Ysée

Quelle idée à la con ! Non mais vraiment, c’est pas possible de devoir faire autant d’efforts juste pour négocier un accord commercial pour avoir des armes. Cela fait une heure que je suis en train de me préparer et j’ai l’impression de ressembler à un épouvantail. Impossible de vraiment faire ce que je veux de mes cheveux. Et j’ai essayé le maquillage, mais ça ne me ressemble pas du tout. J’ai passé autant de temps à l’enlever qu’à le mettre. Tant pis pour les Américains avec qui nous avons rendez-vous ! J’espère qu’ils sont plutôt du genre cowboys et qu’ils aiment les femmes au naturel. Et en même temps, je m’en moque de ce qu’ils peuvent penser. J’ai de l’argent, des contrats à leur proposer, c’est tout ce qui devrait compter ! Pfff. Pourquoi je me torture autant l’esprit pour ce dîner ? Il faut croire que je vais vraiment jouer à la pute pour Marina, c’est fou de ne pas réussir à me sortir de la tête qu’il faut que je donne de ma personne pour réussir.

Je me dirige vers mon dressing et regarde la robe que je me suis fait livrer tout à l’heure. J’avoue que je me suis fait plaisir, mais bon, l’épreuve est déjà assez compliquée comme ça. J’ai pris un modèle qui est près du corps en haut et qui se porte sans soutien-gorge tellement il est ajusté, et dont le bas est constitué de bandes de tissus qui dévoilent plus qu’elles ne dissimulent mes jambes. Et cette couleur est incroyable. Bleu nuit avec des paillettes. Cela me donne l’impression d’être une star du Music Hall ou du Cinéma. En me voyant dans le grand miroir à côté de mon dressing, je me dis que le résultat est vraiment convaincant, même sans maquillage, et je vais entrouvrir la porte de mon appartement pour appeler Mathias.

— Tu peux venir me donner un coup de main, s’il te plaît ?

— Tu veux fuir le Palais ? Un mot de ta part et je t’emmène loin d’ici, bougonne-t-il en approchant avant de me détailler de la tête aux pieds.

— Pas très discrète comme tenue pour partir en douce, tu ne crois pas ? ris-je en faisant un petit tour sur moi-même pour lui laisser voir le résultat. Tu m’aides à refermer la robe ? C’est un modèle imaginé par un homme et qui se ferme dans le dos.

— Hum… Tu veux pas plutôt enfiler un jogging ou un treillis ? Pour négocier des tanks, ça me paraît plus à-propos, soupire-t-il en me faisant faire un demi-tour.

— Il paraît que dans ce genre de dîners, c’est robe de soirée obligatoire. Pas de treillis autorisé pour les dames ! Tu n’aimes pas ? demandé-je, inquiète d’avoir commis une faute de goût.

— Bien sûr que si ! Tu es… renversante. C’est bien ça, le problème, marmonne Mathias en déposant un baiser sur ma nuque avant de remonter lentement le zip.

— Ah, ne puis-je m’empêcher de dire, soulagée. J’avais peur d’être horrible et toute boudinée… Je… Ton opinion compte beaucoup, tu sais ? J’adore pouvoir te plaire et te faire envie. Et je compte sur toi pour empêcher mes interlocuteurs de me toucher autrement qu’avec leurs yeux !

— Je compte bien les dépecer si nécessaire. Et peut-être même que j’irai jusqu’à refaire le portrait à la Gitane si ça part en vrille.

— J’ai confiance en toi, Mat. Je sais que rien ne peut m’arriver quand tu es là. Et si tu me regardes comme ça pendant tout le repas, je vais avoir du mal à me concentrer ! Range tes yeux, voyons !

— Comment tu veux que je sache si ce connard te touche si je ferme les yeux ? sourit-il, malgré le fond de colère que je perçois dans sa voix.

— Range ta langue, alors, on est partis.

