Prologue : par-delà les archives d’Aedria

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A l’aube des Temps, lorsqu’Aedria n’était qu’un seul et unique royaume fier et prospère, naquit Gharaa. Son père, le roi, était tout bonnement fou de joie et donna pour l’occasion une grande fête à laquelle toute sa cour fut conviée.

Les années passèrent et la fillette grandit. Tous autour d’elle lui reconnaissaient sa vivacité d’esprit et sa gentillesse, même si souvent son espièglerie en venait presque à triompher de la patience de ses serviteurs.

Puis vint un jour où la princesse arriva en âge de se marier. Forte de sa beauté et de son intelligence, elle attirait bon nombre de prétendants. Mais tous s’y cassèrent les dents à force d’être éconduits ; les marieuses de Gharaa désespéraient de lui trouver un mari, sans y parvenir. Alors le roi prit les choses en main et décida qu’il marierait sa fille bon gré, mal gré à Dhak, son jeune vassal du Nord, qu’elle le voulût ou non.

La princesse, sans empressement, fut donc escortée sur place pour célébrer ses fiançailles. Malgré cela, Dhak, qui avait très récemment hérité des terres de son père décédé, se montra doux et accueillant envers la princesse. Gharaa prit alors conscience que derrière le caractère rustique du jeune gouverneur du Nord se cachait une bienveillance à toute épreuve.

Pour clôturer les fiançailles fut organisée une partie de chasse à laquelle toutes les convives pouvaient participer. Gharaa profita de l’absence de son chaperon pour s’extirper de table et s’armer. Seule, elle suivit la piste du gibier. Cachée dans les herbes hautes, personne autour n’avait soupçonné sa présence. Mis à part ce tigre aux dents de sabre qui l’avait désormais prise pour cible et qui avait la ferme intention de ne faire qu’une bouchée d’elle.

La bête bondit et rugit. Gharaa hurla de peur face à ces dents longues comme des poignards et s’enfuit en courant. Elle appela à l’aide, mais personne ne vint. Dans sa course, elle se répétait dans son esprit d’accélérer, encore et encore. Malgré ses efforts, elle commença à se faire une raison, à se dire qu’elle n’allait peut-être pas sortir de ce mauvais pas, elle se mit alors à penser à son pauvre père, qui allait peut-être perdre sa seule et unique enfant.

D’un coup d’un seul surgit Dhak, qui avait suivi la piste du tigre. D’un bond en hurlant, il planta de toutes ses forces sa lance dans la gorge de l’animal. La bête, gravement blessée, tituba quelques instants et projeta ses mâchoires acérées dans un geste désespéré vers le jeune homme pour lui arracher le bras. Mais l’animal manqua sa proie et vint s’écrouler quelques pas plus loin, autant que mort pouvait l’être.

Dhak accourut vers sa fiancée et parvint à la rassurer, choquée mais soulagée. Lovée dans ses bras et reconnaissante, Gharaa reconnut que leur destin était désormais scellé, d’une manière ou d’une autre.

Leur amour naissant se renforça avec le temps et l’expérience. Bien que Gharaa fut promise au trône d’Aedria et que Dhak lui assurait la fidélité de ses gens, le couple vivait leur affection avec un désir constant de rapprochement et une vulnérabilité doucement offerte.

Il faut noter qu’il était convenu que Gharaa serait l’unique héritière du royaume, que Dhak n’accèderait jamais au statut de roi. Malgré cela, les amoureux étaient heureux et l’annonce de leur mariage s’ensuit peu après. Les deux époux échangèrent dans l’intimité leurs vœux selon la tradition aedrienne, puis plus officiellement en place publique à Dunedoran. Leur amour poursuivit son chemin dans la joie et le bonheur.

Jusqu’à la naissance de leur enfant. Après plusieurs fausses couches successives, la grossesse avait été difficile à mener à terme et Gharaa avait rapidement été forcée au repos. Malgré ces précautions, que la princesse avait pourtant suivies à la lettre, le travail commença un mois avant la date prévue. L’enfant était hélas mort-né et difforme. On raconte qu’il fallut à Dhak une journée entière pour faire lâcher prise son épouse du petit corps sans vie.

Bon nombre d’enfants naissaient et mouraient dans ces circonstances hélas à cette époque, mais cela n’empêcha pas Gharaa de sombrer dans une tristesse sans fond. Elle avait perdu sa mère très jeune, certes, mais la mort de son enfant n’avait en rien à voir en comparaison. Son chagrin était tel qu’il lui était impossible de concevoir de survivre à son bébé et ne décoléra pas de la situation. Dhak, qui soutenait son épouse éplorée avec tout son amour, devenait malgré cela et malgré l’aide des médecins, de plus en plus impuissant face au deuil.

