30. Focus, Snow, focus !

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Mathias

Je récupère pour la troisième fois le doudou de Sophia, tombé à ses pieds, et lui dépose sur les jambes.

— Arrête de le faire exprès ou je le balance par la fenêtre.

— Tu vas la faire pleurer, Tonton, dis pas ça.

Je soupire. Ok, j’adore ces gamines, mais si je n’ai pas d’enfants, ce n’est pas pour rien. Je sais que je me répète, mais les gosses c’est mignon chez les autres. Alors j’avoue que vivre H24 avec deux petites, surtout les filles de Julia, ça me fait flipper. Ajoutez à ça la pression de les garder en sécurité, et je sens que le blond de mes cheveux va virer au gris en quelques jours.

— Tu as raison, marmonné-je. Excuse-moi, Sophia, mais fais attention à ton doudou, d’accord ?

Je vois Florent se retenir de rire à travers le rétroviseur intérieur, et Ysée a les épaules qui tressautent en silence. Ok, faites les malins, tous les deux, je prendrai le tour de garde ce soir pour vous laisser gérer le bain et le coucher, vous ferez moins les fiers.

— Lila, soufflé-je en posant ma main sur son genou qui sautille en rythme sous le stress. Je te promets que ça va aller, calme-toi. Tu me fais confiance, non ?

— Je te fais confiance, mais là, on est quand même en train de fuir plutôt que de combattre, non ? Ce n’est pas ce qu’il y a de plus rassurant.

— Tu veux que ta sœur se batte, peut-être ? Vous êtes trop jeunes pour tout ça. Hé, ne m’interromps pas, la stoppé-je alors qu’elle ouvre la bouche. Tu sais bien que c’est vrai. Jamais tu n’aurais dû connaître la guerre, Lila, tu aurais dû grandir normalement. En te mettant ici, tes parents font ce qu’il faut. Et on ne fuit pas, on fait en sorte que tes parents soient suffisamment confiants pour pouvoir se battre pour vous et pour votre grand-mère.

— Oui, car vous êtes un peu leur point faible, vous savez, les filles. Pour vous, ils feraient tout et n’importe quoi ! ajoute Ysée en jetant un œil derrière son épaule. Ce n’est pas fuir, c’est une mise à l’abri stratégique.

— Pour une fois, je suis d’accord avec elle, chuchoté-je à Lila en lui faisant un clin d’œil. Finalement, elle ne dit pas que des bêtises.

— Elle est Ministre, quand même, elle n’est pas bête !

— Il a dit que j’étais bête, le soldat qui ne réfléchit qu’avec son fusil ? lance-t-elle plus amusée qu’en colère.

— Je ne me serais pas permis, Madame la Ministre. Je disais que j’étais d’accord avec vous, pour une fois. Comme quoi, tout est possible !

— Florent, il faut tourner là, c’est plus sûr pour quitter la ville sans se faire remarquer, lui indique la jeune femme qui semble plus détendue que mon second, aussi tendu que les filles.

Il s’exécute alors que je rattrape le doudou qui s’échappe, et je grince des dents en le reposant, mais mon juron meurt entre mes lèvres quand Sophia pose sa petite main sur la mienne. On se calme, Snow. Elle est toute petite et voit sa vie bouleversée, quitte ses parents, est fatiguée et ne sait pas ce qui l’attend. Et je me retrouve rapidement à jouer le doudou, puisque Lila pose sa tête contre mon bras, que je soulève pour l’envelopper contre moi.

Je vois Florent jeter des regards fréquents dans les rétroviseurs et lutte pour ne pas me retourner et faire peur à Lila, mais il ne tente pas de m’alerter d’un regard, alors j’imagine que tout roule et qu’il est seulement très prudent. J’essaie vraiment de rester zen, de voir les choses positivement, mais la réalité est là, je flippe d’échouer et je ne supporterais pas qu’il arrive quoi que ce soit aux filles. Je voudrais que tout ceci soit déjà terminé, que les ennemis de la Gitane soient déjà à terre pour ramener leurs filles à Julia et Arthur.