Je dépose un doux baiser sur sa joue barbue et prends mon sac à main où j’ai dissimulé un petit pistolet discret avant d’aller prendre la voiture qui m’attend. Davit me jette lui aussi un regard appréciateur et je sens que je peux vraiment avoir confiance en mes charmes ce soir.

— Madame est encore plus magnifique que d’habitude, ce soir, indique-t-il sobrement.

— Merci Davit, dis-je en souriant alors que Mat lui lance un regard noir en s’asseyant à mes côtés.

— Je dois le dépecer aussi, lui, ou pas ? chuchote le Français à mon oreille.

— Non, lui, c’est un gentil qui aime l’art et la culture. Il doit sûrement me voir comme une Joconde qu’on regarde de loin et qu’on apprécie, mais à laquelle on ne touche surtout pas.

— Une Joconde ? rit Mat. Tu parles, elle ne t’arrive pas à la cheville, la Joconde, ma belle.

— On parle de Mona Lisa, quand même ! ris-je, touchée malgré tout par son compliment.

Je crois que je lui plais vraiment, même si nous ne nous sommes encore rien déclaré…

— Et ? Regarde-toi, Ysée ! Tu la détrônes aisément.

— Eh bien, espérons que ça m’aide à convaincre cet Américain de nous aider, alors, soupiré-je en me renfrognant dans mon fauteuil.

Mathias doit sentir que je n’ai pas envie de m’appesantir sur le sujet car il reste silencieux à mes côtés, se contentant de poser sa main sur ma cuisse et de me caresser discrètement. Lorsque nous arrivons devant le petit manoir où se déroule le repas, il ne paie pas de mine, tous les volets sont fermés, mais une petite musique se fait entendre. Davit ouvre ma portière et m’aide à descendre. Mathias assure son travail et je le vois observer avec attention tous les recoins sombres de la rue alors que nous attendons qu’on vienne nous ouvrir la porte.

Un majordome nous fait signe d’entrer et nous le suivons, même si Mat est obligé de m’abandonner un peu quand notre hôte lui fait signe d’aller s’installer au bar. Je suis quant à moi conduite directement à une petite table au milieu d’une pièce décorée avec goût et surtout sans compter la dépense. Il y a des babioles dorées, peut-être véritablement en or, un peu partout, et une petite lumière tamisée qui donne à cet endroit une atmosphère vraiment cosy. Toutes les autres tables sont occupées par des couples de riches silvaniens ou expatriés et j’ai le temps d’observer mon interlocuteur qui est plongé dans son téléphone et n’a pas remarqué mon arrivée. L’homme a une quarantaine d’années, des traits assez fins, des cheveux noir de jais et il porte un costume Armani qui a du être fait sur mesure. Le majordome m’annonce et l’Américain plonge son regard bleu acier dans le mien. J’avoue que je suis contente de savoir Mathias à proximité car cet homme et son sourire carnassier ne sont pas rassurants.

— Bonjour, Monsieur McKenzie, ravie de vous rencontrer, lui dis-je en anglais avant de continuer en français, langue qu’il est censé maîtriser à la perfection. Votre maison est magnifique.

— C’est moi qui suis ravi de vous rencontrer, Mademoiselle Bordalak, sourit-il en se levant pour me gratifier d’un baise main. Asseyez-vous, je vous en prie.

— Eh bien, vous êtes bien charmant pour un américain ! Appelez-moi Ysée, voyons, ce sera plus sympathique. Et si vous me laissez vous appeler John, je crois que ça me ferait un immense plaisir !

— Ainsi soit-il, me lance-t-il en tirant ma chaise. Ysée… Voilà un charmant prénom.

