Le jeu de la déduction [2/3]

4 minutes de lecture

Deux bouteilles de champagne supplémentaires sont amenées à table où j'ai le plaisir de rencontrer Toni et Clara, deux femmes en couple. L'une plus masculine que l'autre, je trouve qu'elles se complètent à merveille. Iban aussi est homosexuel, je l'avais déjà compris. Ses mimiques exagérées, ses manières extravagantes agrémentées de sa gestuelle gracieuse, sa démarche qui semble suivre un fil invisible ou son style vestimentaire raffiné ne trompent pas. Tout comme sa voix qui accentue les syllabes. Il est direct et très drôle. Il se fend la poire avec deux autres hommes, Matthieu et Charles.

Charlie se tient assise, près de moi. Nous avons tous les deux une flûte de Dom Pérignon à la main :

— Vous n'êtes pas très bavard, dit-elle.

— Je ne suis pas mon sujet de conversation préféré.

— Vous avez quelque chose à cacher ?

— Non. J'ai peur qu'à trop m'entendre parler, les gens l'interprètent pour de la condescendance.

— On s'en fout des gens.

— Je n'aime pas parler juste pour tuer le silence. Je privilégie plutôt l'action.

Ses yeux se mettent à briller. Je suis parvenu à attiser sa curiosité. Voilà qui rend les choses beaucoup plus intéressantes.

— Vous faites quoi dans la vie ? demandé-je.

— Je suis étudiante.

— Ah bon ? réponds-je, surpris.

— Qu'est-ce que c'est que ce froncement de sourcils ?

— Est-ce qu'on peut réagir de façon tout à fait normale sans avoir à se justifier ?

— C'est vous qui avez commencé, je vous signale.

— Vous marquez un point.

Elle amène la flûte à sa bouche et prend une gorgée avant de passer sa langue sur ses lèvres. Ce petit acte anodin éveille tous mes sens. Je suis mal à l'aise, pourtant, je ne veux pas partir.

Une voix s'élève soudain et nous interpelle afin de nous sortir de ce tête à tête :

— Alors on boit un verre les tourtereaux ?

— Non, on se fait un ping-pong, ça ne se voit pas ? réplique-t-elle en réprimant un soupir. Je te présente Fabien. Fabien, James.

Tandis qu'on se serre la main, il plonge son regard dans le mien avant de sortir son plus beau sourire - qui n'a rien de beau.

— Vous ne l'aimez pas trop ? reprends-je tourné vers Charlie, après un monologue laborieux de celui-ci qui m’a coûté un tympan.

— Il se prend pour un comique mais il ne fait rire que lui, dit-elle. Je l'appelle Gueule en Biais.

Je m'étouffe de rire en prenant un coup de champagne. Je suppose qu'elle parle de son nez à l'oblique, si c'est ça, c'est caustique mais carrément tordant.

En peu de temps, je comprends pourquoi Charlie ne l'apprécie pas en tant qu’humoriste. J'assiste, malgré moi, à la blague la moins drôle au monde.

— Non... je disais « Comme ma bite », vous avez entendu ?

De quoi ? s'exclame une voix dans ma tête.

— Rhô, ça va, c'est de l'humour ! La blague, vous ne la connaissez pas ? Attendez, j'en ai une autre, un bon jeu de mots, écoute ça Iban !

J'ai honte pour lui. Le blanc qu'il vient de laisser aurait dû le calmer et lui laisser comprendre que son potentiel humour est tout simplement fastidieux. Mais au lieu de ça, il en rajoute une couche après l'autre et nous pond des jeux de mots tout aussi lamentables les uns que les autres.

— Je dirai rime riche, ponctué-je le doigt levé.

— Rime smicarde surtout ! ajoute Charlie, les yeux grands ouverts, apparemment, désorientée par ce qu'elle vient d'entendre.

Pris d'un éclat de rire, sans réfléchir, elle appuie sa tête sur mon épaule tandis que je presse ma main sur sa cuisse.

Soudain, Party Rock Anthem de LMFAO fait vibrer toute la boîte et Charlie hurle en se levant d'un bond. Elle s'empresse de se diriger vers la piste de danse en me faisant signe de la suivre.

— Je suis piètre danseur, lui confié-je.

— Savez-vous bouger ?

— Oui.

— Alors, vous savez danser, me dit-elle en s'approchant de moi pour citer Baudelaire : « La danse, c'est la poésie avec des bras et des jambes », avant de s'écarter et se perdre dans la cohue.

Une ambiance fascinante se dessine devant moi, hagard et en retrait, je regarde toutes ces personnes ainsi que Charlie se mettre à entamer une chorégraphie comme s'ils s'étaient tous entraînés ensemble juste avant. Des mecs se mettent à faire des pas de Hip-Hop, vautrés au sol ou sur leurs pieds. Ils doivent tous connaître le son tout comme la danse qui convient au morceau. Je suis captivé par ce spectacle orchestré dans un même tempo. Charlie est, désormais, sur les épaules de Matthieu ou est-ce Charles ? Un type avec un carton sur la tête fait son apparition comme si c'était normal et tout le monde l'acclame quand il se met à danser sur le refrain.

Je reste tellement concentré sur le tableau qui se dresse devant moi, que je ne vois pas Charlie se faufiler pour me prendre le bras, euphorique. Cette fille est une boule d'énergie ! Elle m'embarque alors au milieu de la foule, dans un vertige de béatitude, même mes pas de danse deviennent moins ridicules qu'ils n'y paraissent. Iban vient me prendre par le cou en hurlant les paroles. Toni et Clara sont autour de Charlie et sautillent. Je commence à aimer cette musique pour l'état de transe qu'elle nous transmet. Comme si le temps s'était arrêté. Comme si nous nous connaissions depuis des années. Dans un état de bien-être dépassant la raison. Rien ni personne ne peut stopper ce moment d'extase.

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