Mon bordel, cet élu
Je suis un peu bordélique. Beaucoup, si je suis honnête. C’est ma nature d’écrivain. Les tasses qui trainent, les livres dispersés, le linge qui attend, ne parlons pas de la vaisselle, et toutes les choses que je cherche. Ma vie est bordélique. Et j’aime mon bordel. Le seul endroit que je m’astreins à garder en ordre, c’est mon ordi. Mon bureau d’accueil n’a pas un dossier qui dépasse, sinon je ne m’y retrouve plus.
Et un jour, quand j’y repense, quel truc de fou, un jour, mon bordel a fait de moi un élu.
J’étais au café d’en bas, j’aime m’y installer quand je n’ai plus d’inspi. Salim m’avait servi mon mug, il ne s’embête plus avec des tasses dés à coudre, il me connait ; et je regardais les passants, le nez en l’air. Une nana s’installe à ma table et me toise sans rien dire. J’avoue que je suis resté un peu con et je n’ai rien dit non plus. Je sirote mon café les yeux écarquillés et la regarde froncer le nez. Elle a une tignasse blanche coupée court, la frange relevée avec une pince. C’est plutôt enfantin. Le blouson en cuir et le rouge à lève noir le sont moins.
— Oui ? dis-je.
— Élliot, c’est ça ?
— Si j’veux.
Je pince les lèvres en la voyant sourire. D’une, elle connait mon nom, de deux, elle apprécie mon humour. Lequel des deux est le plus étrange, ça se vaut bien.
— Tu es ?
— Dieu.
J’éclate de rire. Je comprends mieux pourquoi elle a souri à ma connerie. Cette nana est insolite.
— Plus sérieusement ?
— Sa fille.
— Si tu veux.
— Où est ta tasse à rouge ?
— Quelle tasse rouge ?
— Celle avec le chat noir qui s’étire.
— Quelque part. Je parierais dans l’évier, mais c’est tout aussi probable qu’elle soit à mon bureau ou sur ma table de nuit.
— Où sont tes lunettes ?
— Je les chercherais surement tout à l’heure.
— Où est…
— Je sais pas, l’interrompis-je.
La fille de dieu est flic et je suis coupable de mon bordel. Enfin, je ne sais pas où elle veut en venir avec ses questions, mais la réponse sera toujours la même : un jour je me perdrais moi-même.
— Élliot ?
— Fille de dieu ?
— Est-ce que tu peux garder ça pour moi ?
Elle me tend une clé et ses prunelles violettes me fixent sérieusement. Je repose ma tasse et l’attrape en haussant un sourcil. C’est une pauv’ clé en acier comme toutes les clés.
— Pourquoi ?
— Ne la perds pas, hein ?
— Je ne perds pas mes affaires.
— C’est pour ça que je te la donne à toi. Elle sera cachée dans ton bordel, mais je sais que tu ne la perdras pas.
Je ris tout seul en repensant à cette histoire. La nana m’a laissé la clé et est repartie aussitôt. Je n’ai pas la moindre idée d’où est cette clé aujourd’hui.
***
— Christine !!
— Quoi ?! Qu’est-ce t’as à beugler ?
La jeune femme sort de son lit cotonneux, glisse la tête par la porte. En voyant le visage rouge de son père elle retiens un sourire.
— Qu’est-ce que t’as fait des clés du paradis ?!
— Je te le dirais peut-être si tu lèves ma punition et me rends mes ailes.
Le vieil homme s’avance d’un pas lourd et menace la jeune fille du doigt, mais elle lui coupe la chique :
— Tu peux fouiller dans la tête de tous tes humains, lui même ne sait pas où elle est.
Il soupire et tend à sa filles sa paire d'ailes. Elle, retourne voir Élliot.
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