Avoir un héritier n’avait désormais plus d’importance. A force d’entraînement au combat, Gharaa devint une guerrière intraitable. Elle se promit à la mort de son père de régner sans pitié et sans crainte sur Aedria. Dhak, en dépit de ses actions, ne parvenait plus à repousser son épouse de sa soif de pouvoir, et les conseillers du roi, qui avaient vu cet étranger venu du Nord s’installer à la cour des années plus tôt, profitèrent de l’occasion pour lentement le discréditer.

Une nuit, en larmes et noyée dans sa folie, Gharaa commit l’irréparable. Elle offrit son sang au passeur de la mort lui-même, et entonna une prière interdite.

« Es-tu prête à aller jusqu’au bout pour que ton enfant revienne à la vie ? lui demanda le passeur.

- Je ferai en retour tout ce que tu exigeras de moi.

- Tout ce qui convoité et chéri ne se donne pas, Gharaa, mais se prend. Je ferai revenir ton enfant à la vie, à la condition que tu m’offres en échange le sang d’un innocent. Tu sacrifieras cet être cher à ton cœur en mon nom et notre accord sera conclu. »

Après avoir retourné la situation dans tous les sens, il n’y avait qu’une seule personne digne d’être offerte en sacrifice. C’est donc fébrilement et en pleurs que Gharaa entra armée d’une dague tranchante dans la chambre où Dhak dormait. Elle s’assit à califourchon sur le corps qui avait tant tardé à trouver le sommeil, l’arme au poing.

Où étaient passées ces années d’insouciance ? Où étaient passées ces instants si forts, où rien d’autre n’importait ? Gharaa ne pouvait hélas qu’admettre que le souvenir d’une partie de chasse il y a longtemps avait définitivement sombré avec tout ce qu’elle était. Et avec tout ce qu’elle n’était plus désormais. Elle prit donc une inspiration et pressa la dague placée sur la gorge de son époux.

Dhak se réveilla en sursaut, appela ses gardes à l’aide et immobilisa son épouse le temps qu’ils accoururent. Sa folie était devenue incontrôlable et lui-même était si désolé. Comment en étaient-ils arrivés là ? Deux êtres qui avaient appris à s’aimer dans une union négociée, et qui avaient pourtant été longtemps heureux en mariage. Jusqu’au jour où tout avait basculé et qu’il fut impossible de revenir en arrière.

Nul ne pouvait nier que son épouse avait invoqué un archange interdit et qu’elle avait essayé de tuer le prince consort ; Gharaa était désormais devenue dangereuse pour les autres et pour elle-même. Le roi et Dhak se réunirent seuls dans la nuit pour l’occasion. Les deux hommes ne pouvaient se résoudre à faire exécuter Gharaa pour ses actes proscrits, mais il fallait l’éloigner de la cour. Alors la princesse fut mise à l’isolement dans une suite à l’abri des regards à laquelle seuls le roi et les médecins avaient droit d’accès.

Les deux amoureux qui s’étaient rencontrés sous de bons hospices avaient désormais été anéantis. C’en était fini de Dhak et sa bien-aimée Gharra, et la lignée royale d’Aedria fut brisée en même temps.

On raconte qu’il fallut à Dhak toute la force du monde pour ne pas se retourner vers la suite aux complaintes continues, alors même qu’il portait la main à l’endroit de son cou que la dague avait tranché.

Par la suite, Dhak démissionna de son poste de prince consort à Dunedoran et rentra directement dans ses terres du Nord. Puis il céda son titre de vassal, qu’il mit en jeu à des volontaires prêts à en découdre, désormais impatients de faire leurs preuves en son nom.

Devant un tel bouleversement, le roi vieillissant divisa Aedria en deux territoires, le Nord, pour ceux qui s’étaient autoproclamés Dhakaris et le Sud, qu’il renomma Aegeria, pour lui-même.

A la mort de Gharra, son corps fut plaçé dans un cercueil façonné à l’effigie du passeur de la mort que le roi et ses hommes les plus proches escortèrent sur le champ par la mer le plus loin possible de Dunedoran. Une fois à terre plusieurs jours plus tard, ils enfouirent le cercueil suffisamment profond dans la terre et en condamnèrent l’accès, ensevelissant ainsi pour toujours les secrets, les souvenirs et les larmes dans l’oubli de la nuit éternelle.

On raconte aujourd’hui encore au Nord que Dhak, pour faire pénitence du sort qu’il avait fait subir à son épouse décédée, s’exila dans les Terres Sombres et qu’il n’en était jamais revenu. Il est dit que sa disparition est un secret lourdement gardé par les grands lynx de givre qui en sont les seuls détenteurs et qu’eux seuls peuvent révéler.

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