Chapitre 20.1

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Paris, Mai 2011.

 Nous attendons Oscar dans les allées de Roland-Garros. Cette année, quelques-uns de ses ados participaient au tournoi Junior et il se trouve donc à Paris cette semaine pour superviser ses troupes.

 Avec le temps, une relation cordiale s'est installée entre nous. Nous avons ritualisé de nous rencontrer tous les deux mois afin de permettre à Andreas de voir son père, et nous avons même signé cette nouvelle planification au tribunal. Ainsi, je me déplace en Espagne, à Oviedo, quelques jours sur chaque vacance scolaire. Je vois très peu Raquel qui vit quasiment exclusivement à Barcelone, ce qui me convient très bien. Oscar ne s'est jamais rendu à Nantes depuis la mise en place de notre organisation : déjà, l'idée de croiser María et mes parents ne l'enthousiasme pas des masses. Aussi, la famille Vázquez m'a très clairement fait part de sa joie de voir le p'tit dernier régulièrement alors, je n'ai pas envie de les en priver. Après tout, j'ai toujours apprécié José, Ana et Lorena, et ils n'y sont pour rien dans tout ce qui s'est passé depuis trois ans. Et puis, Andreas les adore. Alors, les voyages, c'est moi qui m'y colle. Je dépose Andreas chez son père, je séjourne dans un hôtel à Oviedo d'où je télétravaille – ou à Madrid, et je fais bénéfice de cette présence pour entretenir les relations avec les partenaires espagnols de ma boîte. Parfois, je fais un peu de tourisme – autant en profiter, après tout – puis je fais le trajet retour au bout d'une semaine, en général. Les parents d'Oscar avaient proposé de me loger « C'est dommage de payer un hôtel, Alix ». J'avais trouvé ça mignon, mais vraiment gênant. Plus étonnant, Oscar m'avait glissé un sous-entendu dans ce sens également « Il y a quatre chambres, dans cette maison, elles ne servent pas toutes... ». J'avais fait part de ma surprise, demandant la réaction de Raquel à l'idée que j'investisse une des chambres sous le toit de son époux. « Elle n'y voit pas de soucis » m'avait répondu Oscar avec assurance. Eh bien, quelle altruisme ! J'avais tout de même maintenu mon refus.

 Bref, aujourd'hui, on peut dire que nous avons réussi à poser les bases d'une relation pacifique entre nous. On ne va pas dire que nous sommes devenus amis, Oscar et moi, mais désormais, j'arrive à rester dans la même pièce que lui et tenir une conversation sans animosité. Qui aurait cru que j'atteigne cet état d'abnégation inespéré ?

 Je sens Arnaud un peu nerveux, c'est contagieux.

  • Ne t'inquiète pas, ça va aller.
  • Hein ?
  • Oscar est très sympa et très tranquille, tu n'as pas à t'en faire.
  • Ah mais je ne m'en fais pas du tout.
  • Moui... ok. Tant mieux.
  • En revanche, je vais avoir du mal à trouver sympa un mec qui a osé te larguer comme une merde. Désolé, hein.
  • Euh... oui, bon. On va éviter d'évoquer ça, hein ? Je n'ai pas envie de revenir là-dessus. Je te demande pas d'être son pote, je veux juste que vous vous rencontriez.
  • Mmm mmm.

 On attend encore une vingtaine de minutes avant que l'Ibérique n'apparaisse au bout de l'allée. En tenue complète estampillé « fédération espagnole de tennis », il nous rejoint d'un pas rapide.

  • ¡ Hólà ! ¿ Cómo estás ?

 Il nous salue avec le sourire. On se fait une bise polie, et il répond à la main tendue d'Arnaud. Arnaud qui déploie son bras droit autour de ma taille et m'approche de lui alors que je fais les présentations.

  • On va se poser en terrasse ?

 Oscar approuve d'un signe de tête, et nous nous y rendons. Nous visons une petite table sous un parasol. Arnaud demande un Perrier – que c'est cliché, à Roland-Garros ! – moi un jus d'ananas, et Oscar, une citronnade. Il y a du monde qui flâne, les tables sont serrées et nous devons rester proches pour nous entendre correctement.

  • Alors, ça roule pour tes Juniors ?
  • Ils sont deux sur quatre à passer au troisième tour.
  • Ah. Et quelles chances de victoire ?
  • Quasi aucune. La concurrence est rude... je les vois mal aller haut, mais sait-on jamais.
  • Il n'y aura pas de Nadal junior cette année ?

 Il sourit.

  • Non. Un spécimen comme Nadal, il n'y en a même pas un par génération.
  • Tu crois qu'il gagnera dimanche, encore ?

 Oscar tourne son touilleur dans sa citronnade avec un air mystérieux.

  • Qui sait... il est en bonne voie, en tout cas.

 Arnaud se racle la gorge et se penche au-dessus de la petite table.

  • Faut pas croire que son règne sera éternel. Il y a du beau monde en face. Djokovic peut lui donner une leçon.

