56. La guerre frappe à la porte
Mathias
— Maman, il faut que je te laisse, soupiré-je alors que Julia se marre, installée à son bureau.
— Mathias Snow, tu m’as appelée deux fois seulement depuis que tu es parti ! J’ai bien le droit d’avoir un petit moment avec toi, non ?
— Mamaaaan ! Je bosse là, tu crois quoi ?
— Mathiaaaas, se moque-t-elle, j’entends Julia rire depuis le début et tu souris comme un benêt depuis tout à l’heure, ne me prends pas pour une imbécile. Je veux bien que tu sois au boulot, mais je doute que vous étiez en train de bosser.
— Ta mère a toujours raison, Lieutenant Sexy, désolée !
— Et quand est-ce que tu la kidnappes pour en faire ma belle-fille, bon sang ?
Julia et moi éclatons de rire simultanément. Le plus vieux rêve de ma mère, ça, même si elle sait que ça n’arrivera jamais.
— Vous inquiétez pas, bientôt il vous ramènera une jolie fille, je vous le garantis !
Je fais les gros yeux à Julia qui vient s’installer à côté de moi sous le regard inquisiteur de ma mère. Merde, merde et re-merde. Ju ne sait pas ce qu’elle vient de déclencher, là.
— Tu as rencontré quelqu’un, mon Chéri ? Dis-moi tout ! Comment elle s’appelle ? Elle a quel âge ? Qu’est-ce qu’elle fait dans la vie ? Oh… Elle vit en Silvanie ? Tu vas t’installer là-bas ?
— STOP ! Calme-toi, M’man, respire un coup. Il n’y a pas de jolie fille, pas de déménagement ou je ne sais quoi, ok ? Je reste pour aider Julia, rien de plus.
— Oui, enfin, il fait tourner les têtes, votre beau gamin, c’est évident ! Et il y a plein de jolies filles en Silvanie !
— Et donc, tu vas te marier ? insiste ma mère.
— Non, la dernière fois que je me suis marié, c’était avec l’armée et tu m’a piqué une crise. Hors de question que ça se reproduise, lui lancé-je avec mon plus beau sourire.
— Peut-être que c’est moi qui devrais venir en Silvanie pour te surveiller, mon Chéri. Ou pour rencontrer les enfants de Julia. En plus, je n’ai jamais rencontré de Présidente… continue-t-elle, songeuse.
— Non, non et non, tu restes en sécurité à la maison, t’es folle ou quoi ?
J’adore ma mère, mais l’avoir dans les pattes ici ? Mon Dieu… Ouais, lui seul sait tout ce qu’elle pourrait bien balancer à mon sujet à Ysée. J’en grimace, d’ailleurs. Et pourquoi je pense à Ysée maintenant ?
Foutue Ministre…
— C’est trop risqué ici, M’man, je préfèrerais autant éviter que tu débarques, continué-je avec tout l’aplomb dont je suis capable.
— Oui, vous viendrez pour le mariage, pouffe Julia à mes côtés.
Elle est infernale, c’est pas possible.
— Bon, M’man, il faut vraiment que je te laisse maintenant. Je te promets que je te rappelle dans la semaine, ok ? C’est un peu plus calme, pour le moment, donc ça devrait le faire. Tu pourras passer au bureau pour vérifier que les gars ne font pas n’importe quoi ?
— Oui, mon Poussin. Je m’en occupe. Et Julia, arrête de dire des bêtises, je ne suis pas prête à ce que mon petit Chéri me quitte pour une autre, se moque ma mère en souriant.
— Sérieux, M’man ? ris-je en passant mon bras autour des épaules de mon amie pour l’attirer contre moi. J’allais pourtant demander Julia en mariage, t’es sûre de toi ?
— Si c’est Julia, je m’incline ! Mais pas sûre que son mari soit d’accord ! A moins qu’en Silvanie, on puisse avoir autant de maris qu’on le souhaite ?
