63. Taquineries en territoire ennemi
Ysée
Je me réveille un peu endolorie de la nuit passée dans la tente que je partage avec Amy, l’autre femme présente dans le groupe. Cela fait un moment que je me suis habituée au luxe du Palais et retourner à la vie en extérieur, ce n’est pas facile. Mais jamais je ne l’avouerais à qui que ce soit, surtout pas à Mathias qui sort de sa tente en même temps que moi, l’air frais et reposé, ce qui a le don de m’agacer. Comment fait-il pour être dans cet état de forme ? Et comment fait-il pour être si beau de bon matin ? On dirait même qu’il a déjà taillé sa barbe et je dois avoir l’air d’une sorcière quand je vois son attitude goguenarde quand il croise mon regard.
— Pas de remarque, s’il te plaît, il est trop tôt pour se fâcher.
— Bien M’dame. Je peux au moins te donner un conseil ?
— Je ne sais pas, grogné-je. Il est tôt pour ça aussi, non ?
— Bien, rit-il. Quand tu marcheras sur les lacets de tes Rangers et que tu t’étaleras par terre, souviens-toi que tu as préféré éviter de m’entendre te conseiller de les lacer. J’ai fait cette erreur, une fois, les gars se sont foutus de moi pendant les quatre mois de mon déploiement. Et je ne te parle même pas de Julia, tu la connais.
Cet homme est impossible. Des fois, je me dis que ce n’est pas pensable de rester fâchée contre lui tellement il arrive à entretenir la bonne humeur au sein de l’équipe. Son rejet d’hier me reste toujours en travers de la gorge, mais en même temps, je n’arrive pas à lui en vouloir. Je lace mes lacets et m’arrange pour lui offrir une vue imprenable sur mes fesses, ce qui ne manque en effet pas d’attirer son attention, et je me redresse en lui tirant la langue.
— Arrête, on dirait que tu vas baver. On a autre chose à faire qu’à mater.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, je vérifiais juste qu’aucun serpent ne tournait autour de toi, Ysée, me lance-t-il sans se départir de son sourire.
Je préfère ne pas répondre et nous nous retrouvons tous assis autour du feu central, avec Mathias qui nous observe avant de prendre la parole pour organiser notre mission de manière concrète. Après avoir couvert les bases et rappelé les règles de sécurité, il demande qui se porte volontaire pour la première mission d’exploration des environs afin de savoir où sont les lignes ennemies, je lève immédiatement la main.
— Comme je te l’ai dit, c’est le genre de missions pour moi. Je vous laisserai la partie où l’on tire sur les méchants, mais là-dessus, je suis volontaire.
— L’idée est de se retrouver sur la ligne de front, Ysée, c’est… trop risqué, mieux vaut que les militaires gèrent ça, me répond-il avec une prudence inhabituelle.
— On est une équipe, ici, non ? Et je ne suis peut-être pas une militaire de carrière, mais ça ne serait pas ma première mission de reconnaissance ! Je sais bien que c’est la ligne de front, mais si tu ne me laisses pas faire ça, autant me renvoyer au Palais.
Les autres restent silencieux mais ne perdent pas une miette de notre échange, en se demandant ce que leur Chef va décider suite à ma proposition qui me semble, à moi, très raisonnable.
— Tu te souviens que c’était le projet de base, non ? grimace-t-il. On en a discuté, les ordres, tout ça, tout ça… Déjà oublié ?
— Je n’ai pas entendu d’ordre, répliqué-je en prenant mon petit air innocent. Tu as demandé qui voulait y aller et je me suis proposée. Personne d’autre ne l’a fait. J’attends donc l’ordre de pouvoir partir et d’arrêter de perdre du temps à discuter, Chef.
Je lui adresse un grand sourire et me lève, prête à aller chercher mon matériel, attendant juste son assentiment. Je suis satisfaite de voir que même ses deux collègues français ne mouftent pas et semblent plutôt amusés de la situation.
— Je vois… Il faut croire que fréquenter la Gitane est contagieux, soupire-t-il en se levant. On y va alors. Seb, tu prends la direction du reste des opérations.
— Je prends la direction ? l’interroge son collègue, surpris. Euh… Oui, d’accord.
— Tu viens avec moi ? Tu crois que j’ai besoin d’être surveillée ? lui demandé-je, moi aussi étonnée de sa décision.
— On ne part jamais seul, c’est comme ça. Tu vas réussir à me supporter ? Parce que de mon côté j’ai un doute, mais l’avantage en étant tous les deux, c’est que si je n’en peux plus, je pourrais enterrer ton corps dans la forêt sans être dérangé.
Les ricanements des autres me font comprendre qu’il a bien manoeuvré et que j’ai plutôt intérêt à ne pas répliquer à ses commentaires.
— Bien, Chef. On part dans dix minutes, si ça te va. Cela te suffira pour te refaire une beauté ou tu as besoin de plus de temps ? le provoqué-je en souriant.
— Hum… Vu ta tête au réveil, Madame la Ministre, je me passerais de tout commentaire à ce sujet, si j’étais toi, me lance-t-il en me tendant une arme, le sourire aux lèvres. Prête ?
J’attrape l’arme au vol et lui fais signe que l’on peut partir. Je récupère un gilet pare-balles, le GPS et le talkie-walkie avant de me lancer sur le chemin qui part dans les bois. J’ai aussi pris le temps de récupérer des rations et mon sac à dos que j’avais pris le soin de préparer hier soir afin de lui montrer que je ne suis peut-être pas une militaire de carrière mais que je n’en reste pas moins professionnelle. Il me suit d’abord en silence et, une fois un peu à l’écart des autres, je m’arrête et lui fais face.