 À cette réplique, Oscar sourit de plus belle.

  • Je ne conteste pas qu'un règne n'est pas éternel, mais pour la leçon, il faudra se lever tôt.
  • Djokovic le dépassera à l'ATP incessamment sous peu.
  • Oui, je le pense aussi.
  • Et il peut créer la surprise en finale.
  • Possible, oui.
  • Il a un jeu global bien plus complet que Nadal.
  • C'est vrai.

 Eh bien ! Cet échange-ci n'a rien à envier aux allers et retours des balles fluo qui ont lieu sur les courts juste à côté de nous ! Je vois Arnaud s'agacer devant la nonchalance d'Oscar.

  • Alors ? Bien sûr qu'il peut lui donner une correction !

 Oscar marque une pause, surpris de la véhémence de son interlocuteur. Enfin, il sourit de nouveau et répond avec un calme absolu :

  • Rafael Nadal est le meilleur joueur sur terre battue que l'on n'ait jamais vu, il a un niveau stratosphérique, et même s'il n'est pas une machine programmée pour tout gagner, absolument personne n'est en mesure de le surclasser à l'heure actuelle sur cette surface.
  • C'est du chauvinisme.
  • C'est de la lucidité.

 Arnaud semble particulièrement contrarié. Et moi aussi, de le voir ainsi : ils ne vont quand même pas se prendre la tête sur un sujet aussi futile ?

  • Bon, euh, n'y voyez aucun mal, les garçons, mais on va parler d'autre chose, ok ?
  • On est là pour parler tennis, Alix !, proteste Arnaud. C'est dans l'ambiance ! On débat !
  • Oui, bon...

 Oscar me regarde et enchaîne en espagnol :

  • Tu as l'air tendue, Alix. Ça va pas ?
  • AH NON ! Vous ne faites pas de cachotteries en espagnol là ! Alix, non, tu parles français.

 Je reste sans voix un instant, pendant que Oscar dévisage Arnaud en plissant les yeux.

  • Oui, désolé Arnaud, il n'a rien dit de bien intéressant de toute façon.

 Oscar me jette un coup d’œil furtif, et revient à Arnaud avec un sourire qui se veut amical. Je suis plutôt mal à l'aise, désormais : j'avais espéré quelque chose d'un peu plus serein ! Je bois mon verre pour masquer ma fébrilité. C'est à Arnaud que revient le mérite de relancer une conversation plus calme :

  • Bon, Oscar, raconte-moi ce que tu fais cette semaine sur ce tournoi ? C'est quoi ta mission ?

 Oscar ne se risquera pas à un seul mot d'espagnol du reste de la conversation. Il raconte avec sa tranquillité d'humeur habituelle son rôle de kiné auprès des juniors, et je vois Arnaud adopter un ton plus pondéré également. Le sujet se détourne vers Andreas, qui ne nous a pas accompagnés à Roland-Garros malgré ses supplications – notre fils marche, une fois encore, dans les pas de son père, et voir des vrais matchs de tennis l'enthousiasmait réellement. Cependant, hors de question d'amener un gamin de cinq ans dans un environnement aussi pédant et sur-fréquenté ! Il est resté avec mes parents à Nantes, ce qui ne manqua pas de contrarier également Oscar qui aurait bien saisi l'occasion d'être en France pour voir son fils. J'ai tenté d'évoquer l'importance de l'école, mais ma convocation par la directrice pour m'annoncer que ce gamin qui savait déjà lire, écrire, compter et parler deux langues était éligible à un saut de classe pour la rentrée de Septembre ne m'a pas franchement aidé face à son père. Cependant, comme à l'habitude qu'il a prise depuis notre séparation, Oscar s'est avoué vaincu et m'a laissé décider de la façon dont les choses se dérouleraient : de fait, Andreas ne vint pas à Paris. Pour lui prouver ma bonne foi, et comme un drapeau blanc supplémentaire dans notre relation, j'ai pour la première fois sollicité son avis à propos de ce fameux saut de classe, et promis que je ne prendrai aucune décision seule – après tout, légalement, il possède toujours l'autorité parentale sur Andreas et c'est par pure docilité qu'il me laisse tout décider jusqu'à présent. Il me semble qu'il a apprécié cette démarche, puisqu'il m'en reparle aujourd'hui en essayant de peser le pour et le contre. Une conversation qui n'intéresse guère Arnaud dont je vois le regard papillonner à droite et à gauche, ses mains se baladant sur mes épaules ou jouant avec mes cheveux.

 Enfin, Oscar prend congé de nous pour rejoindre son hôtel où l'attendent ses petits joueurs et une soirée de gestion de bobologie et muscles endoloris. Arnaud le regarde s'éloigner en passant son bras autour de moi.

  • Dis donc, t'avais oublié de me dire qu'il est beau gosse, ton ex.

 Une première impression qui me surprend, je dois dire.

