21.3
Lorsque j'ai raconté mes conneries à María, elle est restée stupéfaite.
- Non mais tu déconnes grave Alix là ! Qu'est-ce que tu fous ?! T'es même pas sûre qu'il sorte avec cette meuf, et t'envisages de l'inviter à l'anniversaire surprise de votre fils ? Tu crois qu'Oscar va apprécier, sérieux ?
- Oh, ça va... Peut-être que je pourrais jouer les entremetteuses et...
- Mais ALIX ! T'es dingue ou quoi ?! Ça n'a aucune espèce de chance de fonctionner, putain ! Annule tes plans à la con, avoue tout à Luigi et excuse-toi auprès d'Oscar tant qu'on y est ! J'hallucine, et dire que c'est moi qu'il appelle « la timbrée » !
Et pourtant... Moins ça a de chance de fonctionner, plus j'ai envie de tenter le coup. Alors, après être rentrée en France, j'ai réfléchi à la meilleure façon d'aborder la mystérieuse Masha – c'est curieux comme prénom, d'ailleurs – et quoi lui dire. La curiosité l'empotant, j'ai finalement osé le coup de bluff, une fois de plus. Une voix peu assurée décroche à mon appel :
- Allô ?
- Bonjour, Masha ?
- Euh... Oui...
- Cet appel est étrange, je vais tout vous expliquer. J'ai eu votre numéro par Luigi. Vous êtes l'amie d'Oscar, c'est bien cela ?
- L'amie... Oui... Mais vous, vous êtes qui ?
Elle a un accent très slave, la Masha. Ça colle bien avec son prénom.
- Je m’appelle Alix, je suis la maman d'Andreas.
- … Andreas, son fils ?
- C'est ça !
- Euh... D'accord...
- Je vous contacte parce que j'aurai besoin de votre aide !
- Ah bon ? Pourquoi ?
- Voilà, j'aimerais organiser une visite surprise pour l'anniversaire d’Andreas, et il me faudrait une taupe pour m'assurer qu'Oscar est bien chez lui au moment où je débarque.
- Oh ! Je vois..., me dit-elle avec un soudain enthousiasme. C'est quand ?
- C'est le 2 Mai.
- Han, Ok... écoutez, être chez lui, je sais pas, mais j'ai une idée ! Je pourrais l'inviter à déjeuner et on vous retrouve quelque part ! Je connais des endroits très sympa et kid-friendly à Barcelone !
- Oh, c'est une super idée ! Barcelone, c'est parfait ! Andreas n'a jamais vu la ville, ça sera l'occasion !
- Je serais vraiment RAVIE de vous aider, Alix ! On peut se tutoyer ?
Ma foi, elle a l'air sympa, cette Masha !
Le 2 Mai donc, au petit matin, j'embarquais direction Barcelone avec Andreas et notre valise, non sans m'être faite sermonnée par María une nouvelle fois. Je me suis également pris une remarque d'Arnaud, mais il râla un peu moins fort en apprenant que la potentielle copine d'Oscar serait présente – et, qu'en plus, j'avais prévu un hôtel, car je n'envisageais pas de dormir dans le petit appartement barcelonais d'Oscar. Masha avait été une partenaire de jeu fort efficace, m'assurant qu'Oscar lui avait accordé un déjeuner ce fameux 2 Mai et réservant une table pour quatre dans un restaurant.
Après avoir déposé nos affaires à l'hôtel, Andreas et moi avons donc rejoint le lieu de rendez-vous. Je suis un peu tendue – énormément, en fait. Je réalise désormais que ce n'était peut-être pas l'idée la plus lumineuse que j'ai eue de ma vie, ce traquenard ubuesque. Tout ça parce que j'étais trop curieuse de savoir avec qui Oscar complotait par sms... Andreas, lui, trépigne à mes côtés. Cette histoire de voir son père pour ses six ans l'enchante au-delà de tout.
Quatorze heures sonnent, et c'est dans la minute que je repère notre cible ouvrir la porte du restau et laisser entrer une silhouette devant lui. Ils s'annoncent au serveur, qui indique notre direction. Oscar et son accompagnante se tournent vers nous, et c'est un concours de stupeur qui s'engage.
Oscar se décompose littéralement à notre vue. Il n'aurait pas fait tête différente s'il avait vu un mort-vivant.
Mais alors, je dois probablement afficher la même mine. La mystérieuse Masha se dévoile enfin, et j'en reste bouche bée. Cette fille ne peut qu'être sortie d'une publicité pour Victoria's Secrets : une peau diaphane, des yeux bleu clair, un nez fin, une bouche rose pâle, des pommettes hautes, une chevelure de sirène, une robe cintrée qui souligne une taille parfaite et des jambes interminables... Madre de dios ! La voix virtuelle de Luigi vient me glisser à l'oreille : « T'as vu, la plastique qui pourrait convaincre n'importe qui, j'avais raison ou pas ? ».
Le bafouillement d'Oscar me tire de ma contemplation.
- A.... Alix ?!
- PAPAAAAAA !