Je secoue doucement Lila lorsque Florent s’engage dans un petit jardin coloré qui manque d’entretien. Logique, j’imagine. Nous sommes perdus au milieu de nulle part et, bizarrement, c’est plutôt accueillant, à première vue. La maison a l’air plutôt grande, et ça m’ennuie un peu de voir autant d’ouvertures qui se révèlent assurément être de potentielles failles de sécurité.

— Flo, accompagne la Ministre récupérer les clés de la maison. Je vais profiter que les filles soient endormies pour faire le tour du jardin. Ysée, soyez sage et ne sautez pas sur mon homme, vous voulez ?

— Jamais le premier soir, Snow, même si c’est vrai qu’il est plutôt mignon !

— Et marié, père et heureux en ménage, marmonné-je en m’extrayant aussi délicatement que possible de la voiture.

— Personne n’est parfait, rit-elle en entraînant Flo par la main. On fait vite, promis.

Je soupire et les observe s’éloigner en me demandant si Ysée est le genre de nana à sauter sur tout ce qui bouge, même s’il y a une femme qui attend un homme à la maison. J’ai du mal à y croire, mais avec les femmes, on ne sait jamais à quoi s’attendre, après tout. Certaines sont capables du pire. J’ai beau être un enfoiré, selon la gent féminine ou du moins celles qui n’entendent pas que je ne couche pas à répétition, j’évite les femmes mariées ou en couple. C’est mieux comme ça et plus respectueux. Chacun son territoire, non ?

Je récupère une arme dans le coffre de la voiture et fais le tour de la maison et de la propriété plus globalement. On a connu plus sécurisé, mais au moins, peu de chance d’être retrouvés ici. A moins qu’ils aient des moyens de dingue, qu’on ait été suivis de loin ou… Je ne sais pas. Je sens bien que je ne suis pas serein et ça m’ennuie, il faut que je reste focus. Mais comment l’être quand on doit assurer la sécurité de deux gosses qu’on considère être de sa famille ?

Focus, Snow, focus.

Quand je reviens à l’avant de la maison, Ysée est en train de sortir une Sophia à peine réveillée de la voiture alors que Lila se frotte les yeux, adossée contre sa portière.

— Ça va, ma jolie ? souris-je en glissant mon flingue dans mon dos.

— Ça ne va pas de m’appeler comme ça ? s’indigne la Ministre qui me fusille du regard.

— Je parlais à Lila, m’esclaffé-je. Désolé, Madame la Ministre, mais vous n’êtes pas le centre de mon univers.

— Elle est jolie quand même, Ysée, dit Lila en prenant la main de la jeune femme aux magnifiques cheveux bruns.

Je lève les yeux au ciel, récupère les sacs restant dans le coffre et les suis à l’intérieur. L’espace est un peu poussiéreux et je rigole en entendant Sophia éternuer plusieurs fois alors que sa grande sœur se plaint qu’elle lui a postillonné dessus tandis que je dépose les bagages au pied des escaliers. Je m’engouffre dans la cuisine à la suite de la bande. C’est vieillot, un peu dans l’ambiance maison de mamie, mais ça a son charme.

Je dépose le sac de provisions alors qu’Ysée s’active en branchant le réfrigérateur, et que Florent ouvre les volets du salon. Les filles se promènent pour découvrir les lieux et je les suis pour inspecter également. Etre deux pour surveiller, c’est peu, mais ça nous évitera de nous faire repérer. Je sens que ce n’est pas dans les prochains jours que je vais récupérer du manque de sommeil de ce weekend, moi…

— Tonton ! On peut dormir toutes les deux dans le grand lit ?

Lila est définitivement une grande sœur très protectrice. C’est mignon, et hors de question de les priver de ça. Il y a trois chambres, Flo et moi prendrons celle avec le lit simple, puisque nous ne dormirons pas en même temps, et Ysée aura son intimité.

— Bien sûr, ma jolie. Vois avec Ysée si l’une des deux chambres avec un grand lit est la sienne, quand même. Avec Florent, on prendra celle-ci.

