Homme de rainette ...
Connaissez vous la légende du roi des rainettes ?
Il est délicat pour un homme de porter le nom de rainette, encore plus quand il fut jadis un prince, portant couronne, bijoux et colerettes.
Hélas une diablesse était bel et bien passée par là, affublant le charmant de cette apparence verdâtre qui seyait certes aux batraciens, aux fougères et aux martiens, mais qui jurait affreusement sur les nobles humains.
Le prince s'était vu privé de sa vie de chateau.
Délaissant de force cour, repas mondain, costumes, peruques et chapeaux, il avait dû partir, bondissant, vers quelques étangs noirâtres où plus jamais il n'aurait l'occasion d'être un bellâtre.
Bel âtre qui lui manquait affreusement quand, chaque soir, au fond de l'eau mouvante, il grelottait dans les courants. Il aurait préféré moisir sur un gibet ou finir dans une assiette en filet ; il aurait tout autant souhaité voguer, exilé, vers des terres austères ou être emporté par une volée d'abeilles sanguinaires ; mais il ne pouvait guère supporter pareille damnation ! Même être dévoré vivant par un dragon ressemblait, comparé, à l'extrême auction.
Dans son étang chétif, le prince-rainette au passé délavé avait désormais tout du frèle esquif. Si seulement l'immonde sorcière l'avait transformer en grenouille Goliath, faisant trembler la terre – plutot la boue – de ses quatre pattes ; d'une simple moue, les pires crocodiles auraient décampé, les fiers flamands roses auraient terni, les vils esprits des eaux se seraient pétrifiés. Le prince verdâtre se serait alors contenté de rêgner sur sa flaque, aigri. Libéré, délivré d'avoir à sans cesse lutter pour sa vie.
Car il n'était pas lutteur, loin s'en faut, il avait bien trop de coeur. Il préférait l'amour lyrique et sa douce torpeur plutot que les batailles, les guerres et les heurts.
Il rêvait à Bella, la muse de ses draps. Elle l'attendait sûrement au chateau, l'air éperdue, enfuyant son nez dans les profondeurs de son manteau, à la recherche de quelque odeur ténue.
Il imaginait, en regardant voyager les tetards, à tous les enfants qu'ils auraient pu faire et élever. Le drame paraissait en effet total et aurait excité nombre de scribouillards patentés. La belle histoire, la belle affaire : un prince frustré de gloire et privé de procréer avec la fine fleur nobilliaire pour cause de batracien ensorcellé ! Il y avait de quoi rire et pleurer.
C'est avec résignation qu'il avait vogué, tête en l'air, sur l’étang indigné, espérant, séant, être dévoré par quelque crocodile flanant. Mais il semblait tous les débecter.
Une idée subit le traversa, et si, à defaut d'être un géant faiseur de fracas, il avait la peau empoisonnée jusqu'au bout des doigts ? Enfin, des palmes, s'entend ! Ah, il ne s'y faisait pas !
Il sortit dérechef des eaux funestes, tira la langues aux créatures sournoises et lestes, qu'il laissa aux flots maudits ; remonta le chemin, dépassant tavernes, champs et quelques taudis ; pour arriver à la demeure, sombre, tordue et nullement faite en petits-beurres, de la harpie sans coeur.
Baba yaga aimait follement mettre de la camomille dans son thé, alors comment réagirait-elle après que son fondement de batracien l'aurait honoré ? Le prince jubilait d'avance de sa propre saveur pimentée. La sorcière, sans conteste, allait morfler.
D'un bon fulgurant, un trait vert vint se poser sur le rebord de la fenêtre. Le crime serait parfait, espera-t-il de tout son être, il ne laisserait derrière lui que le néant.
Il voyait la vieille cabossée mitonner une bien piètre soupe dans son chaudron martelé. Parfum chauve-souris, concombre, romarin, nuancé par l'odeur suave de cervelle mijotée, il y avait aussi un soupçon de bave d'alpaga bleu et quelques pincée de truite saumonée, le tout semblait bel et bien dégueu.
Non loin, tel un graal en robe diaprée, se tenait la tasse aux reflets mordorés. Les fesses du prince brûlaient de s'y tremper, mais la prudence lui commandait d'attendre, car l'immonde pourrait le surprendre et le liquider.
Avec la discretion d'une souris invisible auquel les pattes auraient été coupées, la grenouille se faufilla sous la vitre fendillée. Son poison semblait gresiller d'impatience de faire de la malfaisante une cérébrolésée. Le prince retint néanmoins ses ardeurs, inutile de vouloir tout précipiter.
Dans sa douce folie, l'acariâtre murmurait d'une voix grinçante « Un nouveau prince sera bientôt onis, encore un peu de poudre de bestiole charmante, un soupçon de rognure d'ongle de pharmacien et quelques orteils de vieil homme aigri, et ma potion en fera un batracien ! »
Le plan était ourdi, une nouvelle victime serait bientot occie, l'amphibien devait sans attendre lui offrir son poison pour l'empecher d'accomplir son dessein.
Et puis soudain, l'immondice se redressa et fila dans un sombre cagibi en quête d'un calice ou d'un ustensile maudit. Le moment était venu, ô combien propice. Bientôt, tout serait fini.
L’héroique rainette traversa, bolide siffflant, l'aire de déprime pour atterir devant la tasse partenaire de son crime. Cette eau camomille, dans laquelle elle trempa son extrémité, accueillit, fidèle amie, sa splendide toxicité.
Son méfait accompli, la rainette avait bondi vers sa liberté. Mais une main sans vergogne et sans alibi vint brusquement l'arrêter.
« Ah ! Je te tiens ! Juste ce qu'il me fallait pour ma potion ! Viens là, que je te jete dans mon chaudron. » Clama avec joie la sorcière d'une voix de démon.
Le prince se trouva lancé dans la cuve bouillonnante. Pas le temps d'effectuer un rapide pas chassé ; pas moyen, d'une figure brillante, d'esquiver sa fin certaine. Le noble batracisé plonga et coula, comme, dans l'ordalie, coule l'âme en peine.
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