Partie II - les jambes

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Elles sont associées à l'équilibre et à l'avancée, liées à la chance, symbole du lien social. Elle permet les rapprochements, favorise les contacts, supprime les distances.

2.

Le mois d'octobre pointe le bout de son nez, nous plongeant en plein cœur de la saison automnale. La pluie ruisselle à torrents dans nos gouttières, martèle nos fenêtres et inonde les caniveaux. Huit jours que cela dure sans accorder le moindre répit aux parisiens qui deviennent encore plus hostiles qu'à l'accoutumée. Des feuilles jonchent déjà nos trottoirs de leurs couleurs jaune orangé. Les parcs et les squares sont vidés, délaissés comme des lieux fantômes.

La mine renfrognée, face au décor que m'offre ma fenêtre, je repense à ce mois écoulé depuis la rentrée. Les cours se déroulent à merveille, grâce aux étudiants particulièrement réceptifs qui composent chaque groupe. Une aisance qui m'a permis de leur enseigner la symbologie biblique qui représente une grande partie de l'histoire des Arts, de la Création avec L'Adoration mystique, Adam et Eve de Jan Van Eyck, en passant par Le Repas chez Lévi de Véronèse jusqu'à La Descente de Croix de Rubens. La conception du symbole religieux ne figure pas dans ma rationalité du symbolisme - non pas que je renie les interprétations bibliques représentées en ces œuvres - car celles-ci sont une évidence dans la peinture, il n'y a pas une œuvre dont l'enjeu n'est pas celui de faire passer un message théologique, une politique divine ou toute autre forme de spiritualité. Par l'étude des tableaux que retracent la Bible, par exemple, je souhaite démontrer que ce qui s'affiche sous nos yeux, n'est peut-être pas la vérité. La vérité se définit par celui qui l'interprète de sa vision. Un symbole peut avoir plusieurs significations et on se doit de le replacer dans son contexte. C'est cela dont il est question. Leur faire étudier les manifestations diverses que l'on rencontre à l'individuel comme au culturel, ou de l'exotisme au quotidien. Qu'on le veuille ou non, une grande majorité des symboles d'aujourd'hui repose sur les symboles religieux d'autrefois.

Une notion particulièrement dure à ancrer dans les esprits et à travers laquelle je n'ai pas lâché. Prenant exemple par exemple et accordant le temps suffisant à chacun. Les cours en amphithéâtre aident à les mettre aussi dans les événements historiques du mouvement artistique étudié. Un travail non sans peine qui a permis à une grande majorité de conceptualiser l'idée.

De la buée s'est formée due à la condensation de la pluie battante et de mon souffle chaud dans l'appartement.

Une sensation de mélancolie me submerge, seul dans mon grand appartement parisien à observer les quelques gouttes qui glissent le long de ma fenêtre, je rêvasse sur cette étudiante qui m'intrigue. Cette jeune femme sur laquelle je fantasme. Bien sûr, je ne laisse rien voir lorsque je la croise dans les couloirs, rieuse et somptueusement stylée.

J'insiste sur les vêtements car, comme si elle aimait me torturer, elle a pris la fâcheuse habitude de se vêtir que de bas courts. Un short ou une jupe, tout semble lui aller à la perfection et me laisse le loisir d'admirer ses magnifiques jambes perchées sur des bottines à talons. La courbe qui se dessine de sa cuisse aux chevilles, me fait de l'œil chaque fois qu'on se rencontre. Elle ne cesse jamais de les croiser et de les décroiser quand elle est assise en cours. De les frôler l'une contre l'autre quand elle marche. Une véritable torture. Si brillante, si avenante et si intervenante. Elle a cette faculté d'attirer le regard de quiconque la croise. Moi le premier ! Suis-je pathétique ? Possible, oui. Mais est-ce néanmoins un crime ce fantasme de vouloir à tout prix coucher avec elle ? Une étudiante. Mon étudiante, avec qui j'ai passé une nuit. Probablement la plus passionnée de ma vie ! Ou est-ce ce contexte bien plus restrictif ? Cet interdit qui brise tous les tabous et me laisse paraître tel un adulateur ?

Jeudi après-midi. Alors que je chemine pour aller donner mon cours, je tombe nez à nez avec Charlie, habillée d'un trench beige, d'une robe uniforme grise et d'un chapeau feutré de la même couleur. De sa démarche assurée, elle avance dans la même direction que moi. Élégance, charisme, prestance, tous les adjectifs de l'esthétisme lui colle à la peau. Je reste en retrait, reluquant ses jambes protégées d'un fin collant noir. C'est fâcheux - pour ne pas dire insoutenable - d'en être réduit à se satisfaire que d'un modique regard, après cette chance démesurée d'avoir pu la toucher. Ressentir son corps dénudé plaqué contre le mien.

