96. Curiosité amicale
Mathias
Je consulte mon téléphone et grimace en constatant que Florent a déjà essayé de m’appeler trois fois. Je l’ai pourtant prévenu que je serai en retard, mais il est tellement persuadé que je vais préférer me trouver une nana pour la nuit plutôt que de venir dîner chez lui qu’il pense que le retard va s’éterniser. C’est faux. Oh, j’aurais pu. La propriétaire qui faisait une petite réception pour fêter l’ouverture de son magasin n’a pas été très discrète concernant ses intentions à mon propos. J’ai eu l’impression d’avoir le derrière qui brûlait tant elle a passé son temps à le reluquer. Sans compter qu’elle m’a proposé de jouer le mannequin pour les vêtements homme qu’elle propose… Du moins, les sous-vêtements et maillots de bain.
— Mathias ! Je veux bien te laisser venir à la maison pour te préparer, mais si tu pouvais éviter de vider mon ballon d’eau chaude, ce serait sympa, Chéri !
Je souris en éteignant l’eau et sors de la douche. L’appartement de ma mère étant à une centaine de mètres de la friperie où j’assurais la sécurité, j’ai préféré me préparer ici plutôt que de repartir chez moi. Et peut-être même que je reviendrai y dormir si j’ai trop bu, ça ira plus vite. En attendant, je me presse de me sécher et m’habiller, quittant le costume habituel pour un jean noir et un tee-shirt blanc, tout ce qu’il y a de plus basique. Ce matin, je n’avais aucune envie de m’apprêter et j’ai pris les premières fringues qui venaient… Non sans avoir louché sur un treillis. Ça me manquerait presque… Ou ça me manque déjà.
Je sursaute en tombant nez à nez avec ma mère quand je sors de la salle de bain. Elle me détaille des pieds à la tête en fronçant les sourcils, comme si j’étais habillé comme un plouc, ou… Je ne sais pas, comme si elle pouvait lire dans mon âme rien qu’en voyant comment je suis habillé. Je dépose un baiser sur sa joue et en profite pour faire un selfie que j’envoie à Florent, histoire qu’il comprenne que je ne suis pas parti chasser, sous les ronchonnements de ma génitrice qui me pince la joue en me menaçant du regard.
— Tu sais que tu es flippante quand tu es comme ça ? ricané-je. J’ai l’impression d’avoir de nouveau seize ans. J’ai la permission de minuit, M’man ?
— Mais non, mon joli Garçon ! Tu sais bien que maintenant que tu es grand, tu peux rentrer quand tu veux ! Je ne vais quand même pas t’empêcher de rencontrer une jolie femme et d’en profiter, si je veux avoir des petits enfants un jour !
— C’est un dîner entre amis, Maman, je ne pense pas rencontrer qui que ce soit. Toi, permission de minuit par contre, la provoqué-je. Le Dandy te dépose à l’heure, sinon tu es privée de sortie !
Je dépose un baiser sur sa joue et récolte une tape derrière la tête et un nouveau ronchonnement, heureusement accompagné d’un sourire en coin.
— Je plaisante, je plaisante, ris-je. Amuse-toi bien, ma petite Maman, et ne sois surtout pas sage. A demain !
Il me faut dix minutes de marche pour rejoindre l’immeuble où vivent les Morin, et autant de temps d’hésitation pour envoyer un message à Ysée. Pourquoi est-ce que je me torture le cerveau dès qu’il s’agit d’elle ? La réponse qui me vient à cette interrogation me fait flipper, mais je ne me défile pas et pianote sur mon mobile.
[Salut jolie Ysée. Je viens aux nouvelles même si tu ne sembles pas avoir besoin de moi.
Comment vas-tu ? Des nouvelles pour ton père ?]
Je sonne à l’interphone en rangeant mon téléphone dans la poche arrière de mon jean et grimpe au deuxième étage de l’immeuble Haussmannien, où Isabelle, la femme de Florent, m’ouvre la porte, sourire aux lèvres. Ouf, elle ne boude pas trop.
— Madame Morin, la salué-je d’une révérence avant de la prendre dans mes bras. Comment vas-tu ?
