22.1

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Eté 2012.

 Il a fallu quelques semaines à Oscar avant de m'annoncer qu'il était officiellement en couple avec Masha. Ce qu'il ne savait pas, visiblement, c'est que Masha me l'avait déjà dit bien avant.

  • Attends, tu papotes par sms avec la meuf d'Oscar ?, m'avait demandé María, consternée.
  • Non, pas vraiment non. Disons qu'elle voulait m'annoncer la bonne nouvelle, quoi.
  • Oh, mais c'est GÉ-NIAL !
  • T'es sarcastique...
  • Alix, faut que je t'explique à quel point c'est malsain ?
  • Non mais on ne se raconte pas nos vies non plus ! Et puis, je suis contente pour eux ! Regarde comme elle a l'air joyeuse !

 Elle s'est penchée sur mon épaule afin de lire les textos.

  • Attends, c'est quoi ça ? Non mais je rêve ou elle t'annonce qu'ils ont couché ensemble ?!
  • Euh, ouai, elle n'était pas obligée, ça...
  • Et elle t'a renseignée sur les positions aussi ? T'as l'intention de lui donner des astuces sur ce qui fait jouir Oscar ?
  • Beurk, arrête ! T'es dingue ou quoi ?
  • C'est moi la dingue ? Alix, redescends sur Terre ! Laisse-le gérer sa vie personnelle, et arrête d'y fourrer ton nez, maintenant ! Il n'a pas besoin que tu le pousses dans les bras de dévergondées sorties de nulle part !
  • La force que tu mets à le défendre, María, c'est presque louche ! Et puis je ne l'ai pas obligé à la foutre dans son pieu non plus hein ! Il était bien content de faire son affaire, j'suis sûre !
  • Ah ouai ? Sûre de sûre ?
  • Qu'est-ce que tu insinues ?
  • Cariño, je vais être très claire : l'image que tu as d'Oscar est complètement biaisée par vos récents événements, mais si tu veux essayer de faire l'effort de te projeter à l'Oscar du début de votre relation, tu te rendras compte d'à quel point ton discours est hors-sol. Jamais, nulle part, je ne vois Oscar Vázquez se jeter comme un affamé sur une nana !
  • On devrait téléphoner à Raquel pour voir ce qu'elle en pense, de ton portrait angélique !
  • Franchement ? Ça fait longtemps que je me dis que je donnerais cher pour avoir sa version à elle, effectivement.

 Elle m'avait scotchée. En quoi avoir les détails croustillants de Raquel nous feraient voir le passé différemment ? Mon histoire, je la connais. Pas la peine de ressasser ça.

***

 Mes quatre semaines de congés d'été n'ont pas été de tout repos. Je suis allée dix jours à Bréhat, comme chaque année. Arnaud a refusé de m'y accompagner « On ne va quand même pas nous encroûter CHAQUE ÉTÉ sur un bout de terre au milieu d'une mer gelée ? Le monde nous attend, Alix ! Faut voir du pays, un peu ! ». Alors, j'y suis allée sans lui. Ensuite, nous avons accompagné Andreas à Oviedo afin qu'il pose ses sacs chez son père pour les trois semaines suivantes. « Nous », car pour une fois, Arnaud était de la partie. Nous faisions tous les deux une escale d'une nuit chez Oscar, avant de reprendre l'avion en direction de la Grèce. Arnaud n'avait pas montré la moindre amabilité envers Oscar, étant même franchement agressif par moments – j'en étais gênée de nous montrer aussi peu reconnaissants alors qu'il nous logeait, nourrissait et conduisait. En face, Oscar restait le même homme poli et courtois, encaissant sans répliquer les remarques acerbes de mon amoureux. Il avait quand même déployé quelques signes d'agacement lorsqu'Arnaud avait montré un intérêt un peu trop marqué envers Masha. En effet, la belle blonde nous avait servit un défilé de tenues riquiqui, dévoilant ses jambes sculpturales et ses formes parfaites à nos yeux ébahis. Arnaud n'avait pas masqué sa stupéfaction et, dans l'intimité, il m'avait glissé sans pudeur :

  • Bah bordel, il l'a déniché où, sa bombasse ?
  • Vas-y, te gêne pas surtout, fais comme si je n'étais pas ta copine !
  • Non mais Alix, on va pas se mentir, elle est agréable à regarder...
  • Formidable ! Bah mate-la autant que tu peux, vraiment ! Fais-toi plaisir !
  • Oooooh, t'es jalouse ? Alors moi je n'ai pas le droit de te faire la moindre remarque lorsque tu DORS une semaine ENTIÈRE chez ton EX, mais si je dis à peine qu'une fille est canon, c'est le scandale ?