— Pas sûr qu’Arthur partage, ricané-je. J’ai déjà droit aux câlins softs, c’est mieux que rien. Allez, bisous M’man, prends soin de toi !
Je souris en raccrochant et pose mon menton sur la tête de Julia en soupirant.
— Comment tu fais pour vivre loin de ta famille, Ju ? Maintenant que je suis de retour dans le civil, je me demande comment j’arrivais à tenir des mois loin de ma mère…
— J’ai mon mari, mes enfants et… ma belle-mère ! Que demander de plus ? Surtout maintenant que tu es là, Mat.
— Fais gaffe, je vais balancer ça à tes frangins et ils vont débouler pour se rappeler à ton bon souvenir !
— Eh bien, fais ça ! J’aimerais tellement qu’ils puissent aussi vivre à proximité, soupire-t-elle.
Tu m’étonnes… Si ses frères et ses parents sont du genre envahissant, ils ont toujours été proches les uns les autres, alors vivre dans deux pays différents… Je me rappelle comment elle était paniquée quand elle a dû leur annoncer qu’elle venait vivre ici. Et elle avait raison de l’être, sa mère a piqué une crise pas possible et ses frangins ont boudé comme des gosses. Pire que leurs propres enfants, d’ailleurs.
— Le meilleur est avec toi en ce moment, les autres… inutiles, plaisanté-je en me levant. Allez, au boulot, Cheffe ! La défense de ce foutu pays incapable de rester en paix ! Tu crois que Marina va rester longtemps en mode défense ?
— Tu rigoles ou quoi ? Dès qu’elle peut, elle fonce… Elle est folle, tu as oublié ?
— Sauf que le pays est à sec, d’après ce que j’ai compris. Tu vas pouvoir nous payer, rassure-moi ? ricané-je alors qu’on s’installe à son bureau.
— Mais oui, vous serez payés ! Même si ça doit l’être sur nos deniers personnels, mon Chou. Tes services sont inestimables !
— Tu parles… Bon, fais-moi voir cette carte, soupiré-je en l’attrapant pour la détailler. Il faut faire surveiller le fleuve pour éviter un débordement par là, pourquoi y a pas de points de contrôle ? Vous manquez d’hommes ?
— Parce que personne n’y a pensé. Tu crois qu’ils pourraient vraiment venir en bâteau de l’intérieur comme ça ?
— Non, ce serait trop visible, mais de nos jours, installer un pont flottant est presque aussi facile que d’envoyer ta gamine au bain.
— Tu vois que tes services sont inestimables ? Dès demain, on envoie des troupes là-bas. Tu as d’autres bonnes idées ?
— Hum… Un seul mot de toi et on part en mission sous-marin pour aller débusquer les enflures qui veulent encore mettre ce pays à feu et à sang. Pour le reste, tout me semble bien en place. Comment s’en sortent les équipes sur place ?
— Tout était calme aux dernières nouvelles. On ne sait pas trop ce que font les rebelles, on manque d’informations sur place.
— Peut-être qu’on devrait y aller, alors. Tu sais que je déteste rester là à poiroter…
— Espérons qu’on puisse continuer à poiroter ici. Cela voudrait dire que les choses restent calmes…
— Tu ne veux vraiment pas qu’on y aille ? Sans attaquer, je veux dire, mais… on pourrait partir à la chasse aux infos sur place, non ?
C’est vrai, je me fais chier au Palais. On vient de revenir et j’ai l’impression de végéter. Finalement, la maison à la campagne, c’était pas si mal… Même si, au moins, ici, je pourrais me trouver une nana histoire de passer le temps sans risquer de me faire attaquer par la furie.
— J’ai besoin de toi ici, Mat. Si les choses dégénèrent, tu pourras m’aider à mettre les filles et Arthur en sécurité.
