42. Frustrés d'attendre

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Mathias

Cette nana va me tuer. Je suis à deux doigts de me cogner la tête contre ce mur qui supporte mon front et ma frustration. Putain… Qu’est-ce qui lui a pris ? Comment a-t-elle pu se déshabiller comme ça devant moi ? Je crois n’avoir jamais fait preuve d’autant de self-control que depuis quelques minutes. L’entendre gémir sous la douche… Bordel de dieu, quelle idée ! J’ai une trique d’enfer et je me demande encore comment j’ai pu résister à aller la rejoindre. Enfin si, je sais, j’ai haï et je hais Julia, parce que c’est sa voix et son “No zob in job” qui m’a empêché de me déshabiller et d’aller la retrouver. Merde…

Je sursaute en entendant du bruit dans les marches et me redresse juste à temps pour croiser le regard de Florent. Regard scrutateur, interrogateur… Jusqu’à ce qu’il le cache en levant devant mes yeux deux morceaux de tissu. Ok… Je soupire en récupérant les vêtements qu’Ysée a quittés au rez-de-chaussée et vais les balancer sur son lit avant de redescendre. J’entends la porte de la salle de bain se fermer et je me demande si Flo en a profité pour se rincer l’œil, ou si c’est elle qui a terminé ses affaires et rejoint sa chambre.

Tout mon corps me hurle que j’ai fait une connerie. Pourquoi je n’y suis pas allé ? Un petit coup vite fait, bien fait, ça nous aurait soulagés tous les deux après tout. Sauf qu’elle n’est pas une nana de passage dans ma vie et qu’on va devoir cohabiter pendant je ne sais combien de temps, encore. Et je ne supporterais pas qu’elle cherche à remettre le couvert. Du moins… Je ne dirais pas non, sauf qu’on sait tous que le côté sex-friends, ça ne dure jamais. L’un des deux s’attache et ça fout la merde.

Je me rajuste en grimaçant et me sers un café avant de rejoindre Flo sur la terrasse. C’est de l’alcool qu’il me faudrait, là, ou un petit coup de fil à Julia pour qu’elle me remette définitivement les idées en place, parce que j’ai hésité, dans l’entrée, à monter plutôt que de sortir. J’ai manqué ma chance, c’est sans doute mieux comme ça. Et puis, telle que je la connais, je doute qu’elle me pardonne de ne pas l’avoir fait. Comment a-t-on pu passer d’une conversation ultra sérieuse à cette déesse qui se déshabille sous mes yeux, m’invitant sans aucun tact à venir profiter de son corps ?

— Je n’ai rien fait, ne me regarde pas comme ça, soupiré-je en croisant le regard de mon collègue.

— Rien fait ? Tu es sûr, Mat ? Et ses vêtements sont tombés tout seuls ?

— Ah non, pas tout seuls, non, c’est elle qui les a enlevés ! Je te jure, Flo, je… Merde, j’ai rien fait du tout, m’esclaffé-je.

— Purée, j’y crois pas, là. Tu peux avouer, tu sais, je ne t’en voudrais pas, elle a un cul d’enfer. Mais quand même, tu oublies la mission ! Surtout vu les dernières nouvelles que donnent les infos.

— Je te dis que je n’ai rien fait ! m’agacé-je. On discutait sérieusement et elle est partie en vrille, putain. J’y suis pour rien, sinon crois-moi que je ne serais pas resté à la porte de cette foutue salle de bain !

— Et tu faisais quoi, à la porte ? Tu sais que tu es étrange, parfois ? Tu es devenu impuissant ou quoi ?

C’est vrai, qu’est-ce que je foutais à la porte ? A part lutter pour y rester et ne pas entrer ? Pourquoi je l’ai suivie ? Elle me retourne le cerveau, c’est pas possible. Finalement, c’était mieux quand on s’engueulait tout le temps, non ?

— J’en sais rien. Enfin, pas pour l’impuissance, ça, je t’assure que ça fonctionne, mais… Merde, une nana qui t’aguiche et se déshabille devant toi, ton premier réflexe, c’est de la suivre, non ?

