Chapitre 15.3
- Pourquoi, Oscar ? Pourquoi t'as plus foi en nous ? Depuis quand, Oscar ?!
- Je sais pas, peut-être depuis que tu n'as rien d'autre à me dire que des exigences et des reproches.
- Je fais ça, moi ?
- Tu fais quoi, depuis tout à l'heure ?
- Mais c'est juste pour la conversation de ce soir ! Parce que je veux que les choses changent !
- Eh bien je te propose un formidable changement.
- Mais non, mais pas celui-là !
- Ban non, tiens ! Ne prenons en compte que les idées d'Alix, et demandons une fois de plus à Oscar de fermer sa gueule, hein ?
Je reste sans voix. Il plaisante, là ? Depuis que l'on se connaît, je l’enjoins à me parler, à me livrer ce qu'il a sur le cœur, depuis quatre ans, je rame pour qu'il s'ouvre à moi, et voilà qu'il me reproche de le silencier ?! On délire, c'est pas possible !
- Je ne t'ai jamais demandé de te taire... Au contraire, Oscar, au contraire ! Je t'ai toujours demandé de parler !
- Encore une exigence !
- Oh, non mais franchement ! C'est aberrant là, Oscar ! Oui, j'ai l'exigence que tu me parles, oui ! Parce que tu me l'avais promis, Oscar ! T'avais promis que tu parlerais ! Que tu ne garderais pas ce qui te tourmente pour toi ! Que tu te livrerais à moi !
- Eh bien peut-être que, comme les autres, que tu avais mis bien trop d'espoir dans qui je suis, que tu m'avais sur-estimé, et que je ne suis pas à la hauteur de ce que tu avais pensé ! Peut-être que je suis bel et bien le minable que tu n'as jamais voulu voir !
- Tu peux pas dire ça, Oscar, ce n'est pas vrai du tout...
Il se lève brusquement, et balaie l'air avec agacement.
- Allez, allez. On a assez parlé. Y'a plus rien à dire.
- Mais...
- Je vais rentrer à Barcelone demain.
- Quoi ?... Tu vas vraiment repartir demain ?
- Oui. On ne va pas faire semblant de vivre ensemble, si ?
- Mais... Moi, je ne fais pas semblant...
Toujours debout près du canapé, il cille. Y-aurait-il un écho en lui quand je dis ça ? Quand je parle de faire semblant ?
- Tu fais semblant, Oscar ? Depuis quand tu fais semblant ? C'est quoi, faire semblant ? Tu fais semblant de t'intéresser à moi ? D'avoir envie de me voir ? De m'aimer ? Tu fais semblant de m'aimer, Oscar ?
Il ne répond pas. Sa mâchoire se serre.
- Tu ne m'aimes plus, Oscar ? Dis-moi que tu m'aimes plus ! Dis-le-moi bien en face !
Il secoue la tête.
- Arrête, Alix.
- Tu m'aimes, ou tu m'aimes plus ?
- C'est plus compliqué que juste ça.
C'est le moment où le Titanic coule, je crois. Il s'est mangé l'iceberg, il a agonisé un moment, et maintenant, il plonge. Je plonge. Les eaux glacées coulent sur mes joues.
Il baisse la tête sur mes sanglots.
- Moi... Je... T'aime... Toujours... Y'a rien de compliqué !
Il soupire.
- Comment peux-tu... trouver ça... compliqué ? C'est pas évident, d'aimer quelqu'un ?
- Mais parce que t'es comme ça, tu t'poses pas de questions, tu vis les trucs tête baissée ! Tu sais bien que moi... Je réfléchis, moi.
- T'as qu'à me dire que je suis trop conne pour réfléchir ?
- J'ai pas dit ça, putain !
Son visage se ferme encore plus.
- Ça mène à rien, cette discussion... On arrête, Alix !
- Je trouve, au contraire, qu'on est allé bien bien loin avec cette discussion.
Les larmes sont salées, habituellement. Les miennes sont amères, ce soir. Je me lève. Je tremble.
- Bon... On fait comment ? Je te laisse la chambre ? Je vais dormir avec Andreas ?
Il ferme les yeux sur cette phrase. Elle a étonnamment l'air de l'atteindre.
- Ok..., murmure-t-il.
Je crève d'envie de le prendre dans mes bras, de l'embrasser, de lui glisser un « bonne nuit mon amour ». Je n'arrive pas à quitter la pièce, à me résoudre à ce que ces gestes-là appartiendront au passé. C'est inimaginable, c'est irréel.
- On pourrait peut-être discuter avant ton départ, demain ?
- Encore discuter, Alix...
- Tu diras au revoir à Andreas, quand même ?
Il me regarde d'un air atterré :
- Bien évidemment que oui ! Je le lèverai, je préparerai son petit-déjeuner et je l'accompagnerai à la crèche, comme d'habitude.
- « Comme d'habitude », ben voyons.
