38. La nuit des confidences

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Mathias

Je soupire en rajustant mon sac sur mon épaule et la suis de loin. Ok, j’y suis peut-être allé un peu fort, j’en conviens, mais putain, elle a failli me tirer comme un lapin ! Julia m’a dit qu’elle avait passé du temps avec les Rebelles, je pensais qu’Ysée maîtrisait et à aucun moment elle ne m’a contredit à ce sujet. Si j’avais su que ce n’était pas le cas, j’aurais agi autrement, je lui aurais montré, l’aurais accompagnée différemment, évidemment ! Mais elle est tellement bornée, veut tellement faire croire qu’elle connaît tout sur tout, ne pas montrer ses failles, qu’elle préfère prendre des risques plutôt que de se dévoiler. Et ça me saoule. Je pensais qu’on avait franchi un cap, elle et moi, qu’elle me faisait confiance. Tu parles, on n’est pas chez les Bisounours, ici.

Je sais qu’elle sait que je la suis, je vois ses coups d’œil fréquents dans ma direction. Elle est énervée, assurément, mais moi aussi. Je ne ferai pas le premier pas, hors de question, et c’est avec cette certitude que nous regagnons la maison, dans un silence de mort et en ruminant. Heureusement, les filles et la présence de Julia et Arthur allègent un peu l’atmosphère, mais nous ne nous parlons pas, et je vois bien que Ju a compris qu’un truc clochait, mais je ne dis rien et profite de mes amis jusqu’à ce qu’ils repartent, une fois la nuit tombée, après des embrassades empreintes de larmes et de suppliques des filles qui ne veulent pas que leurs parents les abandonnent.

Ysée est partie se coucher et je m’occupe des filles, m’allongeant avec elles et en profitant pour dormir quelques heures. Florent est plus en forme que moi après sa sieste de l’après-midi, et je suis ravi qu’il me laisse deux heures de plus que prévu pour me reposer, mais je me redresse brusquement lorsqu’il ouvre la porte de la chambre. Je grimace en voyant les filles bouger et m’immobilise en espérant ne pas les avoir réveillées, puis sors précautionneusement du lit, enfile mes rangers et récupère mon arme avant de le rejoindre dans le couloir.

— RAS, j’imagine ? chuchoté-je.

— Bien vu. Payés à rien faire, le pied.

— Hum… Si tu le dis. Bonne nuit, mec.

Je file rapidement à la salle de bain pour finir de me réveiller en me passant de l’eau sur le visage et descends pour prendre mon poste. Payés à rien faire… Vraiment pas mon truc, même si dans le cas présent, c’est mieux comme ça. Sauf que je m’emmerde royalement et que faire le tour de la maison toutes les dix minutes ne suffit pas à m’occuper.

Je finis par rentrer pour me préparer un café, après un énième tour de la propriété et me stoppe dans l’entrée en entendant des bruits qui proviennent de l’étage. Des geignements ? Des mots incompréhensibles ? Qu’est-ce qui se passe, là-haut ? J’aurais entendu quelque chose, même au fond de la cour, si quelqu’un était entré, non ?

Je ne me pose pas plus de question et retire la sécurité de mon arme en montant les marches, évitant les lattes qui grincent. Sur le palier, je constate que les portes sont fermées, mais les sons proviennent de la chambre d’Ysée. Putain, c’est sa voix, et je n’hésite pas une seconde de plus pour entrer lorsque je crois discerner un petit cri.

Seule la Lune éclaire légèrement la pièce, mais j’observe les quatre coins sans discerner la moindre personne, hormis la Ministre dont le sommeil semble agité. Je soupire en refermant la porte derrière moi pour qu’elle n'alerte pas la maisonnée et me demande si je dois la réveiller ou pas. J’avais l’habitude, à un moment, de gérer les cauchemars de Julia, mais je me prenais des coups et j’aimerais autant éviter ça, cette nuit. Pour autant, elle semble vraiment mal et je ne me vois pas la laisser se débrouiller, alors je m’assieds sur le bord de son lit et me penche pour murmurer des paroles réconfortantes, tenter de l’apaiser sans pour autant la réveiller.