— Très bien ! On ne pensait plus te voir ! Je te préviens, les autres avaient faim et on a commencé l’apéro sans toi ! Tu es seul ? Flo a dit que tu allais peut-être venir avec une jolie femme…
— Je ne voulais pas te rendre jalouse en me pointant accompagné, plaisanté-je en la suivant dans le couloir. Désolé pour le retard, j’ai bossé tard.
— Ne commence pas à draguer ma femme !
Je souris à Flo et le salue d’une accolade en observant les autres, installés au salon. Adam, mon collègue, est présent avec Mélanie, sa moitié, tout comme James et Alexandra, deux anciens collègues de l’armée. Je me retrouve rapidement avec un verre à la main et m’installe sur un pouf après les embrassades habituelles.
— Vous auriez dû le dire si c’était une soirée couples… Ou ne pas m’inviter ! Je vais me sentir seul, moi, ce soir.
— C’est quand même incroyable que tu ne sois pas en couple, me répond Mélanie. Beau Gosse comme tu es, il doit y avoir la queue pour avoir un rencard avec toi.
Je rigole en voyant son mari lui jeter un regard jaloux.
— Mouais, si ça se trouve il est gay, c’est pour ça qu’il n’arrive pas à se caser, se moque Alexandra.
— Tu parles, ricane James, tu as testé la marchandise, il avait l’air homo, franchement ?
— Hé, soupiré-je, on ne va pas commencer à parler de ma vie sexuelle, pitié ! Y a déjà assez de ma mère qui me réclame des petits enfants dès qu’elle me voit, je vous assure. Au fait, vous avez vu les dernières infos sur la Syrie ?
Détournement de conversation efficace. Parlez de guerre à d’anciens militaires et vous avez la paix. J’écoute distraitement la conversation déviée et sors mon téléphone pour lire la réponse d’Ysée qui vient d’arriver.
[Bonjour Beau Blond. J’ai toujours besoin de toi mais tu vis trop loin, je dois bien m’habituer à survivre sans toi. Mon père va un peu mieux, ils vont le laisser sortir bientôt. Mais il reste complètement désorienté. Quel est le programme, ce soir ? Tu vas à la chasse à la nana ? ;) xoxo]
Je souris et ricane discrètement. Ysée et moi discutons par message tous les jours depuis mon appel d’il y a une semaine et, à chaque fois, elle trouve une parade pour savoir si je compte aller tirer un coup. Elle ne le fait jamais très discrètement, d’ailleurs. Et, le pire, c’est que j’aime ça, l’imaginer réfléchir à une parade pour me poser la question, attendre une réponse, être soulagée de savoir que je ne compte pas aller voir ailleurs. Je crois que notre non-relation prend un tournant bizarre.
[J’ai bossé tard et je suis chez Florent et sa femme pour une soirée entre amis. Et toi ? Qui est de garde devant ta porte, ce soir ?]
Oui, je ne suis pas mieux qu’elle, je plaide coupable. Et j’évite le sujet de son père, je sais que c’est compliqué pour elle. Que dire, de toute façon ? Ça ne va pas aller en s’arrangeant…
Je pose mon téléphone sur la table basse et observe mes amis. A chaque fois que je me retrouve avec eux, je me demande ce que j’ai fait de travers. Eux ont réussi à trouver l’amour, ont fondé une famille, et moi je me retrouve toujours comme un con sur mon pouf. Oh, il y a quelques mois, je m’en foutais un peu. A vrai dire, ces soirées me gonflaient parce qu’elles me rappelaient un peu trop Justine, qu’Alexandra détestait, ne se gênant pas pour lui faire des remarques. Isa était plus discrète mais je voyais bien qu’elle n’était pas fan. Et puis, une fois de nouveau célibataire, je ne partais jamais très tard, filais dans un bar pour me trouver une nana qui comblait la solitude après ce genre de soirée.
— Allo, Mat, ici la terre !
Je lève les yeux sur le petit groupe et remarque que tous les regards ont convergé dans ma direction.
— Quoi ?
— C’est qui, Ysée ?
Je lève les yeux au ciel. Alexandra a toujours été trop curieuse et je me retrouve à me retenir de prendre mon téléphone pour ne pas avoir l’air trop désespéré ou impatient de lire son message. J’évite aussi le regard de Flo, que je sens particulièrement appuyé.
