70. Chez Miss Blondie

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Mathias

C’est un mélange d’appréhension et d’euphorie qui m’habite depuis que Dita m’a parlé de militaires Silvaniens planqués dans les villages alentour. Dans son français approximatif, j’ai compris que Daryl était chez elle, qu’elle l’avait soigné et le cachait au cas où les rebelles feraient une descente.

J’ai hésité à en parler à Ysée, mais j’ai besoin de m’assurer qu’il s’agit bien de lui et qu’il est en état de revoir sa frangine avant de lui en parler. Et puis, soyons honnêtes, en partant à trois, on prend des risques. Si ça se trouve, on file tout droit dans un piège des rebelles. Et je n’y pense que maintenant. J’ai encore eu les idées claires, tiens, bravo Snow ! J’espère vraiment qu’on ne va pas se jeter dans la gueule du loup.

Je vois les gars attentifs à tout ce qui se passe autour de nous et je fais de même alors que nous pénétrons dans le village. Pour la discrétion, vu nos tenues, on repassera, même si nous traversons par une ruelle parallèle à la rue principale.

Les habitants ici semblent plutôt pauvres. Les maisons ne sont pas de première jeunesse, l’entretien laisse à désirer, mais j’imagine qu’après plus de vingt ans de guerre, on ne se relève pas en quelques années. Sans compter que les rebelles passent apparemment assez fréquemment dans le coin. J’aurais dû attendre la nuit pour venir, mais l’impatience m’a gagné à la seconde où j’ai entendu le prénom du frère d’Ysée. Comme si je voulais lui faire réellement retrouver le sourire, la rassurer… Mon instinct de protection est à son summum avec elle et j’avoue que ça m’inquiète un peu. J’ai l’impression de totalement dérailler quand il s’agit d’elle. Pour preuve, ma jalousie stupide et mon besoin de la provoquer avec la petite Dita, de lui rendre la pareille, histoire qu’elle voie ce que ça fait. Et, le pire, c’est que j’ai adoré la voir jalouse.

Un portillon qui grince me ramène à la réalité et je relâche le souffle que j’avais bloqué en voyant que c’est Seb qui pénètre dans une courette aux herbes hautes. Je jette un dernier regard à l’extérieur et lui fais signe de monter la garde devant la porte avant de m’engouffrer dans la maisonnette avec la Silvanienne qui nous accompagne. La pièce est plutôt sombre, le papier peint défraîchi et j’hésite un instant quand Dita nous fait signe de rejoindre la cave. Forcément, une cave… Voilà qui sent mauvais. Ou qui est logique quand on cache un homme, qu’on est dans un pays plus ou moins en guerre. Bon sang, je n’arrive plus à réfléchir clairement, ça m’épuise. Ladko attend mon ordre et je finis par lui faire un signe de tête, le suivant dans le vieil escalier qui grince plus que de raison. J’ai l’impression qu’à chaque marche, je pourrais passer au travers. Digne d’un film d’horreur.

Pourtant, un sourire se dessine sur mes lèvres quand je croise un regard si similaire à celui de sa sœur, d’un marron foncé qui se révèle ensorcelant chez elle quand il pourrait faire flipper chez lui. Il est assis sur un lit de fortune, un bandage autour de la cuisse et des cernes sous ses yeux méfiants. Les traits de son visage se détendent quand il me reconnaît. J’ai bien fait de me présenter au concert, parce qu’il a son arme en main… Juste au cas où. Un militaire, somme toute.

— Eh bien, jolie planque, on a mis un moment à vous trouver ! Content de vous voir en vie.

— Comment vous avez fait pour me trouver ? Je… Il faut appeler mes parents et ma sœur pour les rassurer, s’il vous plaît. Ils doivent être morts de peur, répond-il dans un français beaucoup plus hésitant que celui de sa sœur.

— Ça va venir, un peu de patience. Enfin, ça viendra si vous arrêtez de douter du talent français ! plaisanté-je en m’asseyant à ses côtés. Comment ça va ?

— Je crois que j’ai eu de la chance de tomber sur Dita et les autres villageois. J’ai failli y passer quand on s’est fait surprendre par une troupe de ces salauds de rebelles. Mais là, ça va. Et… j’en reviens toujours pas que vous ayez réussi à me retrouver dans ce village coupé du monde !

— Eh bien, je vois qu’on a confiance en ses camarades, ris-je. Bon, maintenant il faut que je vous dise quelque chose, mais avant ça, vous devez me promettre de ne pas me coller une balle dans la tête, Daryl, parce que je n’y suis pour rien, en vérité.

— Si vous dites que vous allez me laisser là, je ne peux pas promettre de ne pas tirer, répond-il en souriant.

— Ah non, certainement pas, votre sœur me décapiterait ! Non, en fait, il se trouve qu’Ysée est présente avec nous ici. Elle a tenu à venir vous chercher…

— Ici ? C’est-à-dire ? J’ai peur de comprendre…

— C’est-à-dire qu’elle est un peu dingue au point d’embarquer incognito avec nous, grimacé-je. J’aurais pu la tuer en la découvrant sur le campement, le premier soir.

— Vous avez bien fait de ne pas la tuer, j’aurais été obligé de me venger et j’aurais pas pu partir de ce village. Elle est folle, ma soeur, soupire-t-il.

— Ah, ça, je ne peux que confirmer !

— Mat ! Viens voir !

Je grimace en entendant la voix de Sébastien au loin et remonte au rez-de-chaussée rapidement pour voir quel est le problème, et j’ai la sensation que ma mâchoire se décroche en constatant qu’Ysée a, encore une fois, désobéi. Vraiment infernale, cette nana.

— Je peux savoir ce que tu fous là, Madame la Ministre ?

