17. Chaude pénombre

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Ysée

Je sors du Conseil des Ministres un peu déçue du manque d’intérêt de mes collègues sur le concert des Grâces Celtiques que j’organise. Certains ont compris que c’était le premier événement à portée internationale qui va se dérouler en Silvanie depuis des années, mais d’autres trouvent que c’est juste un concert et ils ne comprennent pas pourquoi la Présidente, qui était présente à ce Conseil, prend le risque de s’y rendre alors qu’il sera impossible d’assurer réellement sa sécurité au vu du monde qui a prévu d’y assister. Moi, je me suis tout d’abord contentée de répondre aux questions qui m’étaient posées mais rapidement, je me suis enflammée et je me suis mise à défendre becs et ongles le concert. Nous sommes même allés jusqu’à voter sur le fait de laisser Marina participer à la soirée, mais au vu du résultat mitigé, elle a juste maintenu sa décision de s’y rendre en nous disant de ne pas nous inquiéter pour elle. Quel personnage !

Malheureusement pour moi, toutes ces discussions ont fait monter mon stress en flèche. Sans compter tous les retours que j’ai des Français sur le manque de sécurité de la salle de spectacle et des difficultés des gardes silvaniens. Et si je mettais vraiment en danger la Présidente avec ce spectacle ? J’ai voté contre sa venue, mais cela n’a servi à rien, elle n’en fait qu’à sa tête et veut s’afficher pour montrer aux journalistes étrangers qui seront présents que tout est revenu à la normale en Silvanie. Douce utopie à laquelle j’ai du mal à croire quand je vois le couple improbable à l’entrée du Grand Hall, la salle de spectacle où je dois me rendre pour fignoler les derniers détails..

— Bonjour Stefan. Bonjour Florent. Vous gardez l’entrée en binôme ? On va être en sécurité avec vous deux, je suis sûre. L’un de vous peut-il venir me donner un coup de main pour finir la décoration de la salle ?

— Bonjour, Madame la Ministre, répond Stefan en souriant. Je peux sûrement me libérer si vous avez besoin d’aide, en effet.

— Madame la Ministre, me salue poliment le français. Il y a du monde à l’intérieur de la salle, vous devriez pouvoir trouver des bras.

Le regard qu’il lance à son partenaire de garde est clair et voilé d’une légère menace. Stefan l’interprète de la même façon car il se trouble avant de me répondre.

— C’est vrai qu’il y a pas mal de monde, et… Il vaut mieux que je reste ici, soupire-t-il. Je suis désolé.

— Ce n’est que partie remise, Stefan. Venez me voir à votre pause, qui sait, je serai peut-être disponible. Bon courage pour surveiller l’entrée !

— Je passerai avec plaisir. A plus tard, Ysée.

Je lui fais un clin d'œil juste pour exaspérer un peu le Français mais constate que celui-ci est trop occupé à lorgner sur mes jambes et mes fesses pour se formaliser de ma tentative de détournement de l’attention du garde. Ah, ces hommes. On dirait parfois qu’ils n’ont jamais vu la peau nue d’une femme et qu’il suffit de quelques centimètres pour leur faire oublier qu’ils ont un cerveau. C’est quand même marrant de se dire que tout l’afflux sanguin se fait sur l’entrejambe et qu’après, ils ne font ou ne disent que des bêtises.

Je pénètre dans la grande salle et constate immédiatement que Snow a réorganisé les choses. Les gardes sont stratégiquement placés et surveillent tout l’espace. Je me sens observée, épiée même, et je déteste ça. Surtout que le regard de certains est plus qu’insistant. J’ai l’impression qu’ils aimeraient tous me déshabiller et ça a le mérite de me donner envie de tous les invectiver, chacun leur tour, mais je me contiens et me contente d’aller voir les employés du Ministère qui sont en train d’installer des petits lampions et des décorations vertes un peu partout.

— Bravo, ça commence à ressembler à quelque chose ! les félicité-je, parvenant ainsi à décrocher quelques sourires parmi eux. Il faut qu’on rajoute des guirlandes là-bas, près du coin bar. Je m’en occupe. Et s’il faut autre chose, n’hésitez pas à venir me déranger !

Je me saisis du carton, me dirige vers le comptoir où tout le monde pourra se restaurer après le concert et me mets à l’ouvrage, tranquillement en apparence alors qu’à l’intérieur de moi, je suis au bord de la crise de panique. Je suis tellement tendue que je sursaute quand j’entends une voix toute proche m’interpeller.

— Madame la Ministre, bonjour. Joli travail !

