Chapitre 1.1

3 minutes de lecture

Barcelona, 2004.

Oscar.

 Bordel, mais qu'est ce que je fous là ? Je contemple l'horizon en soupirant. Pourquoi Seigneur, pourquoi ai-je accepté de suivre Luigi dans ce traquenard ? Je le savais, c'était couru d'avance que je détesterais cette soirée. Luigi a toujours eu l'âme à flamber, tout le contraire de moi. Je préfère mille fois le silence de mon salon ou le calme feutré d'une conversation avec deux ou trois amis, que ce cirque écœurant. Cette soirée prétentieuse, habillée de costards hors de prix, de robes ridicules – pardon, extravagantes – et arrosée de cet alcool qui dégouline des verres, ces rires suraigus sur ces visages artificiellement hâlés, tout dans cette fête pue le fric et l'excès, j'en ai la nausée. Pourquoi tous ces gens font ça ? Au moins, lors de la cérémonie officielle tout à l'heure, j'étais accompagné de Jorge. C'était bien la seule personne d'agréable compagnie, cet après-midi ; mais pour ce soir, je suis définitivement seul. J'aurai dû le suivre, lorsqu'il a pris congé de nous. J'ai eu l'irrépressible envie de le suivre. Mais Jorge n'a pas un ami envahissant qui l'empoigne par les épaules et le somme de le demeurer pour « la suite des festivités » avec une énergie inépuisable et une force de conviction écrasante, à laquelle je n'ai jamais su dire non.

 Jorge a été mon maître de stage l'an dernier ; il est à peine plus vieux que moi mais j'ai encore cette relation de mentor-apprenti avec lui. Je l'ai rencontré lorsque j'étais en dernière année d'école de kinésithérapie. Il était le tout nouveau préparateur physique de l'équipe des jeunes à la fédération espagnole de tennis ; et moi, en tant que pratiquant depuis toujours et éminent fan de ce sport, je rêvais d'y faire mon stage de validation. Heureusement pour moi, mon ami d'enfance est un Italien extravagant et entreprenant qui répond au nom de Gianluigi – il n'y a guère que sa mère qui l’appelle encore ainsi – et qui venait d'obtenir, avec sa gouaille légendaire, une place dans l'équipe de communication d'une marque d'équipements sportifs. Il ne m'a pas dit comment il a fait, mais peu après je recevais un coup de téléphone pour un entretien, et j'étais accepté à ce stage rêvé. J'y ai donc rencontré Jorge. On s'est parfaitement bien entendu durant ces quinze semaines, et j'y ai fait mes preuves, si bien qu'à la fin, il a appuyé mon CV pour que je reste dans l'équipe de soins. Voilà maintenant un an que je suis l'équipe junior espagnole – à la fois dans les différents tournois nationaux et européens tout au long de l'année, mais aussi au sein du centre national de formation ici, à Barcelone – et je m'éclate dans mon job. Et voilà comment, ce soir, j'ai été cordialement invité à une réception pompeuse pour la promotion du tennis national... et par une suite d'événements que je n'ai pas maîtrisée, à la soirée privée sur un yatch luxueux peuplé de gens superficiels qui jouent les superstars. Un extra qui m'éclate vachement moins.

 Je soupire encore. J'ai chaud et ce nœud papillon ridicule me gêne. Je contemple ma montre : 21h15. Quelle tannée. À quelle heure est-ce qu'il sera acceptable de quitter leur pénible compagnie ? Serais-je obligé de prévenir Luigi de mon départ ? Non, parce qu'il va tout faire pour me retenir ici. Allez, on va se dire 22h, et je disparais. J'observe mon verre vide. Ce soir, il va me falloir le remplir plusieurs fois.

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