52. Retour au bercail

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Mathias

— Super, merci, Ju.

Je raccroche en me demandant à quel point elle et moi sommes encore connectés, des années après les galères du terrain. J’avais allumé le prépayé depuis même pas dix minutes qu’elle appelait, c’est dingue.

Je fais demi-tour et rejoins le groupe, installé sous un grand saule pour une pause repas, et tous les regards se lèvent dans ma direction.

— On rentre à la maison, une voiture doit venir nous récupérer à quelques kilomètres d’ici.

— À la maison ? demande Sophia en lui sautant dans les bras. Youpi ! On va revoir Maman et Papa !

— Ce n’est pas trop dangereux ? s’interroge immédiatement sa sœur.

— Tu crois que ta mère vous ferait rentrer s’il y avait des risques, ma belle ? souris-je en chatouillant Sophia qui rit dans mes bras. Vous êtes prêtes à repartir ? Je sais que vous êtes fatiguées, mais c’est la dernière ligne droite.

— On va tous au Palais ? me questionne Ysée. Ou juste les filles ?

— J’ai pas le planning complet, mais oui, l’objectif, c’est le Palais. Pourquoi ?

— Je ne sais pas si Julia et Arthur voulaient qu’on donne des fausses pistes à ceux qui nous recherchent… Mais c’est bien si on rentre au Palais. Je retrouverai mes appartements avec plaisir.

— Alors c’est parti. Sergent Sophia, on y va !

Bon, le Sergent Sophia est K.O, il faut dire qu’on marche depuis des heures. Elle a voulu jouer la grande fille, mais avec ses petites jambes, difficile de tenir le rythme, alors elle finit en mode koala dans mes bras tandis que nous marchons dans une ambiance bien moins lourde que ce matin. Du moins, pour les filles. Parce que j’ai l’impression que les deux autres adultes boudent.

Je sais que je suis allé trop loin avec Flo, mais bon dieu, il sait que le sujet est tabou. Il l’a cherché ! Quant à son attitude avec Ysée, je n’arrive pas à comprendre ce qui lui a pris, ce n’est absolument pas son genre. Comme ce n’est pas mon genre d’être jaloux, d’ailleurs. Ou si peu…

En tous cas, j’ai conscience d’avoir dépassé les bornes, et à un kilomètre du point de rendez-vous, je ralentis la cadence pour laisser passer les filles, décidé à remettre les choses à plat avec Flo.

— Ecoute, je suis désolé mon pote, je… J’aurais pas dû réagir comme ça. Mes mots ont dépassé mes pensées, clairement, je n’aurais pas dû t’attaquer là-dessus.

— C’est comme ça que tu traites tes potes ? En les rabaissant et en les frappant ? me répond-il sèchement.

Merde… Je pensais qu’il lâcherait l’affaire direct. On est des soldats, parfois, on a des coups de sang et ça part aussi vite que c’est arrivé. Mais là, j’ai l’impression que je vais devoir sortir les rames.

— T’as parlé de Justine… Tu sais que la première image qui me vient en tête quand j’entends son prénom, c’est elle sur ce putain de brancard, pleine de sang ? Ça me fait vriller à chaque fois, soupiré-je en me passant la main sur le visage. Je suis désolé, Flo, vraiment.

— Oui, je sais, grogne-t-il. J’aurais pas dû parler du sujet tabou. Désolé… Mais je crois que ce n’est pas que ça qui t’a fait vriller, mec. Tu as des vues sur la Ministre, non ? Et tu as fait ton jaloux.

Je me racle la gorge et me complais dans l’observation du paysage un petit moment. Est-ce que j’ai des vues sur la Ministre ? Je mentirais si je disais qu’elle ne me branche pas et que j’ai trouvé notre interlude bien trop court, j’en conviens.

— Possible que j’ai bien envie de la coller dans mon lit, oui, mais je ne suis pas jaloux. C’est ton attitude qui m’a fait vriller. Je suis peut-être pas le gendre idéal, mais ton côté voyeur, à la rivière… Je sais pas ce qui t’a pris, sérieux.