 Je n'avais pas su quoi répondre. Il avait ri, puis il m’avait avoué :

  • Tu sais ce qu'on dit ! Ce n'est pas parce qu'on choisi le menu qu'on ne peut pas regarder la carte... Je mate d'autres filles lorsqu'elles me tapent dans l’œil, Alix ! Je ne devrais pas ?
  • Ben... Je sais pas...

 Il m'avait prise par la taille et m'avait gratifié de son sourire de charmeur.

  • Je te mate aussi, hein, rassure-toi ! Je ne me prive pas de te regarder, les rares fois où je t'ai sous les yeux.
  • Ah ? Et je te fais toujours un peu d'effet, j'espère ?
  • Plus qu'un peu. Là, par exemple, j'ai très envie de te coucher sur ce lit et te montrer l'effet que tu me fais...
  • Non ! On ne va rien faire chez Oscar. Dans vingt-quatre heures, nous serons dans un hôtel en Grèce, et on fera toutes les parties de jambes en l'air que tu désireras... mais pas ici, non.
  • Rhoooo... T'es rabat-joie, hein. Pourtant j'adorerai te faire crier et qu'il t'entende à travers les murs.
  • Oscar dort au rez-de-chaussée côté sud, notre chambre est à l'étage côté nord-ouest... Va falloir y aller pour qu'il nous entende !
  • J'te jure que je relève le défi.
  • Non mais ça ira, merci.

 Nous avions passé un formidable séjour en Grèce. Bon, en plein Août, l'endroit était sur-fréquenté forcément, mais cela n'avait pas entaché notre bonne humeur constante et notre flegme. Nous avions visité, mangé, bullé, fait l'amour, parlé, dansé. Loin de tout et en situation de vacances, Arnaud était le plus charmant des hommes. Il payait absolument tout – ce n'était pas le genre de chose qui me faisait fantasmer, personnellement, mais il y tenait – me proposait différents programmes mais me laissait choisir, me complimentait, m'embrassait, m'enlaçait à n'en plus finir. Nous parlions de beaucoup de choses – Arnaud aimait surtout discuter de voyages, il avait beaucoup visité l'Europe et l'Asie. Il n'hésitait jamais à aller à la rencontre des locaux et tenter de discuter avec eux : il avait une parfaite maîtrise de l'anglais, meilleure que moi, et s'en sortait toujours pour se faire comprendre. Le jour de mon anniversaire, il m'avait prévu une croisière autour d'une île volcanique avec baignades dans les sources chaudes et repas gastronomique. J'en revenais ébahie, et aux anges. Vraiment, nos vacances avaient eu un goût de paradis et même, de trop peu.

 Après le 15 Août, nous avions chacun repris le chemin du travail : lui au sein de son entreprise, moi en télétravail chez lui à Paris. Nous profitions de l'absence d'Andreas pour tester la vie à deux et, ma foi, nous nous en sortions bien. Il m'avait emmenée chaque soir dans des endroits parisiens qu'il affectionnait, et je découvrais une capitale que je n'imaginais pas : douce, colorée, tranquille, magnifique.

  • Et si tu vivais ça tous les jours ?, m'avait-il glissé à l'oreille alors que je regardais la Seine en silence.
  • Tous les jours ? C'est-à-dire ?
  • Viens vivre à Paris, Alix.

 Je restais sans voix. Ce serait mentir que d'affirmer que je n'avais jamais imaginé cela, mais qu'il me le demande donnait un aspect solennel à ce projet auquel je n'étais pas encore prête.

  • Euh, je... Waouh, je ne m'attendais pas à ça.
  • Et pourquoi ? Regarde, on est bien, toi et moi ! On était bien en Grèce, on est bien ici ! Quand on n'est pas séparés, tout est serein entre nous.
  • Oui, c'est vrai... Mais il y a Andreas, je te rappelle.
  • Et ?
  • Bah, je lui ferai quitter son appartement, son école, ses copains, son club de tennis, María...
  • Il en est incapable ? Plein de gamins déménagent et ils n'en sortent pas tous traumatisés.
  • Oui, je sais, mais Andreas est sensible, et cette année a déjà été délicate alors...
  • Tu le couves trop, Alix. Faut le laisser éprouver la vie, un peu, aussi.
  • … Peut-être. Écoute, je ne refuse pas, mais il faut y réfléchir. Je ne peux pas tout plaquer comme ça, sur un coup de tête.
  • Ok..., me dit-il non sans déception. Je te laisse réfléchir, alors.

 Je regardais de nouveau la Seine. Je venais de dire un truc surréaliste. Pour la toute première fois de ma vie, j'avais affirmé : « Je ne peux pas tout plaquer comme ça, sur un coup de tête ». Et le pire, c'est que je le pensais réellement.

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