— Hum… Et pour la taupe, c’en est où ? J’ai besoin de bouger, Ju, donne-moi des trucs à faire autres que ces réunions ennuyeuses avec plein de ministres qui n’y connaissent rien en stratégie et préfèrent user de métaphores pour draguer plutôt que de parler sérieusement de l’avenir de leur pays.
— Tu veux pas former les nouvelles recrues ? Tu fais ça bien. Et pour la taupe, on n’a aucune piste… Rien à nous mettre sous la dent.
— Il me faudrait un traducteur tous les jours, je suis pas sûr que gueuler après les recrues en français soit très efficace, ris-je. Mais… pourquoi pas, oui. Tu me laisses mettre mon nez un peu partout pour la taupe ? Je suis curieux et j’ai bien envie de m’y coller aussi.
— Tu sais bien que tu as carte blanche. Tu es sous la responsabilité directe de la Présidente, et donc la mienne par conséquent !
— Et les petits nouveaux, j’ai carte blanche aussi ? Ça fait une éternité que je n’ai pas malmené des recrues, ça me manque, pouffé-je alors qu’on frappe à la porte.
Julia a à peine le temps de répondre que la porte s’ouvre sur le type qui lui colle toujours aux basques au Palais et dont je ne parviens pas à me rappeler le prénom tellement il est loufoque. Vu sa tête, elle comme moi nous crispons sur nos sièges avant même qu’il atteigne le bureau.
— Des nouvelles du douzième régiment, Madame. Ils ont subi une attaque. Il y a des morts et des disparus. Il faut appeler le colonel Tribiak qui a demandé à être contacté pour vous transmettre toutes les informations.
Eh merde… J’arrête d’écouter la conversation en replongeant mon nez dans la carte du territoire. La zone à couvrir est bien trop grande pour pouvoir assurer la sécurité, et si les troupes sont là-bas pour ça, les rebelles, eux, sont passés dans le mauvais camp et cherchent à avancer, ou tout du moins à récupérer un contrôle total de la région. Il y aura forcément d’autres confrontations et elles risquent même de s’intensifier. Cette fois, je me demande si Marina n’aurait pas raison… Combien de soldats, de civils, vont mourir parce qu’on préfère la défense à l’attaque ? Est-ce qu’on ne se plante pas ?
Je me reconnecte à la réalité alors que Julia est déjà au téléphone et prend des notes, le visage fermé. Le soupir qu’elle pousse en reposant le combiné me tord le ventre et je récupère la feuille pour y découvrir plusieurs noms, dont certains sont accompagnés d’une croix qui ne laisse aucun doute quant à leur fin tragique. Je grimace sans parvenir à me détacher de cette liste et fronce les sourcils.
— Bordalak, c’est le nom de famille d’Ysée, non ? Daryl… C’est son frangin ? soufflé-je en relevant finalement la tête.
— Oui, c’est son petit frère. Il fait partie des disparus. Cela va la rendre folle. Et il va falloir communiquer au pays sur ce qu’il s’est passé. C’était une embuscade mais ça ne va pas rassurer la population.
— Merde… Tu sais où elle est ? Et si elle a été informée ? lui demandé-je sans trop me préoccuper du pays pour le moment.
— Chez elle, je suppose. Et oui, elle doit être informée. Ce genre de nouvelles se propagent vite.
J’ai une folle envie de quitter ce bureau pour aller m’assurer qu’elle va bien, mais je ne suis pas sûr qu’elle ait très envie de me voir, honnêtement. Et puis, de quel droit est-ce que je pourrais me pointer, de toute façon ? Daryl n’est pas mort, du moins, son corps n’a pas été retrouvé… Quand on sait de quoi sont capables les gens quand ils kidnappent d’autres personnes, je me demande si la mort ne serait pas un plus doux châtiment. Espérons que Daryl soit juste enfermé quelque part pour servir de monnaie d’échange, même si, comme en France, ici on ne négocie pas avec les terroristes.
Annotations