— Ouais, je ne sais pas non plus. Je te jure qu’au départ, j’étais juste parti pour m’assurer que rien ne lui arriverait. Et… J’ai vu ses fesses. Putain, quel cul… Mon cerveau s’est juste déconnecté. Pas moyen de me sortir l’image de la tête. C’est… Merde, surtout ne dis pas ça à ma femme, elle me fait déjà assez la gueule comme ça.

Quel cul, je confirme… Et quelle femme !

— Promis, je serai une tombe, ris-je. Alors, on est toujours potes ? Je voudrais vraiment effacer de nos mémoires ce qui s’est passé ce matin, c’est pas moi, ça, et je suis sincèrement désolé.

— Ouais, bien sûr, dit-il en souriant. Moi aussi, je m’en veux. J’aurais dû calmer l’affaire. Et puis, la prochaine fois que c’est une meuf qui vient te protéger et m’empêche de te rendre les coups que tu me donnes, je te jure que même si elle a un joli cul, je ne me gênerai pas pour me moquer !

Je lui offre mon majeur en riant et regagne la tête du petit convoi en prenant garde à ne pas réveiller le koala endormi contre moi, même si elle a l’air tellement crevé que même nous entendre discuter ne l’a pas vraiment dérangée. Quand nous arrivons au point de rendez-vous, Davit est déjà là et nous fait signe au loin. L’homme qui bosse pour Julia nous rejoint rapidement et me décharge de mon sac à dos après avoir fait de même pour Ysée, et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf”, nous nous retrouvons dans le confort d’une Berline. Hallelujah, cette mission s’achève et c’est un succès, si l’on considère que coucher avec Ysée et frapper mon ami ne sont que de petits grains de sable dans le mécanisme… J’ai merdé sur toute la ligne, mais le sourire de Sophia et Lila lorsque nous passons le portail du Palais me rappelle que l’essentiel est là. Tout le monde est sain et sauf, c’est tout ce qui importe, même si la distance qui s’est créée entre la Ministre et moi me fait bizarre. Après avoir vécu les uns sur les autres pendant plus de deux semaines, avoir couché ensemble, c’est juste étrange de jouer aux inconnus…

Julia ouvre la portière arrière avant même que la voiture soit totalement arrêtée et c’est dans un bordel monstre que nous sommes accueillis. Les petites pleurent dans les bras de leurs parents, sont couvertes de baisers et câlinées comme jamais, et je me rends compte, à cet instant, d’à quel point je peux me sentir seul, parfois. Là, devant cette famille, ma famille, j’ai l’impression d’avoir foiré un truc dans ma vie.

Heureusement, mes pensées moroses sont balayées quand j’ai enfin droit à un câlin à mon tour. Julia me prend dans ses bras, Sophia nichée entre nous, et j’ai l’impression que mes muscles relâchent la pression des quinze derniers jours quand je retrouve son sourire.

— T’as toujours une sale tête, Cheffe, me moqué-je. Faut dormir, la nuit, tu sais ?

— Tu peux parler. On dirait que tu n’as pas passé une bonne nuit de sommeil depuis une éternité aussi ! Merci en tous cas de les avoir ramenées ici. On ne sait toujours pas qui est la taupe, mais au moins, j’aurai l’impression de pouvoir les surveiller et les protéger.

— Je ne sais plus ce qu’est une nuit de sommeil, ris-je en l’embrassant sur la tempe. J’imagine que t’as déjà prévu un plan de sécu digne de ce nom pour elles, n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr. Mais je compte sur toi pour venir le renforcer une fois que tu seras reposé !

— Pitié, dis-moi que tu m’accordes quarante-huit heures de sommeil d’affilée, sinon je pleure ! plaisanté-je avant de reprendre mon sérieux. Et… Vous allez pouvoir prendre un peu de temps tous les quatre ? Je crois que… Enfin, Lila a besoin d’un peu de normalité, tout ça, ça a fait remonter des choses, quoi… Elle a été géniale avec sa frangine, c’est une sacrée gamine…

— Oui, c’est prévu. Mais bon, avec la situation à l’Est et la Gitane qui a repris toutes ses mauvaises habitudes, je te jure que je galère au quotidien.