Ce n’est pas une franche réussite… Ce qui me pousse à la secouer doucement pour la faire sortir de là.

— Ysée… Ysée, réveille-toi, chuchoté-je jusqu’à la voir ouvrir brusquement les yeux, un air paniqué sur le visage. C’est moi, c’est Mat, calme-toi, tout va bien.

— Mathias ? Mais tu fais quoi dans ma chambre ? m'interpelle-t-elle, affolée et perdue.

— Tu faisais un cauchemar, et pas un petit, à mon avis. Je… Je voulais juste te sortir de là, soufflé-je, mal à l’aise. Est-ce que ça va ?

— Un cauchemar ? Non… Enfin… hésite-t-elle. Comment tu t'en es rendu compte ? Tu étais en train de me mater ?

Elle remonte sa couette sur ses épaules et se blottit dans son lit, donnant une terrible impression de fragilité qui contraste avec ses propos.

— Bien évidemment, je passe mon tour de garde devant ta porte ouverte à te regarder ronfler, souris-je. Plus sérieusement, j’allais juste me faire un café et je t’ai entendue d’en bas. C’est rien, Ysée, je… Enfin, je sais ce que c’est, quand on a vécu la guerre. J’espère que ce n’est pas à cause de cet après-midi, je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs…

— D'en bas ? Je… Je suis désolée de t'avoir inquiété, Mathias, mais la gourde que je suis est un peu dérangée parfois… C’est difficile quand tu te replonges dans les traumatismes du passé…

Je grimace en l’entendant et soupire lourdement, encore plus mal à l’aise.

— Ecoute, Ysée, je… Je suis désolé pour cet après-midi, vraiment. Je n’aurais pas dû te dire ça, mais j’ai eu la trouille, je ne m’attendais pas à ce que tu ne maîtrises pas les armes à feu. Tu aurais dû me le dire, lui soufflé-je d’une voix calme, je t’aurais montré. On ne peut pas tout savoir faire, j’aurais compris que tu ne saches pas et je ne me serais pas moqué pour autant, ok ?

— Tu n'as pas à t'excuser, c'est moi qui ai merdé. Je ne suis vraiment qu'une gourde, comme tu t'en es rendu compte. J'aurais pu te blesser, soupire-t-elle sans oser me regarder. C'est de ça dont je rêvais à l'instant. Avec mon ex derrière moi qui n'arrêtait pas de se moquer de mon incompétence. C'était horrible…

Donc, ce cauchemar est bien de ma faute… Quel con. J’étais tellement énervé de la voir tirer n’importe comment que je n’ai pas réfléchi à mes propos. Et là, maintenant, je fais tout le contraire, pesant chaque mot pour éviter de faire une nouvelle boulette.

— Ton ex était un con alors… Bienvenue au club, souris-je tristement en dégageant délicatement une mèche de cheveux de son visage. Je suis désolé pour mes propos, je ne le pensais pas, Ysée, tu es bien loin d’être une gourde, crois-moi, j’en ai croisé des nanas qu’on pourrait qualifier comme telles, mais ce n’est pas ton cas. Au pire, t’es têtue et un peu trop rentre-dedans, mais certainement pas gourde.

— Tu crois me réconforter en continuant à m'insulter, me répond-elle en souriant un peu toutefois. Je ne suis pas têtue, je sais ce que je veux, c’est tout. Et c'est quoi, cette histoire de rentre-dedans ?

Elle s'est redressée et a relâché sa couette, ce qui dévoile ses courbes sous sa petite nuisette.

