Les Sept Péchés Capitaux [2/2]

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— Je vous prie de m'excuser Monsieur, mais je ne vois pas le rapport avec la partie de l'envie ? déclare Charlie.

— Mademoiselle, je parle de la Genèse et du Péché Originel !

— Vous osez donc utiliser un support réécrit par Constantin Ier et l'Église de Rome au Concile de Nicée ? C'est votre preuve ?

— C'est un fait avéré. Ève nous a amené à notre perte par la tentation, l'envie et la convoitise.

— Le féminin était sacré bien avant que les religions monothéistes débarquent dans nos mœurs. Elle était déesse-mère et l'Église de Rome a éliminé ce fait avéré, Monsieur. Savez-vous pourquoi ? raconte-t-elle avant d'y répondre elle-même. Parce que les hommes ont toujours eu peur des femmes, leur pouvoir et leur capacité de donner la vie. L'Église a trouvé en cela une menace pour la montée du Christianisme majoritairement masculine. Ce n'est pas Dieu qui a créé le concept du péché originel, mais bien l'homme qui a soumis la femme en esclavage et l'a ainsi considérée comme hérésie. Donc, Ève a été à l'origine du déclin de la race humaine - il fallait bien trouver quelque chose pour démontrer leurs propos sordides. C'est par la faute du pouvoir conquit par le fer et le sang que celle qui était déesse matriarche de la vie et sacrée s'est retrouvée dégradée à l'état de servitude et ennemie même de l'homme. Si vous voulez absolument vous référer à un livre Saint, je vous suggère plutôt de vous pencher sur des ouvrages sacrés tels que celui de Babylone ou des périodes mésopotamiennes. Vous y trouverez des similitudes et une toute autre véridicité, taquine-t-elle avec un sourire narquois.

Soudain, l'homme sourit.

— Vous tenez bien le débat, Mademoiselle. Mais, un fait semble vous échapper ...

— Je me doute, vu que ce monde est détenu par des personnes qui ne sont pas à ma place.

— Pourrions-nous poursuivre s'il vous plait, coupé-je avant que l'homme ne réponde, mettant un terme à cet acharnement. Continuons avec Avaritia : la cupidité, l'avarice. En remontant en haut, à la gauche du tableau.

— On voit un individu riche soutirant de l'argent à un pauvre homme d'un côté et soudoyant un juge de l'autre, répond Laurianne.

— Oui, mais encore ?

— L'allégorie du chapeau, lâche Charlie.

— Oui ?

— L'avare garde son chapeau alors que le pauvre homme et le juge, ont tous deux leur chapeau en main, une forme de politesse. Lui n'en a aucune. Il se sent supérieur.

— Très bien vu Mademoiselle Mahé. Scène suivante.

— La gourmandise, en latin se dit Gula, commence à dire Valentin. Les personnages en haut du cercle festoient sans retenue et illustrent la gloutonnerie. La nourriture est servie par une religieuse. Tandis qu'ils s'empiffrent, un enfant défèque dans ses vêtements.

— Oui, la signification ?

— En observant les deux grossiers personnages, on constate que la gourmandise va de pair avec l'ivresse.

— Pourquoi une religieuse ?

— Pour le contraste divin. Dans chaque partie nous remarquons une représentation du Bien ou du Mal. Par exemple. On a vu dans l'Avarice, un livre ouvert : la Bible ? fait remarquer Charlie.

— La demoiselle a raison. C'est un fait chez Bosch comme vous avez cité en début de cours Monsieur Taylor, poursuit une femme, aimablement. Le peintre est à l'origine de susciter une forme d'effroi en accomplissant la fonction de l'image religieuse – émouvoir l'affectum devotionis du croyant – en encourageant sa peur et sa terreur du démon.

— Je vous rejoins parfaitement sur ce détail, Madame. Merci de l'avoir précisé. Je crois même que Daniel Arasse en a parlé dans son ouvrage du détail de la peinture.

— C'est lui-même qui me l'a appris.

— Quel honneur ! m'exclamé-je avec un sourire.

— Mais, je vous prie, continuez mon cher Monsieur.

— Je vous remercie. Passons à l'Accidia.

— La paresse ? demande Jérôme.

— Parfaitement.

— Elle se situe en haut à droite, non ? Une femme habillée pour l'office religieux tente de réveiller un individu dormant d'un sommeil paisible. Mais je me souviens qu'au Moyen-Âge nous n'utilisons pas le mot Paresse à titre que nous employons aujourd'hui mais l'Acédie qui veut dire « paresse spirituelle » c'est-à-dire se désintéresser de tout, de ne croire en rien, ne pas avoir la Foi, est-ce ça ?

