Chapitre Premier, Partie III

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 La ville était en feu. C’était une vision d’apocalypse sans pareil. Miséricorde et amour semblait avoir disparu de ce monde. Seul le sang charriait dans l’air des effluves métallique. Du haut de son ambassade, Elwant était peu confiant. La mort rodait rarement avec discernement quand les hommes l’administraient. Au loin, il entendait les rires barbares et païens de ces fous qui massacraient sans pitié.

 L’incendie gagnait le quartier, l’air acre de la fumée venait faire suffoquer l’ambassadeur de l’Archipel. La cendre volait telle des flocons d’apocalypse, saison de tempête et d’absolu. L’homme serra ces mains sur la rambarde. Il lui semblait être dans un tableau de maitre, à cette idée, son cœur fit un bond, son cerveau tentant désespérément de graver ce moment dantesque dans sa mémoire. Là, des poutres tombaient dans des tourbillons d’étincelles, ici, un homme retenait ses viscères piteusement, plus loin des civils fuyaient les combats âpre. Et ce spectacle se déroulait sous une lune désormais moins rouge que les pavés.

 Dans une ruelle adjacente, il vit soudain arriver une cohorte de soldats noirs, accablés de balafres fraiches, imbibés de sang, harassé par les combats. Il croisa alors le regard de ce qu’il semblait être leur chef d’escouade. C’était un géant, de plus de deux mètre, il avait le crâne chauve, une de ces oreilles avait été tailladée. C’était un guerrier rompu aux combats à n’en pas douter. Il portant dans le dos une hache usé par le temps, tous un monde de coutelas était stocké sur son torse, il avait encore une épée courte dans un fourreau. Un autre pendait vide, l’arme résidant dans sa main. Cet homme savait tuer. Sa musculature avait de quoi faire pâlir une panthère, sa manière de se mouvoir rappelait les vieux vétérans, s’attendant à subir une attaque à chaque coin de rue. Et ici, ça allait être le cas, à l’angle de la maison qu’il allait dépasser, la petite troupe allait rencontrer une unité de miliciens apeuré.

 Ces derniers sautèrent sur les envahisseurs dès leur arrivé. L’homme à la droite du géant noir mourut avant d’avoir compris quoi que ce soit. Le titan, quant à lui, fut projeté au sol par la charge, son arme lui échappant dans sa chute. Il lui fallut moins d’une seconde pour se redresser. Sans prendre la peine de dégainer une de ses autres armes, le chef de section saisit un assaillant comme un ogre saisirait un enfant. Il le projeta sur ceux qui l’attaquait et, malgré la distance, le diplomate entendit distinctement la nuque du malheureux se briser. Alors seulement le colosse fit briller la lame de sa seconde épée. D’un bond, il rejoignit ses compagnons et entreprit de trancher des membres, d’éventrer et de tuer à tour de lame. C’était une boucherie. Malgré leur supériorité numérique, la milice tomba sous les coups des alliés de la secte. De l’embuscade, Elwant comptait une trentaine de corps, moins de cinq d’entre eux étaient noir.

 Alors, le géant croisa son regard tandis qu’il essuyait à genoux son épée sur les frusques des miliciens. Un immense sourire illumina sa tête, c’était un rictus fait d’ironie, de sadisme et d’innocence infantile. Il salua lentement l’homme au balcon et se releva, dirigeant ses pas vers l’ambassade. Elwant déglutit, observant une dernière fois la ville en flamme.

 Son esprit fit un bilan rapide. Il était diplomate dans une cité ravagé par la guerre, une troupe de soldats redoutable s’approchait de lui et le feu aillait finir par gagner sa demeure. Elwant n’avait jamais été soldat, tout au mieux aurait-il pu profiter de la surprise et par son arbalète tuer l’un des monstres qui approchait. Il envisagea l’idée quelques secondes. Elle lui semblait d’une inutilité crasse.

 Il observa un moment cet endroit, sa maison allait être son tombeau. La pensée était rassurante d’un côté. Mourir chez soi, c’était mourir avec un ami. C’était partir là où on a aimé, disparaitre là où l’on a créé.