Au bar, Mathias a commandé une eau pétillante et ne me quitte pas des yeux. Je lis dans son regard tout son désir et cela m’excite énormément. Je crois que ça m’aide aussi à me lâcher un peu avec l’américain avec qui j’échange des banalités, mais sans jouer à la prude ou à celle qui aurait peur du Grand Méchant Loup. Au contraire, je lui lance des ersatz d’ouvertures qui ont l’air de le ravir plus que de raison. Il se permet même, au moment où on débarrasse notre entrée, de poser sa main sur la mienne et je ne la retire que quand je me lève pour m’excuser et aller aux toilettes.

— Viens, soufflé-je à Mathias en passant à côté de lui.

Je suis ravie de le voir me suivre immédiatement et lui saute dessus dès qu’il referme derrière lui la porte des toilettes pour l’embrasser avec passion, laissant ma langue jouer avec la sienne. J’adore me lover ainsi contre cet homme magnifique qui pose ses mains sur mes hanches.

— Arrête de me regarder comme ça, Mat, ça m’excite trop. On dirait que tu vas me dévorer et tout le monde va se rendre compte que tu n’es pas que mon garde du corps.

— Sois satisfaite que je me contente de regarder seulement, parce que je pourrais très bien être près de la table, à le menacer de lui crever les yeux chaque fois qu’il t’observe comme s’il allait te bouffer, grommèle-t-il en me serrant contre lui.

— Tu es jaloux ? C’est mignon, ça.

Je passe ma main sur sa joue barbue et l’observe, touchée de ce que je ressens chez lui.

— Moi, jaloux ? grimace-t-il. Si peu… Tu sais ce que je pense de cette supercherie. Et lui… Il me file la gerbe.

— Pour la Silvanie, il faut faire quelques sacrifices. J’y retourne, d’ailleurs, avant qu’il ne se pose des questions. Surveille-moi bien, Beau Blond !

— Hum… Essaie de ne pas vendre ton âme au Diable non plus, soupire-t-il en déposant un baiser sur mon front. Et je ne te quitte pas des yeux.

Je souris et ondule des fesses outrageusement devant lui avant de retourner à mon Américain qui apprécie aussi le spectacle que je lui offre.

— Vous ne m’avez pas trop attendue ? minaudé-je en souriant quand je vois le regard de braise que me lance mon lieutenant.

— Beaucoup trop longtemps à mon goût. La soirée a perdu de sa saveur à la seconde où vous avez quitté mon champ de vision, Ysée.

— Eh bien, vous êtes un beau parleur, dites-donc. Vous savez que je ne suis pas là pour ça ? Vous préférez parler maintenant des armes que vous pouvez nous fournir ou attendre le dessert pour ça ?

— Peut-être pourrions-nous nous débarrasser de ce sujet, pour réellement profiter de la soirée ? Que me propose votre pays en échange d’armes ?

— Eh bien, de l’argent, bien sûr. Vous êtes d’abord et avant tout un commerçant, n’est-ce pas ? Et si vous le souhaitez, je suis sûre qu’on peut négocier une médaille. Cela vous irait très bien et vous donnerait encore une meilleure prestance !

— Une médaille ? s’esclaffe-t-il. Ça ne m’intéresse pas. Quant à l’argent… Évidemment. Vous y connaissez quelque chose, en armement, Ysée ? Vous êtes au fait des tarifs en vigueur ? J’avoue avoir été curieux d’apprendre que j’aurais affaire à la Ministre de la Culture.

— Disons que j’étudierai toute proposition que vous me ferez et que je vous donnerai la réponse de la Présidente. Elle me fait totalement confiance, c’est pour ça qu’elle m’a envoyée. Tous mes collègues sont bien occupés avec la guerre, vous savez.

Je lui fais un sourire que j’espère charmeur, et il doit l’être vu la grimace que m’adresse Mathias depuis son bar.

— Je vois… Donc, pas vraiment de négociations entre nous sur le tarif, sourit-il en ouvrant son porte-documents pour déposer quelques feuilles devant moi. Voici ce que je propose, officiellement.

