33. Biche ô ma biche

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Ysée

Je ne veux pas ouvrir les yeux et je reste dans mon grand lit, sous la couette, sans bouger. Je crois un moment que je suis dans ma chambre au Palais, mais l’intensité des pépiements des oiseaux me ramène à la réalité de la situation : je suis dans la Datcha de mes parents à la campagne et non, hier soir, je n’ai pas passé la soirée à baiser mais bien à me masturber encore et encore, tellement j’étais excitée. Et heureusement que j’ai pris mon petit jouet de voyage, parce que sinon, j’aurais été encore plus frustrée. J’espère que j’ai réussi à étouffer mes gémissements, parce que ça aurait été trop la honte qu’un des deux ex-militaires vienne voir ce qu’il se passe. Faut dire que le blond ne m’a pas aidée à rester calme. Il a une de ces musculatures ! Et il a répondu au quart de tour quand je l’ai un peu chauffé. Et puis, cette idée de me parler de fessée ! Franchement, il abuse de faire ça devant tout le monde et surtout devant les enfants.

Les rayons du soleil arrivent maintenant directement sur mon visage et j’abandonne toute idée de retourner dans les bras de Morphée à défaut d’être dans les bras d’un militaire pour me lever. J’ouvre ma fenêtre pour faire disparaître les quelques odeurs preuves de la débauche dont je me suis rendue coupable et m’accoude, toujours nue, sur la rambarde pour profiter de la tranquillité du moment. J’ai l’impression d’être en vacances et c’est vraiment étrange de ne pas être ici seulement avec un amoureux ou avec ma famille. Mon regard se pose sur la clôture réparée par Snow hier et immédiatement, mes hormones finissent de me réveiller. Surtout que le petit courant d’air frais sur mes tétons ne fait que renforcer mon état d’excitation. Je dois être malade de ne pas encore être rassasiée !

J’enfile une petite nuisette afin de préserver ma dignité autant que faire se peut et descends. Florent, aux aguets, m’accueille d’un sourire en bas des escaliers, mais il retourne à l’endroit où il s’est posté pour observer la campagne par la fenêtre. Quel homme sérieux et sage ! Je me demande d’où lui vient un tel dévouement.

J’allume la radio et fais chauffer un peu de café. La bonne odeur ne tarde pas à emplir la pièce et je soupire de contentement en m’asseyant, la boisson amère à la main. C’est l’heure des informations et Florent se permet de pousser le son avant de reprendre son poste d’observation. Je me demande ce qu’il comprend car tout est en silvanien, mais il a l’air de prêter l’oreille comme si tout était en français. Curieuse, je l’interroge.

— Tu parles notre langue, maintenant ? demandé-je alors que le jingle des informations retentit.

— Quelques mots, mais il est certain que je ne comprendrai pas tout. Tu n’auras qu’à me traduire tout ce qui touche au Gouvernement, s’il te plaît ?

Je ne réponds pas car le journaliste vient d’évoquer le nom de Marina et…

— Elle est réveillée ! Marina ! Elle est sortie du coma ! crié-je presque, manquant de renverser mon café dans mon élan alors que je me suis levée d’un bond.

Florent me regarde, inquiet, et je me rends compte que je me suis adressée à lui en silvanien et qu’il n’a rien dû comprendre. Je lui fais un sourire un peu gêné alors que je continue à écouter d’une oreille les news sur l’état de santé de la Présidente.

— Marina n’est plus dans le coma, l’informé-je dans sa langue.

— Oh, c’est génial ! En voilà une bonne nouvelle, sourit-il. Arthur doit être tellement soulagé.

— Oui, je vais l’appeler pour avoir des précisions, commencé-je avant qu’il ne m’interrompe en levant les yeux au ciel.
— Je vois que tu as compris toute seule que c’était une mauvaise idée. On n’allume pas les téléphones jusqu’à autorisation de la patronne, voyons.

— Et comment on va avoir son autorisation si on ne les allume pas ?

