rencontra celle de Rachel, lancée dans une manœuvre similaire. L'Américaine le dévisagea un instant, et le jeune homme crut voir un peu de rose lui monter aux joues avant qu'il retire sa main.
 — Désolé, commença-t-il, je n'avais pas vu que...
 — No worries, le rassura-t-elle, le coupant un peu vite. Je vais m'occuper de celui-là, c'est le dernier. Tu peux y aller si tu veux. Je vous rejoins au distributeur pour un café.