  • Ah, tu trouves ?
  • Carrément !
  • Tu peux l'appeler par son prénom, hein.
  • J'y suis obligé ?
  • Bah, quand même ! Tu ne vas pas l'appeler « ton ex » tout le temps.
  • Bah, c'est ce qu'il est.
  • Il a d'autres caractéristiques pour lui que d'être seulement mon ex.
  • Pour moi c'est ton ex. Point.
  • Ok, tu ne feras aucun effort ?
  • Non.

 Je reste bouche bée. Mince alors. Je n'avais pas imaginé autant de mauvaise volonté de la part d'Arnaud.

  • Et je trouve qu'il te regarde bizarrement.
  • Quoi ?! Comment ça ?
  • Il roule des mécaniques là, avec ses bras musclés et sa peau bronzée. Il veut clairement jouer au plus fort.

 Je pouffe de rire.

  • Alors là, c'est bien mal connaître Oscar, il est aux antipodes de ce que tu décris !
  • J'ai vu ce que j'ai vu ! Tu ne remarques rien ? T'es si naïve, Alix !
  • Qu'est-ce que tu insinues au juste ?
  • Il veut marquer son territoire, il veut me montrer que c'est lui le patron !

 Je suis abasourdie. On a rencontré la même personne, vraiment ?

  • Je pense que tu te montes la tête, vraiment...
  • Non.
  • Mais enfin, on est séparés depuis longtemps, et Oscar est marié ! C'est ridicule, Arnaud.
  • Ouai, je suis d'accord, c'est ridicule de se comporter comme ça quand en plus, on est marié. Il veut le beurre et l'argent du beurre. Si tu veux mon avis, il ne serai pas contre te récupérer en plus d'avoir sa gonzesse.
  • Arrête, ça suffit ! Tu délires complètement ! Moi je voulais simplement te présenter le père de mon fils, histoire que tu connaisses la personne chez qui je me rends six fois l'année, et toi tu réécris les Feux de l'Amour là !
  • Bah justement, en parlant de ça, je ne suis pas d'accord que tu continues à séjourner en Espagne !

 Consternée, je m'immobilise.

  • Pardon ? Attends, t'es pas sérieux ?
  • Ce mec n'est pas net, il a des intentions malsaines sur toi, je ne veux plus que tu y ailles.
  • Non mais t'as perdu la tête ou quoi ? Des intentions malsaines ? Il veut me séquestrer, me découper, me dépecer ?
  • Non, mais il veut te foutre dans son pieu !
  • Il m'a jeté de son pieu quand j'y étais, il ne va pas tenter de me récupérer maintenant, enfin ! Oh, stop ! Arrêtons cette conversation tout de suite ! Je ne peux pas croire ce que j'entends !

 Arnaud secoue la tête avec un sourire blasé.

  • T'es incroyablement complaisante avec lui.
  • Arrêtez de tous me dire ça !
  • Ah, tu vois ! Je ne suis pas le seul à le dire ?
  • Merde, ok ? Je ne suis pas complaisante avec lui. Je n'oublie pas ce qu'il m'a fait. J'ai juste décidé de remiser ça de côté pour Andreas, mais je ne l'efface pas complètement.

 On reste à s'évaluer un moment, moi fâchée, lui avec l'arrogance de celui qui ne remettra pas en cause ses impressions. Je soupire, et le prends par le bras :

  • Arnaud, s'il te plaît, sois raisonnable : cette conversation est ridicule, et tu te fourvoies complètement sur les intentions d'Oscar. Jamais il ne se mettrait en concurrence avec qui que ce soit, et certainement pas avec le mec de son ex ! Il n'a aucun intérêt à le faire : ça serait trop risqué à la fois pour son mariage, pour ses relations avec moi et par ricochet avec son fils, et en plus, il déclencherait une guerre avec toi et crois-moi, Oscar est l'homme le plus pacifiste du monde. Il choisira toujours de s'effacer plutôt que d'aller au front. Tu n'as aucun danger à voir de son côté.
  • On verra...
  • C'est tout vu. Et ne m'interdis pas d'aller en Espagne, ça aussi c'est tout vu. En fait, ne m'interdis rien du tout. Je ne t'appartiens pas.

 Il abaisse les épaules, et passe ses bras autour de moi. Il me dit d'une voix désolée :

  • Ce n'est pas parce que je veux te diriger. C'est parce que j'ai peur pour toi, et pour nous. Je t'aime, Alix. Je ne veux pas te perdre.
  • Tu n'as aucune peur à avoir. Tout est très clair et tout va bien. C'est toi que j'aime, aujourd'hui.

______

Le 5 Juin 2011, Rafael Nadal remportait son 6ème Roland-Garros face à Roger Federer. Ce dernier avait battu Novak Djokovic lors d'un match âpre en demi-finale, empêchant le Serbe de ravir la place de numéro 1 mondial à l'ATP. Djokovic deviendra numéro 1 un mois plus tard lors du tournois de Wimbledon.

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