Cette voix grave et sensuelle, c’est fou l’effet que ça me fait ! J’en ai des frissons dans le dos tellement je la trouve profonde. Je dois vraiment être en manque pour réagir comme ça.

— Oh, Lieutenant, je ne vous avais pas entendu arriver et vous m’avez fait peur. Tout va bien pour la sécurité ? Ou alors, j’ai encore fait un truc que je n’aurais pas dû faire ?

— Est-ce que vous pourriez simplement accepter le compliment sans chercher plus loin que ça ?

Je l’observe un instant pour voir s’il se moque ou s’il est sincère dans ses propos. Je préfère lui donner le bénéfice du doute et acquiesce. Je continue mon travail de décoration alors qu’il me regarde faire. A plusieurs reprises, il refuse de me donner un coup de main alors que je lui tends une guirlande ou que je lui demande d’accrocher quelque chose.

— Vous comptez rester là encore un moment à me regarder bosser sans rien faire d’autre ? l’attaqué-je un peu brutalement. Si c’est pour me mater comme les autres, vous pouvez faire ça un peu plus loin, vous savez ?

— Est-ce que vous avez conscience de l’énergie que vous perdez à toujours attaquer comme un chien enragé ? soupire-t-il. C’est épuisant, même pour moi.

— Il faut croire que j’en ai à revendre, de l’énergie. Sûrement parce que je suis plus jeune que vous !

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai ce besoin irrépressible de le titiller et le remettre à sa place dès que j’en ai l'occasion. Je ne lui laisse pas le temps de s’offusquer davantage et me dirige vers la petite pièce où se situe le local technique avec l’armoire électrique. J’ai en effet envie de limiter les spots lumineux dans la salle, afin de créer une atmosphère intimiste et chaleureuse. Je m’amuse donc un instant avec les contrôles et constate que l’effet que je recherche n’est pas si compliqué que ça à obtenir. Je passe plusieurs fois la tête par la porte pour essayer différentes combinaisons.

— Vous devriez mettre plus de lumière. Certains ronchonnent et une femme a failli tomber d’un escabeau avec vos petites expériences, me surprend Snow lorsque je passe une nouvelle fois la tête à l’extérieur du local.

— Non, c’est mieux comme ça, je trouve, indiqué-je en jouant encore un peu avec les interrupteurs que j’ai sous les yeux. Et puis, il faut suivre les instructions des Grâces aussi.

Mais il fait quoi, là, à me retrouver dans cette petite pièce ? Il n’est pas aussi grand que Stefan, mais quelle carrure ! On dirait qu’il remplit tout l’espace de la salle où il vient de pénétrer derrière moi. J’ai une folle envie de refermer la porte et de l’y plaquer pour qu’il me dévore de sa bouche sensuelle. Et ses yeux, maintenant qu’il est vraiment tout proche, je les vois bien. Ils ont la couleur du ciel quand le soleil brille, un bleu un peu indéfinissable dans la pénombre relative de cette pièce sombre. Du coin de l'œil, je mate discrètement le beau spécimen qui m’a rejointe et j’admire ses biceps bien gonflés. Il n’y a pas à dire, un mec qui s’entretient, c’est sexy. Même s’il est un peu plus âgé que moi, il a vraiment tout ce qu’il faut juste là où il faut.

— Vous n’avez pas mieux à faire que de venir me surveiller ? Je crois que les risques sont plus importants ailleurs qu’ici. Je peux vous assurer que je ne prépare rien contre la Présidente !

— Ça reste encore à prouver, me lance-t-il avec un sourire en coin tout en approchant de moi. Non, à vrai dire, je voulais terminer notre conversation. Vous savez, l’histoire de l’âge.

— Quelle histoire d’âge ? Ne me dites pas que je vous ai vexé en parlant de votre manque d’énergie !

Je rêve ou la température de la pièce est passée à cent cinquante degrés ? Dans ce petit espace, j’ai l’impression qu’il est presque sur moi. Je sens la discrète odeur boisée qu’il dégage et je commence à perdre un peu pied tellement il me donne chaud.

— A vrai dire, non, ça me fait plutôt sourire, vu la nuit que j’ai passée, si vous voyez ce que je veux dire, poursuit-il sereinement sans se départir de son rictus séducteur. D’ailleurs, la fatigue n’est absolument pas une question d’âge. La demoiselle est partie éreintée, et pourtant… je ne lui donne pas plus que le vôtre, en fait.

— Vous savez ce que me dit mon père ? C’est ceux qui se vantent le plus qui brassent le plus d’air. C’est un jeu de mots en silvanien sur le fait que faire du vent en se vantant, ça n’entraîne pas beaucoup d’actions.

