C'est mon bateau
– Papi, il est à toi ce bateau ?
– C’est mon bateau, répondit fièrement le vieillard.
– Pourtant il est tout petit. Tu n’en voulais pas un plus gros ?
– C’est mon bateau, soupira-t-il, un demi-sourire et le regard loin vers l’horizon.
– Est-ce que des pirates ont déjà voulu te le voler ?
Le vieil homme planta ses yeux aussi bleus que la mer dans ceux immenses du garçon.
– C’est mon bateau ! dit-il très sérieusement.
– Et papa m’a dit que tu ne l’as jamais laissé le conduire, tu avais peur qu’il l’abime ?
– C’est mon bateau, dit-il en haussant les épaules.
– Et si tu le répares maintenant, je pourrais le conduire moi ?
Le vieillard attrapa l’enfant et frotta fort ses cheveux de sa paume calleuse.
– C’est mon bateau !!
Le garçon rit joyeusement, il adorait son grand-père. Il lui posait toujours mille questions même s’il connaissait la réponse, c’est mon bateau. C’est toujours ce qu’il répondait, c’est mon bateau. Ça énervait les adultes, alors ils ne parlaient plus beaucoup à Papi. Le garçon, lui, s’en fichait. Il y avait mille façons de dire les choses. Le visage et les mains de Papi parlaient pour lui et le garçon le comprenait toujours. Il n’était pas fou son grand-père, maman le lui avait bien expliqué. Il avait eu un accident de sang dans le cerveau avant sa naissance et depuis il n’avait jamais plus rien dit d’autre que « c’est mon bateau ». Il se souvenait des deux mots compliqués qu’avait dits maman, aphasie de Broca, il ne savait pas qui était ce monsieur, mais il était assez connu pour que Papi parle comme lui.
Aujourd’hui, le garçon devenu homme était assis sur le banc d’un quai et regardait le soleil sombrer lentement dans l’onde tranquille. Amarré, flottait un splendide bateau à voiles sur lequel était gravé « C’est mon bateau ».
Annotations
Versions