— Tu n’as vraiment rien fait ? Elle te montre son cul et toi, tu as su résister au dernier moment ? Mais, tu sais que tu n’es pas normal ? rit Flo en me dévisageant.

— C’est Julia qui me hante, grimacé-je. Julia et son foutu “no zob in job”... Je crois que c’est le seul truc qui m’a retenu. Enfin, non, y a ça, et le fait que je ne pourrai pas me barrer et ne plus jamais la croiser après cette nuit, tu vois ?

— Je vois bien, oui. Quand je pense qu’il y a peu, vous vous piochiez le nez et ne vous supportiez pas. Voilà que vous vous mettez à vous faire du rentre-dedans. Mais où va le monde ?

— Peut-être que je n’aurais pas dû mettre les choses à plat. Avec mon charme et mon bagou, elle a craqué pour ma belle gueule, ris-je.

— Ou alors, t’es le seul mec dispo qu’elle fréquente. Elle a le feu au cul, cette nana.

— Elle a une sexualité épanouie, c’est tout. Pourquoi tout de suite le feu au cul ? Je ne te savais pas aussi jugeant, Flo. Donc, j’ai le feu au cul, moi ? Je suis quoi, une traînée ? le provoqué-je.

— Ben non, toi, tu es Don Juan ! dit-il en souriant. Touché en tous cas, tu as raison, c’était un peu macho, ma remarque.

— Ben voyons, ris-je. Non, mais… elle est mignonne, Ysée, et dans un autre contexte, clairement… je ne dirais pas non. Mais là, ça me semble compliqué, et hors de propos.

— Oui, et puis ce n’est vraiment pas le moment de compliquer encore les choses. Tu as vu que la Gitane n’était toujours pas réapparue en public ? C’est inquiétant.

— Ouais… En même temps, elle n’est plus toute jeune, il faut se remettre d’une telle blessure. Mais au moins, elle reste en sécurité. J’ai l’impression qu’on va camper ici pendant une éternité. Si Ysée me chauffe comme ça, je ne sais pas si je vais tenir jusqu’au bout. Je ne suis qu’un homme, bordel.

— Moi, je bous d’aller les rejoindre et Ysée n’a rien à voir là-dedans. Je n’en reviens pas que les fidèles de l’ancien Président se soient ainsi acoquinés avec les cartels et les mafias. Ça va devenir explosif, tout ça.

Je grimace et lève les yeux vers le ciel en soupirant. Moi aussi, j’ai envie d’y aller, de tout péter, de rappeler à ces imbéciles dans quel état était le pays il y a quelques années. Je voudrais que Lila leur raconte ce que c’est de naître sous les bombes, de ne connaître que la guerre, de vivre dans la peur. Puis d’apprendre à vivre avec la paix, et appréhender le retour de la guerre. Putain, ce pays est vraiment trop bancal. Si ça ne tenait qu’à moi, je ramènerais les filles en France pour les mettre en sécurité et ne pas leur faire vivre ce qui se passe actuellement et ce qui pourrait se passer dans un avenir proche.

— Hum… Moi aussi j’ai envie d’y retourner, mais les filles sont plus en sécurité ici, et Julia a confiance en nous, soupiré-je.

— C’est vrai qu’ici, on ne risque rien. Tu as vu le calme de la région ? Par rapport à l’Est du pays où il y a des régions entières qui échappent au contrôle du gouvernement, on est plutôt bien lotis, je trouve.

— Oui, c’est sûr… Mais je crois que toi et moi, on n’a pas appris à vivre dans le calme. C’est hyper frustrant, je me sens totalement inutile. Évidemment, je n’ai aucune envie que les filles soient en danger, mais j’ai besoin d’action, besoin d’avoir un impact sur ce qui se passe. Mais bon, c’est comme ça.

— Je ne sais pas si c’est vrai mais j’ai aussi entendu aux informations que la communauté internationale refusait de s’engager. Ils n’ont toujours pas confiance en Marina et, vu qu’elle est blessée, je crois qu’ils ont encore moins confiance dans son entourage. J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas se mouiller et que s’il y a un conflit interne, on va être un peu seuls pour se défendre.

