Eux
Nous entrons dans la pièce. Il nous demande de nous assoir. Il n’y a qu’une seule chaise. Nous restons debout. Il nous redemande de nous assoir. Il est poli. Il n’est pas agacé, il est patient. Comment s’assoir ? Nous réfléchissons. Il attend, il est patient. Nous débattons intérieurement. Nous décidons de ne pas nous assoir. Nous ne pouvons pas choisir.
– Nous préférons rester debout.
Il ne dit rien. Lui s’assoit. Il a une chaise pour lui tout seul. Nous ne le regardons pas pianoter sur le clavier, nous regardons la porte. Le verrou n’est pas fermé. Nous fixons la poignée. Parce qu’il le faut. Parce que nous sommes en danger. Nous devons rester sur nos gardes. Nous sommes raides. Prêts à fuir. Parce qu’il doit être avec eux. Nous le suspectons. Il nous regarde. Il attend. Il est trop patient. Il est trop souriant. Nous ne lui faisons pas confiance.
– D’accord. Racontez-moi ce qui vous arrive. Pourquoi êtes-vous ici ?
Nous ne pouvons rien dire. Pas à lui. Nous allons devoir mentir. Nous n’aimons pas mentir. Nous ne devons pas sourire. Nous ne devons pas pleurer. Nous ne devons rien exprimer, ou nous serions trahis.
– Nous ne sommes pas d’ici.
– Vous n’êtes pas d’ici… Expliquez-vous, je ne comprends pas.
Il va poser des questions. Il va poser trop de questions. Il veut savoir. Il croit sourire, il croit nous berner. Il ne nous aura pas.
– Nous ne pouvons rien dire de plus. Nous ne vous faisons pas confiance.
– Pourquoi ne me faites-vous pas confiance ?
– Nous vous soupçonnons d’être avec eux.
– Qui ça, eux ?
– Eux.
Il fait semblant. Nous le savons. Il hoche la tête et pianote. Nous commençons à avoir peur. Nous regardons ses doigts. Nous regardons la porte. Il nous pose une autre question, mais nous regardons la poignée. Elle ne s’abaisse pas. Pas encore. Il insiste, nous le regardons.
– Vous sentez-vous en danger ?
– Nous le sommes.
– Êtes-vous tous en danger ?
– Tous.
– Combien êtes-vous ?
Il pose trop de questions. Nous nous inquiétons. Pourquoi chercher à savoir combien nous sommes ? Nous ne pouvons pas répondre à cette question. Nous ne pouvons pas mettre tout le monde en danger. Le téléphone sonne. Nous fronçons les sourcils. Il décroche. Il sourit, acquiesce plusieurs fois. Il raccroche. Nous regardons autour de nous ? Nous cherchons les caméras. Quel était cet appel ? Nous savons qu’il était pour nous. Il communique avec eux.
– Je suis désolé, reprenons. Êtes-vous en danger de mort ?
– Vous devriez le savoir.
– Non je ne sais rien, désolé.
Il ment ! Il a froncé les sourcils, il ment. Nous voulons partir. Avant que la poignée ne s’abaisse. Avant qu’ils n’arrivent. Comment s’en aller ? Comment leur échapper ? Nous sommes surement encerclés. Nous les entendons derrière la porte. Nous entendons leurs pas. Nous entendons les murmures. Ils savent. Ça y est, ils savent que nous sommes là. Il le leur a dit. Ils vont venir. Nous réfléchissons. Nous devons trouver une solution. Vite.
– Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur eux ?
Nous restons silencieux. Il tâte le terrain. Il veut savoir ce que nous savons. S’il découvre que nous savons, il décrochera le téléphone. Il veut nous éliminer. Il tapote le bureau. Il est agacé. Il ne faut pas l’agacer. Nous allons répondre. Vite une idée.
– Nous savons que vous recherchez les gens comme nous. Nous ne savons rien d’autre. Nous ne savons pas pourquoi.
Il attrape un crayon, il note. Nous sommes tendus. Respirer devient difficile. Notre coeur s’accélère.
– Les gens comme vous ? C’est-à-dire ?
Il veut en savoir plus. Il veut trouver les autres ! Nous ne lui suffisons pas. Il en veut plus. S’il sait, ils sauront. Il faut l’éliminer. Nous nous approchons du bureau. Il ne bouge pas. Il faudra faire vite. Le verrou n’est pas fermé. Si nous faisons vite, nous pourrons nous enfuir. Nous n’avons qu’un seul essai. Si nous ratons, ce sont eux qui nous tueront. Nous prenons une grande inspiration.
Nous nous jetons sur lui. Il est plus rapide que nous. Nous voyons l’aiguille dans sa main. Nous n’avons pas le temps de l’éviter. Il la plante dans notre cou.
Je me réveille. Je me sens groggy. Je me sens seul. Je suis dans une pièce blanche. Elle est vide à part mon lit. Moi aussi je suis vide. Il n’y a plus de nous. Je veux me lever, mais je suis attaché. Les chevilles, la taille, les mains. Je suis groggy. Quelqu’un entre. Je le reconnais. Il est toujours souriant. C’est lui. Il s’assoit au bord de mon lit. Pose la main sur ma cuisse.
– Bonjour, M. Tréor, vous vous souvenez de moi ? Je suis le Dr Vigault, le psychiatre de l’unité. Nous avons dû vous mettre en chambre d’apaisement. Suite à votre perte de réalité, vous avez failli agresser le personnel soignant. Vous allez vous sentir fatigué, nous avons initié un traitement antipsychotique en urgence.
Je repose la tête. Je ne le crois pas.
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