— Je suis venue voir si Miss Blondie t’avais déjà mis dans son lit ou si tu avais besoin que je tire sur un ennemi qui te menaçait. Je te laisse choisir.

— T’es mignonne quand t’es jalouse, tu le sais, ça ? J’adore ! Tu veux partager notre lit ? Je ne dis pas non à un plan à trois.

— Toi, tu rêves ! Le plan à trois, ce sera avec tes deux mains ! s’emporte-t-elle avant de regarder derrière moi. Est-ce que…

— Viens, souris-je en attrapant sa main. Je crois que quelqu’un a hâte de te tirer les oreilles, ma belle. Seb, appelle Julia, qu’elle contacte les parents d’Ysée pour leur dire que leur fils est en vie.

Le sourire d’Ysée est sans doute le plus beau que j’ai vu sur son visage depuis que je l’ai rencontrée. Elle trépigne d’impatience en m’entraînant à l’intérieur, c’est tout juste si elle ne m’arracherait pas le bras, d’ailleurs, et je suis obligé de la ralentir pour que nous survivions tous les deux dans l’escalier qui rejoint la cave. Elle se jette littéralement sur son frangin que je vois grimacer en tentant de l’éloigner de sa cuisse blessée. Je me sens de trop dans la pièce, voyeur de leurs retrouvailles, mais je n’arrive pas à me détacher de la scène qui se joue sous mes yeux. Les yeux humides d’Ysée, son sourire resplendissant, ses petits cris de joie et son excitation. Elle est… attendrissante. Comme elle l’est avec Lila et Sophia. Putain, j’en suis vraiment arrivé là ?

— Dis-moi que Daryl est en train d’engueuler sa sœur, chuchoté-je à Ladko alors qu’Ysée et son frère commencent à discuter en silvanien.

— Oui, il la traite de folle et lui dit qu’elle n’aurait jamais dû venir. Il dit aussi qu’elle n’aurait pas dû coucher avec toi pour te convaincre de la laisser venir, pouffe le Silvanien sans oser me regarder.

— Wow, hé, ça va pas la tête ? On n’a pas couché ensemble pour qu’elle vienne ! m’exclamé-je. J’ai trop de respect pour ta sœur pour faire ce genre de choses.

— Oui, je ne suis pas au goût du Français, je crois, soupire-t-elle avant de poursuivre, toujours dans ma langue. Il n’a pas eu le choix de m’emmener, Daryl. Tu sais que je suis très persuasive !

— J’aurais dit manipulatrice, personnellement, continué-je, le sourire aux lèvres. Jouer sur les sentiments avec Julia, franchement !

— Qu’est-ce que t’as fait, Ysée ?

— Tu te souviens quand on était petits et que je t’aidais à cacher tes bêtises aux parents… En échange, tu me couvrais quand je sortais… Eh bien, là, j’ai juste fait pareil, c’est tout. Et tu mérites bien un peu de lobbying, non ? C’est de la persuasion, pas de la manipulation ! Mathias est juste méchant avec moi parce que je ne lui obéis pas assez à son goût !

— T’es sérieuse ? Je ne suis pas méchant, Ysée, juste réaliste. Ta sœur me désespère, Daryl, je te jure. Elle n’en fait qu’à sa tête, quitte à se mettre en danger.

— C’est pas nouveau, elle n’en a toujours fait qu’à sa tête. Mais franchement, Ysée, quelle idée de venir ici !

— Ce qui compte, c’est que tu ailles bien ! Et qu’on puisse rassurer nos parents. Le reste importe peu, non ?

— Bien sûr, je suis sûr que les parents auraient adoré apprendre que tu t’es fait tuer en partant à ma recherche, tiens, grimace Daryl.

— Pas faute de lui avoir dit, me targué-je en lançant un regard entendu à Ysée.

— Et moi, je dis que sans mon aide, toi, tu serais mort, commence-t-elle en me fusillant du regard, et toi, tu serais toujours en train de moisir ici. Vous devriez me remercier plutôt que toujours me critiquer !

— Certainement pas ! T’as failli me causer un nombre incalculable d’arrêts cardiaques depuis que je te connais, Madame la Ministre ! Et puis, je te rappelle que j’ai sauvé ton petit cul à la datcha, quand même.

— Son petit cul ? C’est comme ça que tu parles de ma sœur ?

Oups… Réfléchis, Snow, et sors-toi vite de ce bourbier…

— Heu… C’est comme ça qu’on parle avec mon équipe. Je suis l’heureux propriétaire d’un cul qui s’est pris une balle, y a quelques années, donc… Vieille habitude. Bref… J’ai sauvé la vie de ta sœur, tu devrais me remercier, non ?

— Franchement, si je n’étais pas coincé dans mon lit, là, je t’embrasserais ! Tu m’as trouvé dans ce coin perdu et en plus, tu m’as ramené ma folle de soeur ! Je ne peux rien te demander de plus, même pas de respecter son joli cul !

— Merci pour la proposition, mais je préfère autant que ce soit ta sœur qui m’embrasse, tant qu’à faire.

— A ta place, j’éviterais. Ma sœur, l’essayer, c’est l’adopter !

— Non, mais arrêtez vos bêtises, tous les deux ! Je vous laisse vous bécoter si ça vous branche, mais ne me mêlez pas à vos histoires scabreuses !

— Et voilà, encore en train de ronchonner, pour changer, m’esclaffé-je. Allez, on vous laisse un peu tranquilles, je vais aller m’occuper de Dita.

Je souris outrageusement à Ysée qui lève les yeux au ciel, et remonte au rez-de-chaussée en me disant que Daryl a peut-être un peu trop raison… Et si l’essayer, c’était l’adopter ?

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