Ceci étant, en plus de la mater, mon esprit reste tellement obnubilé par sa présence, que je ne remarque pas immédiatement qu'elle s'est arrêtée devant la salle de cours et s'est retournée face à moi. Arraché de la sorte à mes rêves, mais surtout gêné de me faire surprendre en train de la reluquer, je feins de m'intéresser au mur. Pris la main dans le sac pourtant, alors qu'elle m'étudie depuis un instant, elle affiche son air inexpressif, avant de me rétorquer qu'il serait préférable que je lui passe devant. Honteux sur ce coup, je suis incapable de savoir ce que lui a procuré ce fait d'être passé devant elle, sans même un échange de regard, avant de prendre grand soin d'imposer une distance plus que convenable entre nos deux corps.

Minable.

Près d'elle, je me sens maladroit, inapte à réfléchir correctement et désarmé, sans savoir ce qu'elle peut ressentir. J'ai la sensation d'être seul à la remarquer, à ne pas être passé à autre chose, comme un jeune préadolescent amoureux. Elle, elle ne laisse rien percevoir depuis notre dernière conversation. Je pensais que je lui plaisais encore. Qu'il y aurait sans doute une suite.

Et aujourd'hui j'en suis là, sans plus aucune certitude. Certes, elle est toujours active en cours, mais c'est dû tout simplement à son intérêt en la matière et rien à voir avec moi : ses interventions sont toujours devancées par un « bonjour, monsieur » ou suivies d’un simple « au revoir, professeur » des plus formels. Comme si je m'étais fait larguer une seconde fois par Cindy Fisher, ma première « amoureuse » au primaire. Je lui avais demandé de sortir avec moi et elle m'avait balancé comme un mal propre. Simon avait proposé de lui mettre sa culotte sur la tête à la récréation pour la punir. Il était déjà très créatif. Dans tous les cas, ça m'avait servi de leçon. Après ce désagrément honteux, jamais je n'avais fait le premier pas.

Quoi qu'il en soit, je suis sûr de plaire à une autre étudiante : sa copine, Camille Durand. Également dans le groupe de TD2, elle n'a aucune gêne à me draguer ouvertement. Elle suçote son stylo en me fixant du regard, ou fait exprès de faire tomber une feuille, sa trousse. Un jour, elle m’est rentrée dedans, puis a feint un acte involontaire, pour que je l'aide à ramasser ses affaires. Ce jour-là, elle en a profité pour me remercier d'être aussi galant. M'a prétendu qu'il était rare de trouver des hommes comme moi, si beau et élégant. Gênant ? C'est un euphémisme. En fait, elle me met constamment mal à l’aise. S'il y a quelqu'un d'autre que moi qui est apte à connaître les langages corporels de la séduction, ce n'est certes pas cette Camille Durand. Elle ne séduit pas. Elle drague. Et très mal. Je vois bien qu'elle est populaire dans l'université. Si Charlie attire les regards des étudiants, Camille, elle, elle se fait rentrer dedans par eux. C'est une jeune femme très ouverte et elle ne fait rien pour le cacher. C'est le genre de femme déterminée à arriver à ses fins. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Elle n'aurait pas été mon étudiante, je ne l'aurais pas non plus touchée. Non pas qu'elle n'est pas jolie, blonde vénitienne, coquette et sûre d'elle. Personne ne peut prétendre qu'elle soit hideuse. Son air hautain est repoussant. Menton relevé, dos droit, elle se positionne comme une supérieure hiérarchique. Son extravagance et sa désinvolture indiquent qu'elle cherche à attirer les regards et se rendre intéressante. Je la surprends même à regarder Charlie, ses yeux emplis de mépris, lorsque celle-ci donne de bonnes réponses. Le pourpre reste omniprésent sur son esthétisme. Maquillage, vêtements ou accessoires de mode, c'est à coup sûr une couleur qu'elle affectionne. La couleur est une interprétation symbolique universelle, elle ne se trompe que très rarement sur l'état d'esprit d'une personne. Le pourpre, qui n'est ni un rouge de la passion ni un bleu de la raison, symbolise le luxe, la richesse et le pouvoir.

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