Je me dis que ces militaires ne sont pas toujours très malins, même si c’est vrai qu’appeler Arthur n’était pas l’idée du siècle.

— T’inquiète pas pour ça. Pigeon voyageur, appels lumineux, signaux de fumée… Tu sais, les militaires sont imaginatifs.

Je ne réponds pas car j’écoute toujours ce que dit le journaliste qui a précisé que les médecins restaient très discrets sur l’état de forme de la Gitane, mais que tout le pays était optimiste et espérait sa guérison.

— J’aimerais vraiment pouvoir l’appeler parce qu’ils sont super flous sur comment elle va en réalité… C’est frustrant !

— Ça viendra. Il faut juste être patiente, Madame la Ministre. Le principal, pour le moment, c’est de faire en sorte que les petites aillent bien.

— Eh bien, ça, ça devrait aller, mais il explique, là, que les troupes fidèles à l’ancien Président se sont regroupées à l’Est du pays et qu'elles s’allient aux Mafias. La guerre civile n’est pas loin de reprendre.

— Fait chier, marmonne Florent. Comme si ces dernières décennies n’avaient jamais existé, sérieusement… Les gens ne se mettent jamais de plomb dans la cervelle.

— C’est clair, c’est terrible. C’est pour ça qu’on a besoin de la Gitane, soupiré-je. Sans elle, j’ai l’impression que le chaos reprendrait tout de suite.

— Elle aussi devrait se mettre un peu de plomb dans la cervelle, quand même… Franchement, son arrivée au spectacle aurait pu virer au drame, tout ça pour un coup de tête…

Il n’a pas tort, mais en même temps, c’est ce courage et cette folie qui nous ont sortis de la dictature dans laquelle nous vivions. Et c’est cette inconscience qui fait le personnage de la Gitane. Sans ça, ce n’est pas elle et la Silvanie n’aurait pas le même visage.

— Je vais aller réveiller les filles, je vais les emmener faire un petit tour, j’ai besoin de me changer les idées et ça leur fera du bien de marcher un peu.

Florent fait un petit signe de la tête pour marquer son assentiment et je file dans la chambre de Lila et Sophia. Quand tout le monde est prêt et qu’elles ont pris leur petit déjeuner, je récupère un sac et y glisse une bouteille d’eau et quelques gâteaux avant de retrouver les deux soeurs devant la maison.

— En route, les jeunes. Vous êtes prêtes pour cette petite sortie entre filles ?

— On ne va pas trop marcher ? s’inquiète Sophia. J’aime pas marcher, moi.

— Non, juste un petit tour dans le village. On essaiera de voir des biches, tu verras, elles sont trop belles.

— Il y a vraiment des biches qu’on peut approcher ? m’interroge Lila, plus contente que je ne l’aurais cru de se joindre à nous.

— Oui, elles ne sont pas très farouches, il faudra juste qu’on soit discrètes.

C’est alors que Snow ouvre la porte avec fracas.

— Pas comme lui, par exemple, me moqué-je, faisant pouffer l’adolescente. Quelle sortie fracassante !

— Vous alliez partir sans surveillance, grogne-t-il. Vous n’avez toujours rien pigé, c’est pas possible.

— On fait une sortie entre filles pour aller voir des biches et il ne faut pas qu’un militaire pataud et bruyant leur fasse peur, c’est tout !

— Bien, poursuit-il en m’attirant à l’écart. Je vous laisserai expliquer à Arthur et Julia que leurs filles ont été kidnappées parce que leur naïve baby-sitter n’a toujours pas compris qu’on n’était pas en vacances, alors. Est-ce qu’à un moment donné, vous comptez prendre cette situation au sérieux ?

— On ne risque rien ici, Snow. Et si vous voulez venir, faites donc. Mais à distance, sinon avec vos armes et vos grosses chaussures, jamais on ne verra d’animaux sauvages !