Je suis sûr que les vieux lits en bois grincent, ça va être le bonheur pour dormir… Mais franchement, vu ma fatigue, je risque de tomber comme une masse à peine la tête sur l’oreiller.

— Ysée ? crié-je depuis le palier. On peut avoir des draps ? Et… De quoi faire la poussière, ce serait pas mal aussi.

— Il y en a dans les armoires dans chaque chambre, me répond-elle. Assortis aux couleurs des murs !

Comme si ça avait son importance… Bon sang, mon appartement à Paris me manque. Pourtant, j’éclate de rire en voyant la parure de draps fleurie qui me rappelle un peu trop l’époque du campement de Food Crisis. Ne manquerait plus qu’un stock de VHS porno dans le placard et on s’y croirait !

Je prends le temps de faire les lits avec Lila et souris en voyant sa petite sœur assoupie lorsque nous repassons dans leur chambre. Petite poupée, portrait craché de sa mère ou presque, qui du haut de ses trois ans vit déjà une épreuve. Il va vraiment falloir que nous soyons vigilants à ne pas la stresser et faire comme si de rien n’était, si tant est que ce soit possible.

— J’ai planqué le sac d’armes sous notre lit, me lance Florent lorsque je referme la porte. Je te laisse jouer à cache-cache pour trouver celles que j’ai cachées un peu partout dans la maison au cas où ?

— Bien sûr, j’adore jouer à ce jeu, ricané-je en descendant les marches. Il va falloir qu’on fasse des rondes à l’extérieur, la propriété n’est pas du tout idéale pour se sentir en sécurité. Comment tu le sens ?

— Franchement, j’ai l’impression d’être en vacances. Ça devrait être tranquille, comme planque, non ?

— Mouais… On va éviter de se reposer sur nos lauriers et ne pas baisser la garde, quand même. On parle des filles de Julia. Tu as eu le temps de dire à ta femme et ta fille que tu étais en silence radio, c’est bon ?

— Yes et elle m’en veut encore plus. J’espère que je serai encore marié quand on rentrera ! répond-il avec un sourire un peu amer.

— Merde… Je te jure qu’on prendra au moins quinze jours de congés en rentrant. Et j’irai moi-même plaider ta cause. Tout est ma faute, je suis le vilain. Ou alors, je la charmerai, elle me kiffe, ta femme, souris-je en me laissant tomber dans le canapé.

— Ouais, toutes les femmes te kiffent. Sauf la Ministre ! Ça promet, vous deux dans ces petits espaces. Promets-moi de faire attention à ne pas trop l’énerver. Je veux sortir entier de cette galère !

— Elle me kiffe aussi, elle en veut à mon corps. Tu verras, elle me bouffe du regard, c’est assez drôle. D’ailleurs, je pense que je vais bien m’amuser, je le sens ! lui confié-je, le sourire aux lèvres.

— C’est beau de rêver. Je crois que j’ai plus de chance que toi de finir dans son lit alors que je suis marié. Tu vois où tu en es dans tes chances ?

— J’ai des arguments, quand même. Tu verras, la tension sexuelle entre nous est bien présente. J’ai autant envie de l’assommer que de la culbuter, en fait, chuchoté-je.

— Eh bien commence par le premier et ensuite, tu seras tranquille pour faire le deuxième ! Mais si tu pouvais attendre la fin de cette mission, je crois que ça faciliterait les choses.

— T’es malade ! Elle me suppliera de la prendre, et je ne suis même pas sûr que je céderai. No zob in job, tu te rappelles ?

Lila met un terme à notre conversation en venant s’installer à mes côtés, et je ne me prive pas de la serrer dans mes bras lorsqu’elle se blottit contre moi. Rester focus, quand bien même, effectivement, un petit rodéo avec la Ministre serait sans doute appréciable. No zob in job, je commence à comprendre pourquoi Julia y tenait tant, même si elle n’a pas respecté l’adage avec son Bûcheron. Malgré tout, on peut s’amuser sans franchir la limite, non ?

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