Opus médico-chymicum
Après avoir fait mon cours prétendu « antiféministe » par Charlie, elle s'est empressée de sortir de la salle de classe pour me rattraper et venir me fustiger de reproches concernant Ève, Marie-Madeleine et toute la gent féminine existante depuis le début de l'Humanité jusqu'à aujourd'hui.
J'assure être totalement mordu par cette jeune bohème, séduisante et hyper cérébrale, mais, j'ai aussi pris le bon soin de l'écouter sans trop m'étendre, au risque de me ramasser d'innombrables répliques bien cinglantes. Je débats sur un tel sujet seulement après nos parties de jambes en l'air. Son ton est moins rude et son attention est entière. C'est un fait. Charlie est un volcan, prêt à entrer en éruption n'importe quand et lorsque que tout ce qu'elle a à relâcher est sorti, elle s'adoucit. Cela étant, à ce moment précis, je suis un vrai salopard.
— Rousse, Monsieur Taylor ! Non mais vraiment ! Merci le symbole de la femme objet, hein ? Le roux flamboyant de la convoitise ! C'est aberrant que vous puissiez faire cours sur ce genre de peinture à la noix ! D'un vieux bougre qui calomniait Marie-Madeleine !
— Mademoiselle Mahé…, tenté-je de calmer la discussion.
— Sincèrement, dans ces peintures de vieux cons, Ève est sans cesse la tentatrice. Réduite à être le malheur de toute l'humanité et Marie-Madeleine, traitée comme une prostituée !
— Charlie, Charlie..., murmuré-je en lui faisant signe de baisser d'un ton.
— En aucun cas, je vous laisserais dire ce genre d'imbécillités ! Même grand expert que vous êtes ! me fustige-t-elle en me montrant du doigt.
— M. Taylor ? entendis-je.
Sauvée par Nathalie, qui vient couper-court notre conversation - fort heureusement -, pour me prévenir que la doyenne aimerait s'entretenir avec moi dès que je serai libre. Moment opportun pour finir ce débat - que dis-je ? - ce monologue.
Charlie et Nathalie se saluent. Son ancienne enseignante lui demande si cette année elle s'en sort et si mon cours l'aide dans sa quête de la vérité.
— Pas tous les jours, précise-t-elle en me toisant avec mépris.
Encore l'histoire du féminin maudit en travers de la gorge. Pour finir, elle lui souhaite bonne chance pour les partiels de cette fin de second semestre. De mon côté, je remercie ma collègue pour l'information et je tourne les talons en ayant eu le temps de lire sur les lèvres de mon amante « on n'en a pas fini ».
En arrivant devant la porte, j'entends une voix qui me prie de rentrer. Pour autant que je sois déjà entré dans son bureau, je ne me souviens pas avoir vu cette toile de L'Opus medico-chymicum de l'alchimiste Johann Daniel Mylius, tiré d'un traité publié en 1618. Assise dans son fauteuil ergonomique, derrière son grand bureau ovale en bois vernis, je n'ai pas le temps de détailler la pièce que la Présidente me demande d'entrer :
— Monsieur Taylor ! Bonjour. Vous avez pu vous libérer, alors ?
— Bonjour, Madame Delacour, lui réponds-je en lui serrant la main. Oui, j'avais du temps.
— Je vous prie de m'excuser, j'aurais dû vous prévenir bien avant. Mais j'ai été prise de court.
— Ne vous en souciez pas, la rassuré-je en jetant à nouveau mon oeil expert sur la toile.
— Je vois que vous vous intéressez au tableau derrière moi ?
— Oui. Je ne vous savais pas un lien avec des sciences occultes aux pratiques mystiques, Madame la Proviseure, soupçonné-je.
— Qu'est-ce que vous imaginez là enfin ! me réplique-t-elle d'un ton enjoué.
— Allons ! L'alchimie occidentale a élaboré des pratiques en provenance de l'Egypte Antique et de la Mésopotamie lors du Moyen-Âge en Europe, et, nous savons, vous et moi, les fusions techniques chimiques gardées secrètes et surtout les spéculations mystérieuses entourant ces parties du monde dans des Temps archaïques.