— Putain, Ysée ! s’emporte-t-il en se pinçant le nez avant de souffler comme un bœuf. Je suis certain que la fille de Florent pensait aussi ne rien risquer, il y a cinq ans, depuis Paris. Et vous savez ce qu’il s’est passé ? Le Président a missionné quelqu’un pour qu’elle soit renversée par une voiture, afin qu’il ait un moyen de pression sur Flo pour trahir l’armée. Vous comprenez ? Ils sont tordus, complètement cinglés et capables de tout ! Personne n’est en sécurité, nulle part, vous pouvez l’intégrer dans votre petite tête avant de me faire vriller ?

— Moi, ce que je vois, c’est que vous voulez traumatiser au maximum ces enfants. Ou alors, vous voulez venir juste pour mater mon cul. Je n’en sais rien et je m’en fous. Alors, si vous voulez venir, vous venez, mais arrêtez de toujours faire un foin de tout ce que je fais. Tout ce que je veux, c’est qu’elles vivent une vie qui soit la plus normale possible. La sécurité, c’est votre job. Je n’ai pas caché à Florent que je partais, je n’ai interdit à personne de venir. Alors, si vous avez des reproches à faire, ce n’est pas à moi, c’est à votre acolyte.

— Quelle foutue têtue, c’est pas possible. Arrêtez de faire de la merde et je ne me plaindrai plus. Et arrêtez de prendre vos rêves pour une réalité. On parle de mes nièces, tout ce que je veux, moi, c’est qu’elles survivent. Votre cul peut bien finir plombé, je n’en ai rien à foutre, gronde-t-il en allant récupérer Sophia pour la hisser sur ses épaules. Allez, on y va les filles, c’est parti pour la balade.

— C’est par là, lui crié-je alors qu’il prend la mauvaise direction. On va vers la petite forêt, c’est le meilleur endroit pour voir des biches et des daims.

Je lui indique le petit chemin en terre qui monte doucement à l’arrière de la maison et m’y engage, accompagnée de Lila qui nous regarde tous les deux bizarrement. J’ai une folle envie de lui demander ce qu’elle pense de ce qu’elle a entendu mais je ne veux pas non plus la mêler à nos histoires.

— Sophia, il faut que tu prennes les rênes et que tu diriges mieux ton petit âne, il n’arrête pas de se perdre !

— Mais, Tonton, c’est pas un âne, rit-elle. Hein, t’es pas un âne ?

— Non, c’est Ysée la plus têtue de nous deux, grommelle le militaire en me fusillant du regard.

— Je crois que c’est notre mère, la plus têtue, indique Lila en riant, mais tous les deux, vous n’êtes pas mal non plus ! Et arrêtez de parler, sinon on ne verra jamais d’animaux !

— Honnêtement, ta mère est têtue, mais pas non plus irréfléchie, elle, poursuit Snow, vicieux. Elle sait ce qu’elle fait et prend l’avis des autres en compte. Donc, on va voir quoi, des biches, c’est ça ? Tu as déjà vu des biches, Sergent Sophia ?

Il m’énerve mais je ne sais pas quoi lui répondre pour ne pas envenimer les choses entre nous et faire de cette balade un enfer. Je laisse donc la petite répondre à son tonton.

— Non, juste des “Bambi” dans les livres. Alors, il ne faut pas que tu fais du bruit !

— “Que tu fasses”, Sergent, pas “que tu fais”, rit-il. Allez, on se tait, maintenant, jeune fille. Quelle pipelette !

Je m’en veux un peu de mon comportement puéril mais je sens que son attitude et ses propos m’énervent énormément. Je préfère me murer dans le silence plutôt que de continuer à le provoquer inutilement. Je voulais une marche en silence, eh bien, je l’ai. Pas forcément aussi agréable que je ne me l’étais imaginée, mais bon, ce qui compte, c’est de faire plaisir aux deux filles. J’espère juste que la chance nous sourira et que nous remplirons notre quête et notre recherche de biches.

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