 La porte ne mis que quelques secondes avant de tomber. Elwant se sentit vide lorsqu’il comprit que personne d’autre ne prendrait sa suite ici. Il ne devait pas regretter cette immense porte. Il l’avait aimé pourtant, elle et son chêne massif, si finement ouvragé.

 Dans une autre vie, l’ambassadeur avait fait graver un peu partout des moments des légendes. La porte représentait l’union d’Unor et Yjlo. De leur étreinte avait naquit les hommes. Il voulait rappeler aux visiteurs qu’ils venaient de quelque part. Qu’il n’était pas issu de la glaise, mais de l’amour. Une symbolique détruit par ce qui ignorait vraisemblablement l’amour songea le diplomate assez tristement.

 Il entendit les pas derrière lui, fermant les yeux doucement, il entonna une prière pour son âme. Quelques secondes passèrent, surpris de respirer encore, l’ambassadeur ouvrit ses yeux toujours clos pour trouver les soldats assis en cercle autour de lui, se désaltérant dans son pichet de vin. Le géant noir lui sourit avec une franchise désarmante. Il parla alors, d’une voix grave et douce.

— Enchanté ambassadeur, je m’appelle Karoozis. J’ai été chargé par Ragne d’arranger un entretien. Il aimerait votre concours pour un truc grand et brillant.

— Le Marcheur… ? Il est vraiment ici ?

— Oui.

— Et il veut me rencontrer ?

 Un instant, le colosse parut interdit de la question, puis il éclata d’un rire massif, propre à déclencher des avalanches.

— Y’as des gens qui meurent dehors, par milliers, on a foutu le feu à la ville et tous les cinglés en armes courent pour savoir s’ils sont lapins ou renards et vous approuvez l’idée d’un sommet politique.

— C’est le principe même de la politique, parler pendant que d’autres meurent, répondit Elwant piqué au vif.

— Je vous crois sur parole, c’est vous le professionnel, s’amusa Karoozis.

 Le diplomate serra les mâchoires, décidé à éviter cette conversation. En l’état, son esprit s’échinait à garder du temps, une crainte terriblement lucide même l’avait atteint et il devait avant de partir en avoir la réponse. Bien décidé à sympathisé avec l’immense guerrier, il reprit.

— Il est comment en vrai ?

— Ragne ?

— Oui

— Petit… assez insupportable, il ronchonne toujours comme quoi les gens essaient toujours de mourir.

— Donc aujourd’hui, il a décidé de les aider ? S’enquit Elwant avec une innocence ironique.

 La question surprit Karoozis qui éclata d’un rire sonore. Le colosse avait un sens de l’humour particulier, depuis les siècles qu’il foulait la terre, il avait appris à rire de ce qui tuait. Il avait vu mourir tant de ceux qu’il avait aimés. Sa femme était morte au bout de deux siècles, au terme d’une agonie lente, mordue par un serpent. Son premier fils avait été tué par l’un des derniers dragons. Sa fille lui avait été enlevée. Elle avait vécu mille sévices avant de rejoindre sa mère. Quant à son dernier garçon, Dozercan, Il été disparut depuis tant d’années que Karoozis avait abandonné tout espoir de le retrouver un jour. Alors face à la faux du destin, Karoozis n’avait eu d’autres choix que d’apprendre à rire. A rire plus fort qu’il ne pleurait. Et il estimait ceux qui savaient manier leur langue avec autant d’audace.

— Aujourd’hui, Ragne choisit de replonger le monde dans ses anciennes croyances. Réformer, faire retrouver les vieilles valeurs, y’as plus de jeunesse, tout ça.

 Elwant encaissa la réponse pour ce qu’elle ne disait pas. Le géant manquait de déférence, il répétait sans entrain un mensonge qui ne durerait que jusqu’à l’entrevue entre le Marcheur et le diplomate.