— J’aime bien votre père, s’esclaffe-t-il en m’acculant contre le mur, où il pose ses mains de part et d’autre de mon visage. Mais comme pour tous les proverbes, il faut une exception pour confirmer la règle, non ?

Il fait quoi, là ? Il croit qu’en me parlant de ses conquêtes nocturnes et en me coinçant dans un coin, il va parvenir à quelque chose avec moi ? Il n’a qu’à retourner voir une de ces jeunes poufs s’il veut baiser. S’il a besoin de chair fraîche, il ferait mieux de s’adresser au bon endroit. Je le repousse sans même le regarder, ne lui offrant que mon mépris pour ses tentatives un peu puériles de m’impressionner. Ce qui est bien, au moins, c’est que sa vantardise a refroidi mes hormones et que je sens mon corps réagir beaucoup moins à sa présence.

— Je n’ai pas encore trouvé d’exception à cette règle, malheureusement.

— Eh bien, peut-être qu’une fois ma mission terminée, nous pourrons envisager de décharger toute cette tension entre nous ? Vous m’avez l’air d’avoir besoin qu’on vous montre ce que ça fait d’être prise en main par un homme, Madame la Ministre.

— Je ne vois pas de quelle tension vous parlez. Vous prenez vraiment vos désirs pour la réalité et je vous conseille vivement d’arrêter de fantasmer sur moi, cela ne vous mènera à rien. Allez donc vous trouver une jeune fille innocente qui sera charmée par vos muscles impressionnants certes, mais bien loin de pouvoir me satisfaire. Moi, je réagis à autre chose qu’à ça ! ajouté-je en poussant le vice et la provocation jusqu’à poser mon doigt sur son entrejambe.

Je n’aurais peut-être pas dû faire ça car je sens que je lui fais envie vu comment son sexe réagit à travers le tissu et cela me redonne à nouveau instantanément très chaud. Je suis obligée de me mordiller la lèvre pour ne pas dire une bêtise et le provoquer encore davantage, et retire rapidement ma main.

— Vous pouvez bien dire ce que vous voulez, Ysée, mais votre corps parle, lui aussi. Pommettes rougies, yeux brillants, d’ailleurs, je vous ai vue me reluquer sans gêne. Plutôt un comble en sachant que vous me reprochez de vous mater. Sur ce, je vais vous laisser rallumer la lumière. J’espère que vous avez embauché des professionnels pour ça, sinon vous allez assurément tout faire foirer. Et, promis, je n’irai pas parler à vos supérieurs de votre geste qui pourrait s’apparenter à du harcèlement sexuel.

Purée, ce grand blond m’exaspère. J’ai à la fois envie de lui sauter dessus pour lui arracher tous ses vêtements et le laisser prendre possession de tout mon corps, comme j’ai une folle envie de lui crier dessus et l’insulter de tous les noms pour sa capacité à m’énerver. Et peut-être même les deux en même temps, je suis folle, moi.

— Il faut qu’il y ait un peu d’ombres et d’obscurité. Ce n’est pas négociable. Et promis, je n’irai pas dire à Julia, votre supérieure, que vous utilisez la pénombre pour faire le forcing auprès de jeunes femmes frivoles, rétorqué-je en le défiant du regard.

— Vous pouvez bien lui dire, Julia me connaît comme personne, et elle sait que je n’irais pas faire du forcing. C’était juste un échange cordial, jusqu’à ce que vous colliez votre main sur mon paquet, sourit-il en me faisant un clin d’œil avant de tourner les talons. A plus tard, Madame la Ministre.

— C’était juste un doigt, Snow, ne puis-je me retenir de lui lancer. Je peux vous assurer que si j’avais utilisé toute la main, vous ne seriez pas en train de vous barrer comme ça. Heureusement que ça n’arrivera jamais vu comme vous êtes arrogant !

— Ne me lancez pas ce genre de défi, vous n’êtes pas prête ! ricane-t-il au loin.

Je claque la porte de la réserve derrière lui. Je voulais lui signifier ma colère mais, en réalité, j’ai besoin de ça pour ne pas m’élancer et lui courir après. Je suis vraiment partagée entre deux sentiments contradictoires : soit je vais le tuer de mes propres mains, soit je vais le laisser abuser de moi pour que ce soit moi qui connaisse la mort, la petite, j’entends. Quel connard, ce type ! Sûr et imbu de lui-même. Vraiment pas mon genre ! Enfin, je crois.

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