— Une nana qui vit en Silvanie. On a… sympathisé là-bas.
L’éclat de rire de Florent me pousse à le fusiller du regard en le gratifiant d’un majeur. Voilà, il va me faire suer maintenant.
— Sympathiser, hein ? s’esclaffe-t-il. Ouais, au pieu, vous avez bien fait copain-copine !
— Boucle-la, Flo, soupiré-je. Son père est toujours à l’hosto, je prends juste des nouvelles…
— Et depuis quand tu prends des nouvelles des nanas que tu as allongées ? intervient Adam.
— Depuis qu’il les a allongées trop souvent pour que ça ne reste que du cul !
— Flo ! grondé-je en me massant la nuque, mal à l’aise.
Tout le monde se marre bien, mais le silence se fait finalement dans le salon et je constate que je suis scruté comme une bête de foire.
— Oh la vache, s’exclame finalement James. Flo dit vrai alors !
Je hausse les épaules sans nier l’évidence. Bien sûr que je suis tombé amoureux d’Ysée, et ça me tue que tout soit trop compliqué. Et pas les complications dûes à son caractère ou son besoin de toujours garder le contrôle, non, une question de distance, de boulots, de deux chemins qui se sont croisés mais qui se sont séparés sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit sans devoir tout quitter.
— Peu importe, elle vit en Silvanie, moi en France, donc…
— Donc tu lâches l’affaire alors que, pour la première fois depuis l’autre folle, tu peux te poser ?
— En parlant de l’autre folle, reprend Flo, elle est passée au bureau l’autre jour et Mat l’a enfin envoyée bouler bien comme il faut.
— Hallelujah ! Il était temps !
— Bon, vous avez fini, oui ? grommelé-je en me resservant un verre de whisky. J’ai pas envie de parler de ça, en fait.
— Eh bien, tu dois vraiment être accro, Mat. C’est la première fois que je te vois si gêné quand on parle de toi et d’une nana. Tu as une photo de cette meuf ? Elle doit être super canon pour te mettre dans cet état !
— Canon ? ricané-je, c’est bien réducteur de seulement la qualifier de canon. Cette nana est la plus casse-couilles que j’ai jamais rencontrée, du genre capable de se mettre en danger sur un coup de tête, de se lancer tête baissée au beau milieu d’une fusillade pour… Je sais même pas pourquoi, en fait. Elle a la langue aussi acérée qu’une militaire au beau milieu d’un groupe de mecs et… Ouais, elle est jolie, j’avoue, mais tu peux aller te faire foutre pour que je te montre une photo, mec.
Nouveau silence dans la pièce et je me rends compte que j’ai été un peu trop bavard. Merde… Ils ne sont pas près de me lâcher la grappe avec tout ça.
— Je reviens, je vais… Heu… Aux toilettes.
J’attrape mon téléphone et fuis le salon. Trop de regards scrutateurs pour moi, je préfère me poser quelques minutes, et puis merde, Ysée m’a répondu.
[Je ne sais pas qui est devant la porte et je m’en fous. J’ai mon jouet, mes fantasmes de militaire français et le reste importe peu. Amuse-toi bien avec tes amis et ne m’oublie pas trop vite ! <3 <3 <3]
[Tu me manques, Ysée. Amuse-toi bien aussi, avec ton jouet bien sûr. Et j’espère que le militaire français en question, c’est moi ! Sinon je risque de débarquer pour te mettre la fessée, encore…]
J’envoie sans trop réfléchir et souffle un bon coup. Ouais, elle me manque vraiment, et si ça ne tenait qu’à moi, je crois que je serais déjà dans l’avion pour la Silvanie. Bon, clairement, ça ne tient quasiment qu’à moi… Et à ma mère, ma boîte… Ma vie ici. Sauf que ce soir, tout ça me paraît un peu moins essentiel. Ou au moins modulable… Voir mes amis avec leur moitié me rappelle combien je me suis enfermé dans une vie faite de plaisirs charnels sans aucun sentiment depuis Justine, et je crois bien que ça ne me convient plus. Plus depuis cette Ministre aussi chiante qu’attachante…
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