— Je t’embauche quand tu veux dans ma boîte, Lieutenant, si tu veux un boulot sans trop de stress ! J’adorerais t’avoir sous mes ordres, ce serait tellement le pied !

— Non mais, tu rêves, là ! Jamais, je ne pourrais t’appeler Chef !

— Tu viens de foutre en l’air mon plus beau fantasme, Ju, tu me brises le cœur. Zrinkak, il faut vraiment que tu dresses ta femme, sérieux !

— Je t’assure qu’avec moi, elle obéit au doigt et à l'œil ! me répond-il en me faisant un clin d'œil. Les miracles de l’amour !

— J’y crois pas une seule seconde, me moqué-je alors que nous rejoignons le groupe. Julia, docile, bon sang, c’est aussi inimaginable qu’Ysée obéissante. Avec tout mon respect, Madame la Ministre.

— Peut-être qu’il y a des hommes plus doués que d’autres, Mathias, me répond la jolie Brune. Qui sait ? Peut-être qu’avec Arthur, je serais soumise à ses moindres désirs ?

J’ai envie de ricaner, surtout après ce qui s’est passé ce matin. Ysée est une vraie furie, indomptable, à mon avis. Bien que je suis persuadé qu’elle aime aussi être dirigée au lit… Ouais, Ysée est un peu trop “tout”, et j’en reviens encore à tenter de la cerner. Un sacré bout de femme, et le mec qui passera sa vie avec elle a intérêt à avoir les épaules solides.

— Fais gaffe, Julia pourrait te couper la tête rien qu’à savoir que tu t’imagines avec son homme. Et puis, il me semblait que tu préférais diriger, lui lancé-je avec un coup d’œil appuyé.

— Vu le peu de cas que tu fais de mes avances, je crois que tu ne le sauras jamais vraiment, Beau Blond.

— Ils ont été aussi insupportables pendant tout le séjour, Florent ? soupire Julia à côté de moi avant que j’aie pu rétorquer quoi que ce soit.

— Ouais, Je ne comprends pas comment ça n’a pas dégénéré. J’ai bien fait de veiller au grain, je crois.

Je lève les yeux au ciel en me rappelant à quel point il a pu veiller, ce matin. Moi, jaloux ? Si peu… J’ai fait pire. Ou mieux, je ne sais pas trop, vu le froid polaire qui s’est glissé entre Ysée et moi depuis que j’ai repoussé ses avances.

— Oh arrêtez, on s’est bien amusés, quand même, et on a fait des efforts ! Bon, débrief et dodo ? Ou je peux aller me pieuter dans la minute, Cheffe soumise à son mari ?

— Débrief d’abord, oui. Je veux tous les détails, d’accord ?

— Moi, je vais me coucher, intervient Ysée. J’en ai assez de toute cette testostérone, un peu de calme me fera du bien. A demain.

— Bien… Tu me laisses cinq minutes, le temps de me changer ? demandé-je à Julia alors qu’Ysée s’éloigne déjà.

— Oui, bien sûr, Lieutenant Canon. A tout de suite.

Je ne me fais pas prier et m’éloigne pour gagner le vestiaire, mais bifurque en voyant Ysée au bout d’un couloir. Je ne sais pas trop ce que je cherche exactement, peut-être à mettre les choses à plat ? Ou à ce qu’elle m’invite dans sa chambre ? Ouais, j’aimerais bien qu’on finisse ce que l’on a commencé ce matin, même si je sais que c’est une très mauvaise idée. Non, il faut qu’on mette les choses à plat, je crois.

— Ysée ! Attends !

— Désolée, Mathias. Je n’ai pas le temps, là. J’ai mon vibro qui m’attend et je sais bien que ce n’est pas toi qui pourras le remplacer. Bonne nuit.

Je me stoppe dans le couloir, incrédule face à sa réplique. Sérieux, elle me ghoste comme ça ? Sans même qu’on prenne le temps de discuter maintenant qu’on est en sécurité ? Et pourquoi je me pose cette question, moi ? Je voulais tirer un coup, elle aussi, on s’est fait plaisir, c’est l’essentiel. Ok, demi-tour Snow, on va éviter de faire une connerie, ça vaut mieux pour tout le monde. Elle va me rendre totalement dingue !

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