— C’est quoi cette idée d’abandonner le camp et de me suivre ? Tu ne me fais pas confiance ? Et tu vois, je n’ai pas contesté devant les autres. Enfin, pas trop. Je m’améliore, hein ?
— Tu es prête pour la médaille de la retenue, bravo, se moque-t-il gentiment. Il y a deux raisons au fait que je t’accompagne. Ou peut-être trois. Déjà, je veux voir comment tu t’en sors. Normal, non ?
— Ah oui, l’examen d’entrée. Ça devrait aller, je pense. Je t’ai dit que j’étais une experte sur ce genre d’activités. Et les deux autres, alors ? Mater mon cul et profiter des bois pour me sauter dessus ?
— Je suis un homme d’action, Ysée. Rester au camp, derrière un bureau, faire de la paperasse, attendre le retour des gens sur le terrain, ce n’est pas moi et ça ne l’a jamais été. Tout ne tourne pas autour de toi, jolie Ministre.
— Ah oui, le Chef reste sérieux et veut participer à l’Action, bien évidemment. Et la dernière raison, alors ? demandé-je en me retournant pour reprendre notre progression afin de lui cacher ma petite pointe de déception.
— Je suis un homme de parole. Julia en a pris pour son grade, mais elle m’a fait promettre de te protéger. Donc… Me voilà.
— Protège-moi bien alors parce qu’on se rapproche de là où les troupes ennemies ont été signalées. Et essaie de ne pas mater que mon joli fessier, s’il te plaît, sinon, je te laisse ouvrir la voie.
— Hors de question, je te rappelle que tu es un danger public avec une arme, marmonne-t-il. Et pour ton information, tu peux me penser queutard, enfoiré avec les femmes ou tout ce que tu veux, mais je suis professionnel et aussi agréable soit ton cul, je ne l’ai pas regardé une fois depuis que nous sommes partis.
— Non, c’est vrai, pas une fois, mais plein de fois ! ris-je avant de ralentir le pas et de lui faire signe de se taire. On arrive, chuchoté-je, il faut qu’on soit discrets maintenant.
— T’es vraiment insupportable quand tu t’y mets, tu t’en rends compte ? murmure-t-il à mon oreille.
Sa proximité me fait frissonner mais je parviens à ne pas trop réagir. Enfin, j’essaie de ne pas lui montrer à quel point il me trouble.
— Ce n’est que le début de la mission, tu ferais mieux de t’y habituer. Attends, ne bouge pas, je vais vérifier que la voie est libre.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre, me débarrasse de mon sac à dos que je dépose à ses pieds et me faufile dans les buissons devant nous. Je fais attention à ne pas faire de bruit et explore le terrain qui est libre de toute présence jusqu’à un promontoire qui permet d’avoir une belle vue sur la plaine en dessous. Je reviens le plus rapidement possible et tombe sur Mathias qui a l’air énervé contre moi.
— C’est bon, il n’y a personne, on peut avancer, Chef. Et on va pouvoir observer les ennemis, dis-je comme si de rien n’était.
— J’ai la désagréable impression que tu te fous de ma tronche à chaque fois que tu dis le mot “Chef”... Fais gaffe, Ysée, je risquerais de me donner comme objectif de te le faire crier quand tu jouis pour compenser.
— C’est pas là d’arriver, Chef. Il faut rester concentré sur la mission, comme a dit le Chef. Et je te propose donc de me suivre pour te rendre compte, avec ton cerveau de Chef bien plus efficace que le mien de petite soldate, de l’état des forces ennemies. Tu viens ?
— Je vais finir par regretter le Sergent Sophia, soupire-t-il théâtralement en me faisant signe d’y aller.
Je souris à sa phrase et constate que ce n’est finalement pas si désagréable que ça d’être avec lui en exploration. Loin des autres, on peut se permettre des petites piques qui me confirment qu’il n’est pas totalement insensible à ma présence et cela me réjouit.
Lorsque nous arrivons sur le petit promontoire, nous nous avançons jusqu’au bord en rampant et sortons tous les deux nos jumelles pour observer ce qu’il se passe en contrebas. Je suis contente de trouver avant lui l’endroit où est positionné le camp adverse que je lui indique et je me fais rapidement une opinion sur l’état des forces en présence.
— Ils ne sont pas nombreux, en fait, murmuré-je. Tu crois que c’est juste un avant-poste ?
— C’est possible. S’ils ne sont pas assez nombreux, ils se postent à des endroits stratégiques en petits groupes pour donner l’alerte en cas de problème. C’est ce que font les Silvaniens au service du Gouvernement dans le coin.
— Je te propose d’aller un peu plus loin que prévu et de nous approcher un peu plus. On en découvrira davantage sur eux… Et peut-être qu’on verra s’ils ont des prisonniers ou pas. D’ici, c’est impossible à voir.
— Faisons ça, mais… Ne te fais pas de faux-espoirs, Ysée. Il y a peu de chances que ton frère soit là. Stratégiquement, ce serait stupide, tu comprends ?
— Mais non, voyons. Je veux juste que tu profites de mon cul un peu plus longtemps, c’est tout, Chef.
Je lui fais un petit sourire auquel il répond par une grimace et nous reprenons notre progression dans la forêt. Avec son histoire de faux espoirs, il a touché juste et je m’en rends compte. Ma petite pirouette n’a pas dû vraiment le tromper mais il a la bienséance de ne pas insister sur le sujet. Que puis-je y faire si j’ai l’espoir fou de retrouver mon frère ? C’est pour ça que je suis partie en mission et rien ne m’empêchera de continuer à espérer. Il faut juste que je parvienne à ne pas être trop déçue si on ne trouve rien. Ça, ce n’est pas gagné.
Annotations