A celui qui se préservera [1/2]
Nous avons convenu d'un prix de réserve s'élevant à près de 87 000 euros, soit environ 74 400 livres sterling. Sir Chambers exige avoir un droit de suite. Comme il l'a fait remarquer, cette œuvre provient tout droit de la collection de son père. Donc, de gré à gré, nous nous sommes mis d'accord pour récupérer le tableau d'Eugène Delacroix que j'ai baptisé « Marins chargeant leur bateau sous le ciel normand ». J'ai pu récupérer les certificats de provenance et d'authenticité.
Quelques jours après notre accord, pourtant, j'ai eu des nouvelles de Luke Chambers, me demandant de passer chez lui. Il habite dans la Grande Couronne, en dehors de Paris, à Marly-le-Roi. Sa demeure est l'une des plus prestigieuses du coin.
Sir Chambers a dans l'idée de vendre deux autres œuvres : une authentique sculpture de Rodin et un tableau de Millet que j'ai reconnu comme étant Le Rocher du Castel. Comment est-ce possible que son père ait eu une si importante collection portée à un prix aussi inestimable ?
Les œuvres exposées dans une immense salle, offrent à mon regard des portraits, des paysages, des scènes historiques et même bibliques. Elle est entourée de vertigineuses bibliothèques remplies de livres anciens. Des ouvrages que jamais je n'ai entrevus que dans les plus grands musées, ou les plus vastes bibliothèques du monde. Je reste admiratif devant tant de savoir, de culture et de connaissances réunis dans une seule et même pièce.
Je fais comme pour le Delacroix. Après une rapide expertise, je prends entre mes mains tremblantes de fougue et d'exaltation les contrats d'authenticité et de provenance. Je lui propose de repasser dans les jours qui viennent afin de récupérer les œuvres pour les restaurer. Je tiens là une exposition de vente privée qui fera grincer des dents plusieurs marchands d'art à travers le monde. J'en suis certain. Des trésors dans ma propre galerie. Indiscutablement, je vais devoir mettre les bouchées doubles. Car il faudra que tous les biens soient vendus dans un court délai. Fin mars serait l'idéal.
En parallèle, les partiels approchent pour les étudiants de la Sorbonne et mes derniers cours, en cette fin d'année universitaire se veulent être des révisions. De surcroît, j'évite Charlie depuis les révélations faites par son chef restaurateur vis-à-vis de Maria Federighi. Mais, à ma surprise, elle n'essaye même pas d'entrer en contact avec moi et cherche également à me fuir. La dernière fois que nous sommes entrés dans un contact intime – en-dehors du moment à l'Atelier – avait été la remise de son compte-rendu sur La Vénus d'Urbin de Titien devant la classe. Étonnée par le contenu, elle m'avait adressé un timide sourire. J'ai, certes, peur qu'elle découvre une part de vérité dans mon passé mais je ne peux m'empêcher de lui faire un dernier clin d'œil, lui prouvant que je n'oublie rien.
La semaine de partiels se trouve très intensive. Nous sommes peu de professeurs pour beaucoup d'heures d'examens à surveiller.
Puis, Charlie a fini par céder à notre dérobade. Le dernier jour des partiels, le vendredi à la fin des examens et début des vacances de Noël, elle m'a suivi jusqu'à ma station de métro.
Je suis plongé dans une conversation très importante avec Hannah et Simon en ce qui concerne les préparatifs de la vente privée du Delacroix, du Millet et du Rodin. Récentes œuvres dénichées dont je suis ravi d'apprendre que peu de détails de restauration et de nettoyage sont à effectuer. Ce qui veut dire que durant les vacances, les œuvres vont pouvoir faire leur voyage direction la Grande-Bretagne, à l'adresse de la Smith Art Gallery.
Submergé, ensuite, par le coup de fil de Drew - le meilleur commissaire d'exposition que je connaisse en Angleterre - pour qu'il puisse se charger à ma place de l'agencement des lieux, d'exposer les pièces présentées et d'en faire le catalogue avec bibliographies de chacun des artistes. Bien évidemment, je lui ai laissé déjà plusieurs choix que j'ai moi-même rédigés. Hannah est une professionnelle en termes de graphisme, je sais qu'elle assurera pour la médiation. En temps normal, je m'en occupe moi-même. Mais là, avec mon double emploi et quelques 500 km qui me séparent de ma péninsule natale, je ne peux pas me consacrer à 100%, même si toutes les décisions à prendre doivent impérativement passer par moi.
Cela étant fait, je n'ai remarqué la présence de ma mystérieuse étudiante qu'à la sortie du métro.
— T'es sortie à cette station ? lui demandé-je surpris de la voir.
— Eh oui ! Quarante-cinq minutes de trajet sans m'apercevoir. C'est vraiment que votre vente privée vous prend tout votre temps...
— Effectivement..., laissé-je penser qu'elle ne devine pas le pourquoi de mon soudain revirement d'attention à son égard.
— Désolée, j'ai voulu me consacrer entièrement à mes examens et n'être perturbée par personne. Vous ne m'en voulez pas ? s'excuse-t-elle, apparemment confuse.
— Non. Comme tu as pu le constater, j'avais l'esprit ailleurs.
— Vous avez prévu quelque chose ce soir ? avance-t-elle.
— Non, dis-je soudainement, surpris moi-même par la réponse rapide que je lui offre.
Elle avance sans rien dire, un sourire aux lèvres, ses yeux cernés de fatigue qui ne réclament qu'à être reposés.
— Quoi ? Tu voudrais venir chez moi ? m'étonné-je.
— C'est si grave ? lâche-t-elle en faisant la moue. Je ne resterai pas longtemps. Le temps d'une demi-heure ou une heure. Cette semaine a été si éprouvante.
Je regarde autour de moi. Suis-je assez fou pour accepter de l'amener chez moi après ma récente découverte sur les rapports de travail qu'elle entretient avec Maria ? Fou au point de me jeter moi-même dans la gueule du loup ?
— Et dis-moi, pourquoi je t'inviterais chez moi ?
— Parce que j'ai acheté un superbe body en dentelles que je cache sous mes vêtements, et je tenais absolument à vérifier s'il ne m'allait pas trop serrer. Vu que je l'ai piqué entre midi et deux chez Victoria Secret's, explique-t-elle en commençant par dézipper son manteau en daim.
— Non ! Tu n'as pas fait ça ?
— Alors, vous m'invitez ? dit-elle en me montrant le tissu du body en dentelle blanc qui recouvre son sein, tout en laissant se dessiner son mamelon rose.
J'ai eu un temps d'hésitation. Quel est le pourcentage de chance que Charlie découvre que Maria et moi sommes de vieilles connaissances ? Avec un lien plus que douteux ? Les journaux, internet et encore, pas sûr.... Il va falloir que j'interroge Charlie sur certaines propensions à se pencher sur mon passé et ma vie privée, si ce n'est déjà fait.
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