Pour toute réponse, elle me sourit chaleureusement :
— Asseyez-vous. Je voudrais vous parler de deux sujets importants, me coupe-t-elle avec diplomatie.
— Dites-moi, dis-je intrigué, m’exécutant à sa demande.
— Le premier étant que certaines personnes aimeraient assister à vos cours.
— C'est-à-dire ?
— D'anciens étudiants. Des groupes qui aimeraient en faire des conférences ou des colloques sur vos cours et de votre connaissance de l'art et de la symbologie. En l'occurrence, il serait bénéfique qu'ils y assistent le vendredi matin. Ne vous inquiétez pas ils ne jugeront en rien. Au contraire, ils ont eu vent de vos analyses et seraient intéressés par les interprétations symboliques que vous faites étudier à nos élèves.
— Je ne m'en fais pas. Bien sûr, s'ils veulent assister au cours, je n’y vois aucune contrainte. Y a-t-il une quête ? rétorqué-je en tentant la carte humoristique.
— Ces personnes sont des élites du corps politique, scientifique et artistique. Des mécènes.
— Dois-je avoir à faire à certains rangs de la franc-maçonnerie ?
— Je n'en sais rien, Monsieur Taylor. En tout cas, ne faites pas attention à eux.
— Je vous assure, ce qui m'importe c'est le travail fourni à mes étudiants. Rien d'autre.
— Une idée sur un sujet en particulier qui pourrait les intriguer ?
— Dans un mois environ, je ferai un cours magistral sur les Sept Péchés Capitaux.
— C'est parfait. Pour celui-ci, vous aurez l'Amphithéâtre Richelieu.
Pardon ?
Je suis tellement ému que le simple merci, que je lui adresse, ressemble à une minauderie d'une vierge effarouchée lors d'un compliment.
— De rien, Monsieur Taylor. Deuxième sujet. C'est à propos de Mademoiselle Charlène Mahé.
— Oui ? m'empressé-je de répondre en essayant de ne pas être surpris.
— Vous entendez-vous bien ?
— Comme un enseignant avec son étudiante.
— Quelle relation entretenez-vous ?
— Comme je viens de le dire, Madame Delacour.
— Car, cela fait plusieurs mois que l'on vous voit discuter avec elle en-dehors des cours et des rumeurs commencent à circuler.
— Quel genre de rumeurs ?
— Enfin... Je suis là juste pour vous rappeler que notre Université est très à cheval sur la déontologie. Et je ne tolérerai pas une relation plus approfondie entre une étudiante et son enseignant.
— Soyez sans crainte. Mahé et moi partageons des points de vue identiques. Rien qui ne puisse vous inquiéter sur un rapprochement quelconque, réponds-je d'un air serein et très convaincant. Est-ce que ces accusations vous parlent aussi des débats qu'il y a dans mes cours ? Charlène Mahé y est très active. C'est pourquoi nous conversons assez souvent. Elle est curieuse. Mais, à voir votre expression quelque peu étonnée, je constate que les ragots désirent parler de sujets toujours plus scabreux. Et je ne pense pas que Mahé soit le genre de jeune femme à coucher pour avoir de bonnes notes. Elle est suffisamment intelligente pour ne pas se rabaisser à ce niveau et elle est entièrement capable de réussir seule.
— Vous avez en tout cas l'air de l'apprécier, insiste-t-elle, les mains jointes sur le bout de ses lèvres.
— J'admire le travail bien fait, Madame Delacour, assuré-je en croisant les jambes, appuyé contre le dossier de ma chaise.
— Très bien alors. Je pense que tout est au plus clair ! Je vous laisse donc retourner vaquer à vos occupations Monsieur Taylor.
Je me lève et avant de tourner les talons je lui dis :
— Savez-vous que l'alchimiste s'engage aussi - à travers nombreuses opérations de transmutation - à convertir l'impur à la pureté ? Dans une quête spirituelle appelée à le mener des ténèbres à la lumière ?
— Il en va de soi. C'est pourquoi votre présence dans cet établissement en est la preuve. Bonne fin de journée, Monsieur Taylor.
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