— C'est parfait, Jérôme. C'est exactement ça. Bravo !

Pour une fois, ce n'est plus Charlie qui a sans cesse la parole. Je prends un plaisir ému de constater que mes étudiants s'enrichissent de mois en mois.

Tandis que je guette la réaction de Charlie, celle-ci forme un sourire radieux sur son visage en envoyant un pouce à Jérôme, qui soudain, se met à rougir.

— Le dernier, je le garde pour vous Monsieur Rocha.

Luxuria ! Le plus beau des péchés.

Il en faut peu pour que l'amphithéâtre s'esclaffe de rire, même nos vieux bougres se sont joints à la risée.

— Alors, Monsieur Taylor, débute Liam en craquant ses doigts. On observe deux couples qui se bécotent. Bon à la façon moyenâgeuse cela va sans dire : pas de pelles, pas de frotti-frotta, hein ?

C'est un sketch. Même moi, je ne peux me retenir de rire en tapant dans mes mains. Je m'appuie contre le bureau, mains en arrière, posées dessus.

— Mais par contre ils devaient se dire de sacrées cochonneries, les cachottiers ! Et de ce qui est du symbole de la passion, je crois me rappeler... Je crois me souvenir... Si je me réfère aux cours précédents, que ce sont les instruments de musique à leur pied.

— Mes félicitations Monsieur Rocha. Ensuite, affichés aux quatre coins du tableau, les quatre dernières étapes de la destinée humaine auxquelles chacun se retrouve confronté au quotidien. Dans le sens des aiguilles d'une montre, en partant par la gauche : la mort, le Jugement Dernier, le Ciel et l'Enfer. Mais qu'en est-il de ce cercle central ? N'avons-nous pas oublié quelque chose ? Oui, Mademoiselle Mahé ?

— Ce grand cercle, au centre, représente probablement l'œil de Dieu. La « pupille » renvoie l'image du Christ sortant de son cercueil. Au-dessous, l'inscription en latin Cave cave deus videt « Fais attention, prends garde, Dieu te voit » rappelle qu'aucun péché ne passe inaperçu.

Le cours fini, tous restent désireux de l'avoir à disposition. Et afin de parer au plus simple, nous échangeons nos e-mails pour que je puisse le leur envoyer, tout comme des informations supplémentaires que je m'attends déjà à recevoir. Ce genre de questions subsidiaires qui se mettront à fuser dans leur tête, une fois hors de la bâtisse. Pour seule condition, je précise que je tiens à être cité, si ce support devait servir à d'autres cours similaires.

La cour d'honneur est une énorme place à l'intérieur du bâtiment, une sorte d'atrium gigantesque d'une architecture grandiose où se placent deux statues imposantes, l'une de Victor Hugo à gauche, serrant l'un de ses écrits, et à droite, celle de Louis Pasteur regardant un ballon de laboratoire. Effigies représentant, à elles-deux, les sciences et les lettres.

C'est ici que Nathalie m'attend quand on travaille sur ce site. Mais aujourd'hui, en l'apercevant, je sens comme un mauvais présage. En un regard, je devine que le vent est prêt à changer de direction. Je me racle la gorge en jetant des regards furtifs autour de moi, puis à Nathalie qui affiche une expression flagrante de froideur. Ma condamnation va faire mal. Sentence qui ne se laisse pas attendre lorsque, de sa voix calme, elle me présente un point de vue des plus confus dans cette relation que nous entretenons. Relation qui, pour elle, se base sur un mensonge : mon attraction pour Mademoiselle Mahé.

Tentant de rattraper le coup. Le menteur que je suis devenu, n'a pourtant pas su convaincre la quadragénaire qui utilise notre altercation de samedi dernier comme preuve. Sans s'adonner en spectacle, elle me fait remarquer qu'elle n'est pas dupe et qu'elle a parfaitement compris qu'entre Charlène et moi, il y a une relation qui va bien au-delà d'une simple confrontation prof-élève. Ce qui me rassure, pour l'heure, c'est qu'elle pense que ce n'est qu'une relation platonique. Une relation cérébrale et non physique. Bouche-bée, je m'avoue vaincu et la laisse partir, abattue. C'est sans même un dernier regard en arrière qu'elle franchit la grande porte de la faculté de Lettres, tandis qu'une fine pluie tombe sur Paris. En mon esprit pourtant, ce déluge m’apparaît s'abattre sur la terre entière.

C'est quoi déjà ? Ah oui ! « Fais attention, prends garde, Dieu te voit. ». Oui, voilà. C'est ça.

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