8. Sa place dans la meute

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Après la Cérémonie, les six Intronisées prirent la direction du char décoré pour l’occasion de bourgeons et de fanions colorés qui allait les présenter à Striga pour un défilé très festif et animé. Une à une, les jeunes filles montèrent et prirent place dans le quadrige. Rhiannon s’assit sur un des deux bancs à disposition, tandis que Delwen Artwood, la tisseuse, buvait de l’hydromel à même sa flasque. Elle regarda Rhiannon et lui tendit le flacon.

« Tiens, prends-en une gorgée, on dirait que tu en as bien besoin, se moqua-t-elle.

Rhiannon porta le liquide à ses lèvres et but, puis grimaça.

- Il pourrait réveiller un mort, pas vrai ? dit Delwen.

- C’est peu dire.

- Fabrication Artwood ; pour te servir, Rhiannon. Ça y est, on est parties. » constata Delwen en souriant lorsque le char se mit en marche.

Les proches des Intronisées suivaient au rythme de la musique et des chants le char en tête de cortège pour se diriger vers la réception, suivis des invités et des noctambules présents. Les passants félicitaient les jeunes filles sur le trajet et leur jetaient des fleurs par dizaines, tandis qu’elles les saluaient. Elles constituèrent chacune leur bouquet avec les fleurs reçues sur le char, puis en descendirent pour se présenter au banquet. A leur arrivée, les Intronisées déposèrent leur bouquet sur l’autel garni de nourriture dressé à la gloire du Dieu-Loup, comme le voulait la coutume.

***

La semaine suivante, un éleveur du Nord avait amené à Rhiannon les deux dogues des montagnes qu’il avait promis de livrer au chef pour son anniversaire prévu dans quelques mois. Comme convenu, les deux chiens étaient de grande taille, massifs, au poil fourni adapté au froid, leur cou garni d'une épaisse crinière.

« La femelle est plus indépendante que le mâle, mais ils sont tous les deux très protecteurs, sans être agressifs pour autant. Ils sont calmes mais méfiants envers les étrangers » lui avait dit l’éleveur.

- Ils sont parfaits, le chef de clan sera très satisfait. »

Toute la semaine, Rhiannon prenait des chiffons, des laisses, des harnais en cuir et formait les deux nouveaux chiens de son père aux attaques lancées, au mordant en fond de gueule, à les faire cesser sur commande. Eduquer et former des chiens était plus délicat que tirer à l’arc, Rhiannon en avait bien conscience. Mais c’était là sa nouvelle mission et elle en tirait une grande satisfaction.

Tegwen, elle, prenait un malin plaisir à observer la scène et à regarder les chiens faire tomber et mordre parfois Rhiannon jusqu’au sang par leur force et leur poids, qui dépassaient ceux de la jeune fille. Mais, à force de travail, les deux chiens finirent par coopérer sur l’attaque et la défense, quel que soit l’ordre donné. Ils ne seraient pas encore totalement prêts, mais tout à fait capables de garder un œil vigilant sur le chef partout où il irait, pensait Rhiannon alors que le druide suturait sa blessure.

***

Le temps était plutôt frais, mais sec. Les bergers de Striga quittaient un à un leur ferme et leur famille pour la transhumance dans un défilé de bêlements continu. C’était le début de la descente vers les plaines qui permettrait aux bêtes de paître aux abords des murs d’enceinte et d’éviter les rigueurs hivernales des hauteurs.

Un soir, un garde du Fort se hâta vers la salle à manger du chef de clan. Aswollt Stackworth, son épouse et ses trois filles étaient en train de dîner.

« Navré de t’interrompre, Aswollt, mais Harald le berger demande à te voir de toute urgence.

- Mes hommes m’ont certifié que la migration des brebis s’est déroulée sans encombre. Qu’y a-t-il de si urgent ? Dis-lui que je le recevrais demain matin, à la première heure.

- Une bête a attaqué son troupeau.

- Où ça ?

- A deux ou trois lieues d’ici.

- Si près des habitations, dit le chef de clan en s’essuyant le bouche et en se levant. Quelle bête ? Amène le berger dans la grande salle et je l’y rejoins. »

« Mauvaise surprise ce matin quand j’ai vu que trois de mes brebis manquaient à l’appel et qu’une autre s’était retrouvée coincée contre une clôture, marquée de trois coups de griffes. Un peu plus loin, j’ai découvert le cadavre d’une des trois bêtes, avec la panse séparée du reste. Tout ceci porte la signature d’une attaque d’ours, Aswollt.

- Un ours ? Tu en es certain ?

- Pour sûr… je sais qu’on en a vu d’autres, chaque migration peut voir son lot de bêtes qui disparaissent, mais cet ours-là aime tuer et il fait des dégâts.

- Et les chiens n’ont pas détecté sa présence ?

- Mon vieux briscard se raidissait de plus en plus ces derniers temps, j’ai dû mettre fin à ses souffrances il y a dix jours… Karl, un autre berger qui était parti avec moi, a aussi perdu une brebis et un cochon, les mêmes coups de griffes.

- Tu l’as dit toi-même, Harald, que vous perdiez des bêtes à flanc de montagne en période de transhumance n’est pas rare. Mais que des attaques surviennent à moins de trois lieues d’ici m’obligent à prendre une décision. Je vais organiser et diriger dès demain la battue.

- Et ainsi le chef de clan a parlé. M’accorderas-tu l’honneur de te faire accompagner par mon fils dans cette battue ?

