L'éveil
La sonnette de mon interphone me réveille d'un bond, je me retourne et regarde à côté de moi. Charlie n'est plus là. Seul un mot est posé sur l'oreiller « Encore, bon anniversaire ». Je souris face à son audace. L'interphone insiste plusieurs fois et je me lève en caleçon à la recherche de mes lunettes, avant de répondre avec une voix endormie :
— Oui ?
— Ouvre-moi mec, c'est moi !
C'est Simon qui revient de son escapade nocturne. Je laisse la porte entrouverte et cherche un t-shirt à me mettre. J'ai la gueule de bois, mes jambes ont du mal à supporter mon poids et j'ai une haleine à détacher du papier peint. Simon entre dans l'appartement.
— Oh là là ! J'ai un mal de tête, tu n'imagines même pas ! s'exclame-t-il. Il y a eu de l'action ou quoi hier ? ajoute-t-il en retirant ses lunettes de soleil.
— De quoi ?
— Ne fais pas l'innocent, c'est quoi ces griffures dans ton dos ?
Je me précipite devant mon miroir pour regarder l'état de mon dos. Charlie m'a agrippé si fort que mon épiderme est profondément marqué. Souvenir d'une nuit que mon corps gardera en mémoire pour le restant de la semaine au moins.
— C'était chaud hier soir ?
— Brûlant.
— Avec ta jeune femme observable mais pas touchable, ricane Simon en me regardant mettre mon t-shirt.
— Elle-même.
— Et bien, tu es un homme de promesse.
Je suis comme cet adolescent qui vient de perdre son pucelage. Je suis léger et même les vannes de Simon ne m'atteignent pas.
— Alors raconte ? me sort-il, impatient de connaître les moindres détails.
— Un gentleman ne raconte pas cette partie de la soirée.
— Et bien si tu veux je peux te raconter la mienne.
— Non merci, ça ira. Je préfère garder en mémoire ma nuit que de t'imaginer en plein ébat, vois-tu ?
— Oh détrompe-toi, je suis très beau tout nu.
— T'as pris un petit déjeuner, toi ? lui demandé-je pour clore le sujet.
— Non, je suis parti ce matin. Pas le temps de prendre de douche, ni d'avaler quoique ce soit.
— T'es beau toi, tiens !
— Ne change pas de conversation. Dis-moi que tu as un numéro, une adresse ?
— Non, rien, lui réponds-je avec un air abattu.
— On dirait ta fameuse nuit avec Anastasia, c'est comme ça qu'elle s'appelait ta Mrs Robinson ?
— Ouais.
— T'as un prénom au moins ?
— Charlie.
— Charlie comment ?
— Je n'en sais rien.
— Quel âge ?
— Vingt et un an.
Il lève les sourcils avec des yeux pleins d'envie avant de rajouter :
— Là, je crois que tu détiens le trophée du plus vieux beau qu'il soit.
— La ferme, toi ! Je ne suis pas vieux.
— Contrairement à elle, si. Mais bon, pour coucher avec toi, c'est que ça ne lui a pas déplu.
— Elle a voulu venir chez moi, on était tous les deux très alcoolisés. Et c'est elle qui a commencé, d'accord ? Au début, je ne voulais pas, puis elle a insisté.
— Bien sûr. Dans deux jours, tu vas me dire qu'elle t'a violé.
— Bon ta gueule.
— Je plaisante, ma couille. Tu sais si j'étais gay, je t'aurais sûrement sucé aussi, affirme-t-il avec un ton ironique.
Je pouffe de rire et le regarde attraper ses affaires dans la valise.
— Tu vas prendre ta douche ou j'y vais ? me demande-t-il.
— Non vas-y.
Pendant que Simon monopolise la salle de bains, j'enlève les draps pour les mettre dans la machine à laver. Ça sentait toujours son parfum, une odeur corporelle partagée entre l'encens et la peinture fraîche.
Cette fille est une œuvre d'art en réalité, son corps divin, son état d'esprit ingénieux et même son arôme naturel sent l'enduit, le vernis, et l'huile que l'on retrouve dans la peinture. Comment cela peut-il se faire ? Est-ce moi qui suis si imprégné par tout ce qui concerne l'art, que je me sens obligé de l'y assimiler aussi ?
L'odeur de peinture est néfaste pour ceux qui la hument. Rembrandt voyait ça comme une conception toxique de la peinture. Symboliquement, je peux présager ça comme un danger. Néanmoins, j'ai toujours aimé cette odeur. Depuis petit, elle m'a toujours fait voyager dans le temps.
Charlie pourrait-elle être un danger ? Il est vrai que j'ai eu beaucoup de femmes qui m'ont séduit mais jamais comme elle, entre insolence et poésie, sincérité et manipulation. Une énigme à résoudre. On a joué un jeu d'enfants qui nous a emmenés jusque chez moi. On s'est envoyé la balle, l'un essayant de dominer l'autre. Ça a commencé dans nos conversations, à celui qui lirait le mieux dans les pensées de l'autre. Un jeu pour qu'elle me domine dans les préliminaires, puis se soumette corps et âme au cours de l'ébat sexuel, avant de retrouver le contrôle pour qu'elle reparte tout comme elle l'a fait, sans même un au revoir, une adresse ou un nom. La balle est désormais dans son camp et je n'ai plus qu'à attendre qu'elle me la renvoie. Frustrant, encore une fois.
Simon, débarrassé de ses excès nocturnes, me laisse place sous la douche où j'ouvre les robinets et laisse l'eau chaude ruisseler sur mon corps. Eau tempérée qui m'arrache soudain un cri, faute à la douleur provoquée par les éraflures ancrées dans mon dos.
Ça en valait la peine, non ? Charlie est parvenue à me faire sortir de ma morosité. Sa simple présence a suffi à mettre tous mes sens en éveil. Elle a su raviver mes fantasmes, mis au placard durant ma vie auprès de Lauren. Elle qui ne supportait pas ce côté despotique et autoritaire dans nos ébats amoureux.
J'ai malgré tout envie de recommencer. Récidiver encore et encore. Sans amour, sans attachement, juste du sexe avec Charlie. Sa peau contre la mienne. Rien d'autre. Ses doigts refermés sur mon sexe, sa langue dans mon oreille...
— Hé, tu te branles ou on va se faire un brunch Casanova ? entends-je crier.
— C'est bon, j'ai fini ! hurlé-je en fermant le robinet de la douche.
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