Il lève les yeux au ciel.
- Comme d'habitude "quand je vous fais l'immense honneur d'être là", oui ça va, j'ai compris !
- Tu avais prévu de l'emmener au bord de la mer ce week-end...
- Eh bien tu auras tout le loisir de lui expliquer que son horrible père absent ne tiendra pas sa parole.
- Tu dis n'importe quoi... Jamais de la vie je ne lui dirais un truc pareil ! Tu crois que je vais te démonter devant lui ? Non mais tu me prends pour qui ?
Il hausse les épaules. Non mais je rêve !
- Tu vas faire de moi la méchante de l'histoire, Oscar ?
- Mais non, rho !
- J'ai des torts, Oscar, je sais que j'ai des torts... Mais moi au moins, je laisse pas les choses pourrir ! Moi j'essaie de proposer des solutions ! Toi t'es là, tu te laisses vivre, et tu attends passivement que ce soit moi qui mette les mains dans la merde ! Bravo, Oscar, bravo !
- Arrête Alix ! Tu n'allais pas te coucher ?
- Ben c'est ça, dégage-moi. En fait, c'est même pas que tu ne m'aimes plus, c'est que je te fais chier !
- Putain Alix, oui, t'es chiante.
- Tu vois ?!
- Tu crois que c'est facile pour moi, là ? Tu crois que je m'amuse, en ce moment ? J'ai l'air de sauter de joie ?!
Je tremble encore, oui, mais de colère cette fois.
- Pauvre, pauvre Oscar. Il est tristounet ! Il y a des mouchoirs dans l'entrée, au cas où il te viendrait l'envie de verser une larmichette !
Il ferme les yeux fort. Clairement, il lutte. Je réussis à percer la glace. J'ai comme l'envie d'aller vérifier la chaleur, sous la glace. Il y en a bien un peu, forcément qu'il y en a, hein ?
- Tu n'en as pas envie, de pleurer, Oscar ? Tu ne vas pas nous offrir ça ? Il n'y a que moi qui vais pleurer notre fin ?
Il grimace. Là, la glace fond à vitesse grand V. Il est enfin accessible. D'un pas rapide, je m'approche.
- Est-ce que je peux au moins te demander ça ? Est-ce qu'on peut pleurer ensemble ? S'il te plaît, Oscar...
Je prendrais vraiment n'importe quoi pour un peu de contact avec lui. Quand je pose ma main sur son bras, il se dégage.
- Non Alix. Laisse tomber.
- Mais putain, je te dégoûte ou quoi ?!
- Non, pas du tout. C'est pas ça.
- C'est quoi, alors ?! Tu ne veux même plus qu'on se touche !
- C'est fini, c'est fini, Alix ! Pourquoi on ferait ça ?
- Parce qu'on a encore de l'affection l'un pour l'autre, non ? Alors quoi, tu verbalises qu'on se quitte, et immédiatement après, tu passes à autre chose ? Je n'existe plus ? T'iras voir une autre gonzesse demain sans soucis ?
Sa réaction me fait l'effet d'une gifle. Il a l'air accablé, tout à coup. Bien trop accablé...
- Oscar... La gonzesse en question, tu la vois déjà ?
Il ferme les yeux. Oh putain, c'est pas vrai, c'est une blague ? Le Titanic, il n'est pas censé ne se prendre qu'un seul iceberg ? Pourquoi j'en mange un deuxième dans la gueule, moi ?
Je me recule. J'ai le souffle court, je suis abasourdie.
- T'as pas fait ça, Oscar... T'as pas osé...
- Je n'ai rien fait du tout.
- Pourquoi tu fais cette tête d'enterrement, alors ?
- Parce que... Je ne suis pas sûr...
- Oh, je vois. C'est compliqué de savoir si c'est moi que tu aimes, ou l'autre, c'est ça ?
Le silence est assourdissant. Je me sens me briser en millions de morceaux. Ils s'éparpillent à ses pieds, et Oscar semble les regarder passivement.
- Non mais je rêve... Et dire qu'il a fallu que je t'oblige à t’asseoir et parler pour que tu craches le morceau ! Et si je n'avais pas fait ça, tu aurais continué combien de temps, Oscar ?
- Je suis désolé, Alix.
- Oh bah oui, tu penses. C'est le minimum, d'être désolé, à ce stade.
Je redresse la tête. Après la stupéfaction, après le chagrin, après la colère, c'est la désolation qui m'envahit.
- Je crois que tu as raison, Oscar. C'est mieux que tu rentres à Barcelone. Va la retrouver. Bonne nuit.
Je lui tourne le dos et monte les escaliers. J'ouvre doucement la porte d'Andreas. Il dort à poings fermés. Je tire le matelas en mousse stocké dans sa chambre, et l'installe au pied de son lit. Roulée en boule, je pleure silencieusement. Pendant combien de temps ? Peut-être pendant toute la nuit.
Annotations