La porte rouge.
Je n’aime pas les portes rouges. On ne sait jamais sur quoi elles s’ouvrent. Je regarde l’article de journal déchiré que je tiens en main. « Recherche professeur particulier pour enfant de 6 à 9 ans ». C’est tout ce que dit l’annonce. J’ai démissionné de l’Éducation Nationale. Je ne veux plus être le dindon d’une farce plus grosse que moi. Maintenant, je butine d’annonce en annonce. Les fins de mois sont dures.
Je regarde la porte rouge. Elle ne m’inspire guère. Je frappe. J’entends mes trois coups raisonner dans la bâtisse. Elle semble vide. Je frappe à nouveau. J’ai besoin de ce job. Je soupire. Mes épaules retombent avec mon espoir. Je chercherai ailleurs.
Un loquet glisse. Lourd et bruyant. Je me retourne vivement. La porte est ouverte. Elle laisse entrevoir l’intérieur d’une vieille chapelle. Dans le chambranle, un petit garçon. Haut comme trois pommes. Il sourit. À la fois émerveillé et étonné.
-- Bonjour, je viens pour l’annonce. Est-ce que tes parents sont là ?
– Tu peux me voir ?
Il ne m’a pas écouté. Il ne m’a peut-être même pas entendue.
– Bien sûr que je peux te voir. Pourquoi ne le pourrais-je pas ?
– Parce que je suis un fantôme !
– Tu as oublié de porter un drap.
Il me regarde sans comprendre. Je hausse les épaules. Il joue. Moi je ne joue plus depuis longtemps.
Un adulte arrive et me fait entrer. Encore cet air étonné. Il m’explique qu’ici il y a plusieurs enfants qui ne peuvent pas aller à l’école. Ils cherchent une institutrice pour qu’ils continuent à grandir normalement. Je demande quelle est la rémunération. Logée, nourrie, blanchie. Rien d’autre. Ils n’ont pas les moyens. Ils me proposent une période d’essai. Deux semaines. J’accepte. De toute façon, je n’ai pas trop le choix. Mon frigo est vide.
Il y a six enfants. Tous adorables. Ravis de ma présence. Thibault est le plus éveillé. C’est celui qui m’a accueillie. Il me demande constamment si je le vois toujours. Parfois, pour l’amuser je lui dis que non. Étrangement, ça le rend triste, alors je ne le dis plus. Simon est le plus vieux. Il est discret. Je lui fais peur je crois. Pourtant je ne crie jamais. Pas besoin. Louise est coquine. Elle me fait constamment des farces. Je l’aime beaucoup, Louise. Margot me parle tout le temps. Je ne peux pas l’arrêter. Heureusement, Philippe vole à ma rescousse. Il lance toujours un « roi du silence » aux bons moments. Et il reste Carl. Carl ne parle pas. Carl sourit. Personne ne sait pourquoi il ne parle pas. Ce n’est pas grave. Tout le monde l’aime quand même. Moi aussi.
Je passe tout mon temps avec eux. Ils me prennent par la main pour me montrer quelque chose. Ils m’attrapent le bras pour attirer mon attention. Je ne m’ennuie jamais. Je vais rester. Je me suis déjà attachée à eux.
Une semaine. Je rentre chez ma sœur pour le week-end. Sur le quai de la gare, elle ne me voit pas. Je lui fais de grands signes. Elle ne me voit pas. Elle crie mon nom. Je lui réponds. Elle ne m’entend pas. Je lui agrippe l’épaule. Elle ne me sent pas. Je ne comprends pas. Je suis là pourtant. Je me fige. J’entends Thibault : « mais je t’assure que je suis un fantôme ! ». Il ne jouait pas.
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