— Je suis désolé de t’avoir embarqué là-dedans, Flo. Ta femme va me tuer, et elle aura raison…

— Ce qui est compliqué, là, c’est le silence radio. J’ai aucune nouvelle, je n’aime pas ça. Et pour elles, ça doit être l’enfer. Elles doivent s’imaginer le pire…

— Julia m’a dit qu’elle essayait de récupérer du matériel sécurisé pour pouvoir établir les connexions, espérons que ce soit bientôt possible. J’avoue que je ne dirais pas non à savoir comment va ma mère… L’armée me manquerait presque, au moins, rares étaient les silences radio, ris-je.

— Tu crois que tout ça va finir comment, Mat ? On est repartis pour une nouvelle guerre civile ou les choses vont se calmer ?

En voilà une bonne question. Je ne suis pas devin, mais ça pue, ici.

— J’en sais trop rien. Je me demande si Marina ne serait pas sur le point de démissionner pour apaiser les tensions, ou d’organiser plus rapidement de nouvelles élections. Ou… Merde, tu sais que la politique et moi, ça fait dix, là, tout ce dont j’ai envie, c’est d’aller dégommer des culs mal intentionnés pour ramener mes nièces chez elles. Peut-être qu’au final, le Commandant avait raison, ils auraient dû attaquer directement et endiguer la vague.

Je soupire et me lève pour faire quelques pas. Au moins, avec cette conversation, mon service trois pièces s’est remis au repos, bien loin des pensées totalement déplacées et plus qu’érotiques en ce qui concerne Ysée. Ysée qui s’est promenée à poil sous mes yeux, qui m’a invité à la rejoindre sous la douche. Ysée qui… Ouais, on se calme, Mat, sinon je vais encore avoir du mal à marcher tranquillement. C’est impossible. Il ne faut pas. Je ne dois pas. Ça compliquerait trop les choses, ici.

— On pourrait peut-être acheter un pré-payé dans une ville un peu plus loin, histoire que tu puisses appeler ta femme et moi ma mère. T’en penses quoi ?

— Oui, même si je doute qu’on trouve ce genre de trucs dans ce coin reculé. On emmène les filles et Ysée ou juste l’un de nous y va ?

— C’est un peu risqué de se balader en ville avec elles, non ? Je veux dire… Ysée est reconnaissable. A moins de lui imposer le vieux chapeau de paille accroché au mur, des lunettes de soleil et une vieille robe qui la cacherait. Oh, ris-je, en voilà une bonne idée, non ? Ça pourrait être drôle !

— Je croyais que tu préférais voir ses fesses, se moque gentiment mon camarade.

— Je n’oublie pas la mission, contrairement à ce que tu peux penser. Par contre, je n’oublie pas non plus que j’aime me marrer, et je crois que la mettre en pétard est l’une de mes activités favorites, ces derniers temps. Donc, demain matin, pendant que je dormirai, tu lui diras qu’on va en ville et qu’elle doit passer incognito. J’ai hâte de descendre et de la voir en train de bouder !

— Oui, magnifique idée ! Au moins, on rigolera un peu !

— Parfait ! Allez, retourne dormir, je gère et je te réveillerai quand ce sera mon tour de profiter de la literie. Bonne nuit, Flo.

J’attends qu’il entre dans la maison et file faire un tour dans la cour histoire de bouger un peu. Aucune lumière ne filtre de la maison hormis dans la chambre que je partage avec mon collègue, et je me demande si Ysée dort ou si elle rumine. D’ailleurs, est-ce qu’elle est en colère que je ne l’aie pas rejointe ? Déçue ? Un peu honteuse ? J’aimerais bien discuter de tout ça avec elle pour qu’il n’y ait pas de malaise, mais je serais capable de lui sauter dessus rien qu’en repensant à ses deux jolies fesses qui me faisaient de l’œil tout à l’heure… Merde, elle a au moins réussi à me déstabiliser plus que de raison. Miss Coincée a définitivement disparu, en tous cas…

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