— Avoue que tu es tout le temps en train de me chercher, ris-je en tentant de rester concentré sur son visage. Tu voudras bien refaire une séance de tir ou deux ? Je te promets de te montrer les choses comme il faut, ou… Je laisserai Florent s’occuper de toi, si tu préfères. Peu m’importe, tant que tu es capable de te défendre arme à la main, au final…

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, Mathias. Je suis un vrai danger… Tu imagines si je t'avais mis une balle en plein cœur comme dans mon rêve ? Je… Je me fais peur à moi-même, avoue-t-elle en posant sa tête contre mon torse. Et si quelqu'un doit me tirer du lit pour ça, je préfère que ce soit toi. Tu es vraiment énervant quand tu cherches à me protéger à tout prix, mais c'est peut-être ce dont j'ai besoin…

— Ysée, pouffé-je en passant mes bras autour d’elle pour lui caresser le dos, tes mots peuvent tuer, tu sais ? Évidemment qu’on a besoin des gens, qu’on ne peut pas la jouer en solitaire constamment, mais tu es de la trempe des femmes capables de se débrouiller seules, en général. Pour le reste, je ne m’excuserai pas d’essayer de te protéger à tout prix. Déjà, c’est mon boulot, mais c’est aussi ce que je suis. Tu es comme Julia, une femme forte et indépendante, et ça ne m’a pas empêché de la protéger pendant des années, alors ça te donne un aperçu en ce qui te concerne. Je suis en vie, pas blessé, tu ne l’es pas non plus, c’est l’essentiel, ok ? On oublie cet après-midi, et on va essayer de faire les choses comme il faut, demain, d’accord ?

— Comme il faut, c'est-à-dire ? Il faut que j'obéisse à tous tes ordres et dise Amen à toutes tes demandes ? Ce n'est pas mon genre, tu sais.

— Tu devrais essayer, parfois, souris-je en posant mon menton sur le dessus de sa tête. Ça fait du bien de lâcher prise, de temps en temps, de ne pas réfléchir et de se laisser guider. Parce que toi aussi tu es une control freak, Ysée, même si c’est moi que tu affubles de ce petit nom.

— La dernière fois que je me suis laissée aller, ça a failli me détruire. Plus jamais je ne serai faible, affirme-t-elle en glissant sa main fraîche sous mon tee-shirt. Même si tu as de vrais arguments, ce n'est pas négociable.

Je ris en essayant de penser à des trucs dégueulasses pour ne pas bander, parce que si elle commence à me tripoter comme ça, on est mal. Et je ne veux pas agir en pansement après son cauchemar, elle le regretterait assurément.

— Je comprends parfaitement que tu ne veuilles pas baisser ta garde, crois-moi. Les gens peuvent être nocifs et te briser le cœur avec beaucoup trop de facilité. Mais je te parle d’un cours de tir, ma belle, et pour ça, tu n’as aucun risque de souffrir. Baisse les armes, je te guiderai sans problème et je ne te lâcherai pas. C’est tout ce que je te demande. Et puis… Tu vas me prendre pour un pervers, mais c’est excitant, une nana avec un arme, crois-moi. Sauf quand c’est moi qu’elle tient en joue, j’avoue.

— Je confirme, dit-elle en riant. Un gros pervers qui est plus excité quand je lui tire dessus que quand je suis avec lui presque nue !

— Je ne suis pas comme les autres mecs, que veux-tu. Le treillis me fait plus bander qu’une nuisette, aussi jolie soit-elle. Un flingue m’intéresse plus qu’une paire de menottes. Quoique… Et pour tout te dire, je suis en train de penser à mes grands-parents pour te montrer que je sais me tenir, ricané-je. Plus sérieusement, Ysée… Je n’aurais pas dû m’énerver comme ça, cet après-midi, je suis désolé. Et puis… J’admire ta force. On est là depuis une semaine et tu n’as jamais flanché, même après ce qu’il s’est passé au concert. Tu ne te plains pas, du moins pas trop, et tu gères avec les filles. Tu assures, ok ? Ne doute pas de toi, surtout pas à cause d’un ex qui ne méritait pas de t’avoir dans sa vie, à mon avis, ou d’un militaire qui ne réfléchit pas avant de parler.

Je crois que nous n’avons jamais autant parlé, tous les deux, et j’ai l’impression d’être une vraie gonzesse à m’épancher. Est-ce que je regrette ? Pas vraiment. Derrière l’uniforme et le masque que je propose à tout le monde, je suis comme ça. Peu voient cette facette de ma personnalité, en vérité, mais jouer le macho est plus facile que de montrer qu’on s’intéresse et qu’on s’inquiète pour les gens.

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