Andreas bondit de sa chaise et court à travers le restaurant, sous les yeux éberlués de son père qui le réceptionne sans réaliser ce qui se passe. À ses côtés, Masha semble aux anges, et se tourne vers moi avec un sourire éclatant. Je le lui rends.
- Surpriiiiise, Oscar !, annonce-t-elle avec entrain.
Il la regarde comme un lion regarderait une salade verte.
- Co... Comment ça ? Je ne comprends pas...
- Allez, viens Oscar, on va rejoindre Alix !
- Vous... Vous vous connaissez ?!
Elle passe sa main dans son dos – ne manquant pas de le caresser de haut en bas – et lui montre ma table avec le même sourire rayonnant. Je me lève pour les accueillir, mais c'est Andreas qui prend la parole en premier :
- On t'a fait une surprise pour mon anniversaire, Papá !
- Euh... Oui... Je vois ça...
- T'es content hein ?
- Oui, oui, bien sûr que oui mon grand !
- J'ai six ans !
- Oui. C'est... Je ne sais pas quoi dire.
- Je pourrais avoir une glace ?
- Bien sûr. Évidemment.
- Avec une bougie dessus ?
- Euh, on va demander ça, oui...
Masha pose ses longs doigts fins sur ses lèvres nacrées et masque un petit rire amusé. Bon sang, même ses mains sont parfaites : y-a-t-il un seul morceau de son physique qui ne soit pas irréprochable ?
- Il est trop mignon !
Oscar a bien du mal à masquer sa gêne, et Andreas la dévisage avec le même air revêche qu'il réserve à n'importe quel inconnu. Pas déstabilisée, elle se penche vers lui et lui dit avec affabilité :
- Bonjour, Andreas ! Joyeux anniversaire ! Six ans, dis donc, tu es super grand maintenant !
- T'es qui ?
- Je m'appelle Masha. Je suis une copine de ton papa.
Oscar observe la scène avec ahurissement. Masha lève les yeux vers lui.
- Oh, Oscar, il est trognon ! Il te ressemble, non ?
- Euh... Il paraît...
Elle rigole gaiement.
- Oscar, t'es tout gêné, ça aussi c'est trognon !
Oups... On a définitivement mis les pieds dans le malaise. Oscar se cacherai dans un trou de souris s'il le pouvait, c'est certain ! Masha revient à moi et me tend la main.
- Alix, je suppose, hein ?
- C'est ça.
- Eh bien, enchantée ! Je suis Masha, en chair et en os ! On peut peut-être se faire la bise ?
Oh, waouh. Elle est vraiment avenante, cette fille ! Oscar nous observe nous embrasser d'un air médusé.
- Je suis contente d'ENFIN te rencontrer, Alix !
- Et moi donc !
- Mais... Mais... Comment est-ce possible que vous...
- TATATA, Oscar !, scande Masha en agitant son index devant son interlocuteur. On ne révèle pas les secrets d'une surprise !
- Surprise...
Oscar se tourne vers moi, et ce n'est plus de la stupeur, mais une prompte animosité que se dessine sur son visage. Hum, je vais me prendre une soufflante... En attendant, je me redresse dignement et prends ma plus jolie voix :
- Bah Oscar, tu ne me salues pas ?
Il vient vers moi, ouvre ses bras pour une inattendue accolade, et lorsqu'il les referme sur mon dos, me glisse à l'oreille un très sec :
- Bordel de dieu, qu'est-ce que t'as foutu, Alix ?!
- Je me suis démenée pour rendre un père et son fils fous de joie, tout simplement.
Il se recule, me fusille du regard et glisse entre ses dents :
- Tu t'es surpassée sur ce coup, putain.
- Merci !
Il lève les yeux au ciel, mais n'ajoute rien : Masha prend place près de moi, désignant les deux chaises d'en face :
- Andreas, tu as la place d'honneur à côté de ton Papá, hein !
Mon fils approuve d'un grand hochement de tête, et démarre le plus étrange des déjeuners. Masha est une fille extrêmement sympathique, légère et drôle. Elle est très bavarde et rend honneur à sa profession de représente commerciale – pas difficile de l'imaginer collègue de Luigi. Elle me raconte son enfance en Russie, et le déménagement de sa famille à Madrid juste avant qu'elle ne commence ses études supérieures. Elle ne cache pas son intérêt pour Oscar : à grand renfort de compliments, de douces paroles et d’œillades, la drague est de mise et Oscar ne sait pas comment réceptionner ces démonstrations d'affection. Il rougit, baisse les yeux et tapote sur la table à longueur de repas. Moi, je suis spectatrice amusée de la scène, ce qui a pour effet d'agacer fortement l'Asturien bougon qui me fait face.
- J'ai pensé à un truc, Oscar..., nous annonce Masha lors du dessert. Après le repas, on pourrait emmener Andreas à la Foire de la Feria ? Il y a des attractions et des stands, là-bas !
- Euh... Oui, très bien, on peut faire ça.
- Enfin, Alix, si tu es d'accord bien entendu ! Je ne voudrais pas m'imposer...
- Ça me paraît être une excellente idée !, aprouvé-je avec entrain.
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