Je jette un œil rapide et sais que ce n’est que le début des négociations, la suite risque d’être moins plaisante. Je me penche vers lui, à la fois pour qu’il m’entende bien, mais surtout pour qu’il profite un peu de la vue sur mon décolleté.

— C’est horriblement cher ! m’exclamé-je. Si vous voulez continuer à apprécier mon sourire, il va falloir faire un effort, John. Vous ne voulez quand même pas me décevoir ?

— Ysée, soyons clairs, me lance-t-il sur le ton de la confidence, sourire aux lèvres en se penchant à son tour. Le prix est négociable, j’en conviens. Et vous décevoir m’ennuierait certainement si vous et moi étions en train de négocier entre les draps. Ici, je m’en remettrai, je pense.

— Restons dans l’élégance, s’il vous plaît, John, le réprimandé-je sans me départir de mon sourire. Un marché en plein développement comme la Silvanie, vous ne pourriez pas vous en passer. Sinon, comment conserver un tel train de vie ? demandé-je en montrant le luxe de l’endroit.

— Ce n’est pas en bradant ma marchandise que je vais conserver mon train de vie. Et je vous prie de m’excuser, mais je pense rester très élégant, sans quoi je vous aurais simplement proposé de rejoindre ma chambre pour baiser comme des bêtes avant de vous faire une jolie ristourne pour avoir donné de votre personne, Ysée, me répond-il d’un air léger, un sourire en coin plaqué sur le visage en attrapant ma main.

— Ce n’est pas en présentant des prix aussi exorbitants que vous allez emporter la mise. Je vais transmettre votre proposition mais je crois que vous comme moi, nous savons que ces prix sont une insulte à mon pays. Je vous pensais plus fin négociateur et vous me déplaisez fortement. Pour la peine, je vais aller me chercher de quoi me désaltérer, vu comment le service est assuré ici.

Je la joue théâtrale et me dirige vers le bar où Mat m’accueille froidement alors que je lui remets l’exemplaire du contrat pour justifier m’adresser à lui.

— Je ne vends pas mon âme, tu vois le résultat ? dis-je en soupirant avant de commander une limonade au serveur. Moi qui pensais que mon sourire suffirait…

— C’est ton cerveau qui doit gagner, pas ton corps. Je suis sûr que tu vas trouver une solution. Tu n’as qu’à lui balancer que son concurrent a des prix plus avantageux, ou… que s’il ne baisse pas ses prix, je le zigouille à la seconde où il se lève. Je ne doute pas que tu sois plus intelligente que lui, jolie Ysée.

— Ah oui, la menace, ça devrait marcher. Et je vais aussi lui dire que tu en as une plus grosse, les Américains, c’est le genre de discours qu’ils comprennent !

— Dis-lui aussi que c’est sous moi que tu jouiras ce soir, et pas avec lui.

— Arrête de m’exciter comme ça, Beau Lieutenant. Je vais aller m’excuser auprès de lui, histoire de le faire languir un peu, prépare-toi à honorer tes promesses ! Je ne veux pas que des mots, je veux tout le reste aussi.

— Dépêche-toi de le larguer, parce que je ne suis déjà pas sûr de tenir le trajet retour sans choquer Davit, gronde-t-il en me lançant une œillade enflammée. Je n’ai qu’une envie, c’est de te charger sur mon épaule et de te faire crier mon nom jusqu’à épuisement.

— Peut-être que Davit a déjà vu pire, le provoqué-je. Une crème, cet homme, et la discrétion incarnée. Je me dépêche, en tous cas. Promis !

Je file m’excuser auprès de John qui est à la fois surpris et déçu que je n’insiste pas plus, mais j’ai assez joué avec le feu pour la soirée et je ne veux pas que ça dérape plus. En tous cas, pas avec lui car clairement, avec mon beau garde du corps, la fin de soirée s’annonce caliente et les dérapages risquent de m’envoyer bien plus haut qu’au septième ciel.