Qui suis-je ?
Les journées deviennent sombres et les nuits trop longues. Sans cesse, mon esprit s’écharpe un peu plus à chaque instant, face à des questions restées sans réponses. Je me suis rendu à l'Université d'un pied lent, le visage froissé, donner mes cours durant les trois derniers jours qui me restent avant que les vacances scolaires ne commencent.
Le jeudi, Charlie nous a fait l’honneur de son absence. Est-elle aussi mal que moi ? Sûrement pire, vu qu'elle n'a même pas eu le cran de se déplacer. Je revois son visage enflammé de colère. Son teint livide aux yeux grands ouverts chargés de larmes. Ses marmonnements qu'elle seule comprenait. Je ne l'ai pas reconnue. Et ces quelques mots qui m'ont empêché de dormir la nuit : « Ni qui tu es ? Ni qui je suis ? ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'en saisis pas le sens. Parfois des idées saugrenues me traversent l'esprit : Se connait-on ? Est-elle la fille d'un ami ? D'un client ? M'aurait-on fait un enfant dans le dos ? Est-elle... ? Mais, vite ce soupçon sort de ma tête tant il est dégueulasse et indécent. Puis, je me suis toujours protégé, à part avec Lauren.
Lauren. Tout était si simple quand elle était encore en vie. Elle m'aurait sûrement montré le bon chemin et elle aurait été près de moi surtout. Je ferme les yeux et sens sa main passer sur mon front, caressant mes yeux au passage, en me murmurant « Tu trouveras la réponse et tu comprendras ».
Ma tête se cogne au carreau de ma fenêtre et une larme m'échappe. Ma vie sans Charlène Mahé est devenue morose. À travers la vitre, je trouve Paris sombre. Ces parisiens qui s'agitent sans politesse. Courir comme s'ils faisaient le marathon chaque jour à chaque minute. Il n'y a plus de beauté dans la capitale. Il n'y a plus de couleurs, ni d'amants au coin de la rue qui s'embrassent à pleine bouche. Il n'y a que luxure. Oui. Une vitrine de luxure et de mensonges, de manière à entrevoir la femme idéale pour toi. Cette âme sœur que les livres nous décrivent, que les films ancrent dans les cœurs. Il n'y a rien. Ni passions, ni bien-aimée. Nous ne sommes que désir. De simples humains dans le besoin de ne pas se sentir seul. Elle n'est rien.
Voilà, dis-toi cela, James.
Rien. Juste une ligne dans un chapitre. Elle est farouche, sauvage, imperméable, impassible, fuyante et lâche.
Je n'ai plus la force de trouver une once d'inspiration. Ni de créativité. J'évite mes collègues pendant les quelques jours avant les congés. Il me faut rapidement prendre un avion pour retourner à Londres. Loin de Montmartre. Loin de la Sorbonne où tout me rappelle Charlie. Séparer de ses débats. M’extraire de sa grâce séductrice. M'écarter de ses petites répliques authentiques à elle. Charlie qui interprète mes tableaux. Charlie qui aime déduire. Charlie qui peint. Charlie.
Cependant, dans mon appartement de Chelsea, rien ne s'arrange. Je ne suis pas sorti de chez moi depuis une bonne semaine. La grippe. Faut dire d'être à moitié à nu sous la neige ça n'a pas aidé ! Je traîne chez moi. Tantôt au téléphone avec Simon et Drew - pour leur suggérer quelques détails pour l'exposition -, tantôt en train de vider mon frigo pour éviter de mourir de faim. Je n'effectue aucun rangement. Je passe mes journées sous un plaid en me perdant dans mes réflexions et à finir quelques fonds de bouteilles d'alcool qui traînaient encore depuis l'année dernière.
Simon est passé à peu près tous les jours. Mon ami fidèle a dû me lever pour me mettre sous la douche. Betsy et Sasha sont venues faire le ménage en me sermonnant. Mais, c'est Paul qui m'a remonté les bretelles. Me remémorant que la vente se faisait la semaine prochaine et que j'avais bossé dur ainsi que Simon, Drew et Hannah pour cette exposition. Que les potentiels acheteurs avaient besoin de voir James Taylor en grande forme, prêt à pulvériser le record d'une vente d'un Maître.
Après quinze jours à m'apitoyer sur mon sort, j’ai rangé et nettoyé mon logis. J'ai pris une bonne douche, suis passé chez le barbier et chez le coiffeur. J'ai fait quelques courses, puis, élégamment vêtu, je me rends à la Smith Art Gallery où mon adjoint - à qui je dois beaucoup - et ma merveilleuse Hannah m'attendent :
— Let's go. Parés à entrer dans l'Histoire, les amis ?
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