— Je … euh… voudrais vous demander quelque chose… euh…

 Elwant tenta de se souvenir du nom de son interlocuteur, hélas, le trop plein d’émotion lui avait bloqué ce pan de sa mémoire, il n’était même pas sur de l’avoir entendu, il avait compris que l’homme en face de lui s’était présenté quelques minutes auparavant, mais il aurait pu être collecteur du trésor qu’il ne s’en serait pas rendu compte.

 Conscient de la gêne du diplomate, le colosse acheva sa phrase.

— Karoozis.

 Ce nom fit l’effet d’un coup de tonnerre dans la tête d’Elwant. Lui qui aimait tant les légendes, il se trouvait en face d’une longue-vie. Un lent respect s’emparait de son être. Il se rappelait soudain les leçons qu’on lui avait enseigné plus jeune. Lorsque la terre fut, l’histoire narre qu’il y avait un seul peuple, celui des Immortels. Dont les plus puissants imprimèrent leur empreinte sur le monde. Silenuse le divin créa l’idée même de l’histoire. Il représentait des luttes de bouc au début, pour au final, graver sur toute une chaine de montagne de l’histoire de son peuple. Vessalius l’ancêtre chassa les chimères du monde. Alton le concis fonda la première ville. Kelde la valeureuse explora l’intégralité de la terre et accumula son savoir dans sa forteresse. Elya la rêveuse apprit à transposer son esprit dans les animaux. Tiunterof le sage définit le monde et ses essences. Quant à Ragne le marcheur, il apprit de la nature et arriva à voir sa force, à l’utiliser. On le racontait capable de séparer la mer, de briser des montagnes, de faire pousser une forêt. C’était une ère d’or.

 Puis, sans qu’on sache pourquoi, l’union d’Unor et Yjlo créa des hommes temporels. Dans leur mansuétude, soucieux de rendre justice à leurs enfants. Les Immortels choisirent de se réunir, d’allier leur science, leur magie pour soulager l’homme de l’âge. Ce fut le jour de la colère. Le jour où le ciel épousa la mer, le jour où les continents, les îles se formèrent. Les Immortels avaient failli et ils déchainaient les uns contre les autres leurs puissances. Une poignée d’entre eux survécut. Mais les hommes les traquèrent pour les asservir. Et les Eternels sombrèrent. Nul ne se souvient comment tuer l’un des leurs, mais ce fut fait. Kelde fut si affaiblis qu’elle abandonna son corps, lançant son esprit vers sa demeure, protégeant son savoir. Silenuse devint étoile, oubliant cette terre. Tiunterof fut réduit en esclavage de longues années, de désespoir, il se suicida. Alton fut lui couler dans le bronze au milieu de sa ville. Elya disparu. Seul Ragne demeura. Il n’avait pas pris part au jour de la colère et ne sus rien de la corruption de ses pairs. Mais de l’énergie qui lui restait, il permit à une tribu d’homme de connaitre un semblant d’éternité. S’il demeurait perméable aux armes, l’âge ne les concernait plus. Et pendant mille ans. Ragne et les longues vies disparurent du globe.

— Comment vous avez survécu ? reprit Elwant, perdu.

— En évitant les lames, répondit Karoozis du laconisme de celui qui ne veut pas narrer son passé.

 Elwant compris, il ne posa pas plus de question, mais, se souvenant de sa crainte initiale, il reprit.

— Karoozis… je connais votre réputation et je sais votre honneur immense. Si aujourd’hui Ragne veut ma tête, j’aimerais que ma mort soit pudique. Je n’ai jamais aimé la foule durant ma vie, j’aimerais ne pas la connaitre à ma fin.

 Le colosse noir le regarda, amusé.

— Vous ne mourrez pas aujourd’hui Elwant Penmar’ch. Aujourd’hui vous renaissez.

 D’un geste de la tête, le colosse indiqua à ses hommes de partir. Ensemble, ils devaient escortait un homme que leur propre armée voulait assassiner jusqu’à l’Immortel qui les dirigeait. La randonnée s’annonçait d’ors et déjà joyeuse.


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