- Tous ceux qui souhaitent participer sont les bienvenus. Va dormir, berger, demain aura son lot de traque et de chasse. »

Le lendemain, au petit jour, tous les chefs de lignes et leurs équipes étaient rassemblés dans un désordre d’aboiements et de cris devant le Fort. Tous arboraient cornes, lances et boucliers, pétards et grenades artisanales pour effrayer et déloger l’ours. Puis le chef sortit de sa demeure dans la clameur générale, Rhiannon derrière lui. Il salua les hommes présents et dit :

« Partout ici sur cette terre, de génération en génération, coule dans les veines la chasse à l’ours, où la même émotion se lit dans les cœurs, celle que procure cet animal puissant, toujours plus vaillant et plus difficile à chasser. Comme le veut la coutume de l’Ancien Dhak, celui qui parviendra à tuer l’ours se verra l’honneur de le dépouiller, de revêtir sa peau et de faire partie de la garde d’élite de Striga. Bonne chasse et que le sang de l’ours vous abreuve de sa force ! »

Rhiannon donna l’ordre ; les piqueurs sifflèrent et une trentaine de chiens affluèrent comme un seul. La lancée était déclarée. Chacune des équipes constituées se rendit à son poste à travers la plaine et la végétation. Tous à cheval, Aswollt Stackworth et sa fille, accompagnés de Fychan, le fils de Harald, et de trois autres jeunes hommes fermèrent la marche et s’élancèrent sur la piste de l’ours. Une fois sur les lieux, ce serait chacun pour soi et que le meilleur l’emporte.

Aneurin Howell était à son poste plus au sud, mais il n’avait pas une visibilité optimale. Il décida donc de monter plus haut. Là, il vit passer entre deux arbres un dos noir velu, à la démarche souple et lente, qu’il assimila toute de suite à l’ours. Il se prépara à attaquer, envoya sa lance de toutes ses forces. Mais il manqua sa cible et cracha de déception. La bête, qui s’était levée sur ses deux pattes arrière avant de repartir en arrière, était bien l’ours que tous convoitaient.

Plus tard, plus loin, Geraint Reece, lâcha les trois chiens qui l’accompagnaient sur un sentier, puis il s’accroupit et attendit. Au bout de quelques minutes, le jeune homme les entendit aboyer. Ils devaient avoir flairé une piste, alors le chasseur se dirigea aussitôt vers eux. Il s’arrêta et banda son arc. Au même moment, deux chiens revinrent avec l’ours à leurs trousses. Ils se mirent autour de Geraint, mais l’ours continuait d’avancer, puis se mit sur ses pattes de derrière, l’air menaçant.

Le jeune chasseur tira une flèche dans l’épaule de l’ours, qui se remit par terre en grognant de douleur puit repartit. Le troisième chien, qui boitait, voulut rejoindre ses compagnons, mais ne fit pas le poids face à l’ours qui était revenu à la charge pour l’attaquer. Il prit le chien pour le croquer en chemin, et Geraint, sûr de lui, alluma une grenade et l’envoya vers l’ours, dans l’espoir de lui faire lâcher le chien. Par chance, ce fut effectivement le cas. Le chien blessé revint du mieux qu’il put et l’ours fit demi-tour.

C’est à ce moment-là que Fychan arriva au galop, lance au poing, avant de la jeter sur l’ours. L’arme ne fit malheureusement que le blesser. Rhiannon, qui avait suivi le mouvement elle aussi, accourut auprès de Geraint, qui tenait le chien gravement mordu, puis descendit de cheval.

« Je dois retourner au point de ralliement, j’arrête la battue, lui dit Geraint.

- Viens avec moi, je vous ramène, toi et les chiens. »

Ils montèrent tous les deux, le chien blessé entre eux et s’élancèrent, suivis des deux autres molosses. Ils croisèrent Aswollt Stackworth sur leur route, qui remarqua avec effroi l’effusion de sang sur le cheval de sa fille.

Mais il eut à peine le temps de s’alarmer de la situation car l’ours revint de nouveau à la charge, très en colère. Le sang du chef de clan ne fit qu’un tour face à l’imposante bête. L’homme descendit de son cheval encore en course et le renvoya, puis cria pour exciter son puissant adversaire. Il s’approcha, puis empala l’ours de sa lance, qui hurla. Mais ce ne fut hélas pas suffisant pour l’immobiliser.

Fychan accourut, poignard en main en hurlant, mais arriva trop tard pour empêcher l’ours de frapper le chef de clan sur le torse. Aswollt Stackworth, à terre, rampait du mieux qu’il pouvait, tandis que Fychan voyait l’ours charger dans sa direction. De nulle part, une flèche vint se planter dans la cuisse de l’ours. Rhiannon se tenait là plus haut, son arc encore bandé en main. Fychan en profita pour se pencher et poignarder l’ours dans les flancs. La bête, affaiblie, était à bout de souffle.

Llassar Scurlock, le fils du forgeron, surgit des arbres derrière l’ours et lui lança sa hache dans la tête dans une impressionnante projection de sang. L’ours grogna une dernière fois, puis s’écroula de toute sa lourdeur. Sous les visages épuisés, le fils du forgeron poussa un puissant cri de victoire, recouvert du sang de l’ours, tandis que Rhiannon courut vers son père pour le secourir. Fychan, déçu de ne pas avoir rempli lui-même son devoir envers son père le berger jusqu’au bout, sortit tristement sa corne et sonna la fin de la battue.

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