Il me propose une bière, que je ne refuse pas.

• Alors, Alix, maintenant que tu es enfin là et que tu ne vas pas t'enfuir, dis-nous tout : qui es-tu ?

 Je souris.

• Eh bien... comment me présenter ? Je suis Alix Lagadec, bretonne exilée à Nantes, maman solo d'un garçon de 8 ans, juriste de métier, spécialiste en décisions irréfléchies et titulaire d'une maîtrise en art de la fuite. Oui, c'est pas mal comme biographie, ça.

 Ils se marrent. Je les désigne :

• J'attends les vôtres !
• Eh bien, moi je crois que tu sais l'essentiel ! Julien, je suis marié et j'ai 2 enfants, je suis menuisier et batteur tous les mardis soir. J'aime bien les sports d'eau aussi, on passe nos week-ends sur la côte.
• Moi, Jonathan, appelle-moi Jo. Je suis en couple...
• Ne retiens pas cette info, chez Jo ça va ça vient.
• Eh ! La ferme ! Ça va faire un an, quand même.
• Oui, c'est vrai que c'est une belle perf', mine de rien.
• Breeeef, je bosse dans une boutique de vente... de guitare, et je joue ben, de la guitare, depuis mes dix ans je dirais. J'ai commencé en même temps que le frangin.
• Ah, ton frère aussi est musicien ?
• Hum, c'est moi, son frère.

 Hein ? Je dévisage Max, puis Jo, puis Max.

• Oh ! Ben dis donc, on ne le devine pas...
• Non, on ne se ressemble pas, non.
• Mais ils ont des traits familiaux communs, enchaîne Julien. Par exemple, ils sont tous les deux chiants. Chacun à leur manière.
• Oh, la ferme !
• Donc, Maxime, je suis le frère de l'autre zozo. J'ai commencé le piano et le solfège à six ans, puis j'ai changé pour le violon. Maintenant je fais un peu des deux, mais je préfère le violon. Sinon je suis éducateur et animateur musical dans un centre socio-culturel. Et je viens d'être papa.

 Je hoche la tête. Le « côté professoral » prend tout son sens.

• Euh... ça vous dérange si je fume ? Je m'éloigne...
• Non ! Reste. Et file-moi en une.

 Max me tend la main et je lui transmets mon paquet.

• Et comment vous vous êtes rencontrés, le groupe, tout ça ?
• Moi et Julien, on est potes depuis le collège, raconte Jo. Au lycée on jouait déjà ensemble, avec d'autres gars. Max est venu plus tard, quand nos autres potes ont déménagé. On a toujours fait ça pour le fun, c'est marrant que ça ait tenu tout ce temps. Quand Max est venu, il nous a présenté Émilie. Elle chantait. On a bien matché tous les quatre et le groupe s'est cristallisé comme ça, en fait.
• Oh ! (je m'illumine) Émilie sous la pluie...
• Ah oui, l'histoire ! Un soir de répèt', elle est arrivée, courant depuis l'arrêt de bus, trempée jusqu'aux os par notre chère pluie nantaise, et... c'est resté.
• C'est fou, Émilie a une voix qui ressemble tellement à la tienne, en fermant les yeux on pourrait difficilement vous distinguer. Elle était très drôle, et n'avait pas peur d'être au milieu de trois mecs un peu concons.
• Alors que moi, je suis terrorisée.

 Ils rigolent.

• Non mais on est gentil, tu sais ? On te jure !
• Vous ne dépecez personne ?
• C'est quoi cette histoire de dépeçage ?
• Mon imagination très fertile.
• Ah. Bah non, on ne fait de mal à personne. Juste des mecs qui ont envie de s'amuser en jouant de la musique, buvant des bières et faisant des blagues nulles.
• Ok, ça me va. Les bières et les blagues, je maîtrise. La musique, le chant... on verra.
• Tu maîtrises déjà. Faut juste de coordonner à nous, quoi. On va regarder le répertoire qu'on joue, si tu veux ?
• Allez !

 Je le suis en souriant. Je sens que ça pétille partout en moi. Remettre du pétillant, oui, ça y est, je l'ai.

❝
moi, je fais du rock
qui sert à rien
et quand ça sonne, c'est déjà bien

je fais du rock
ça sert à rien.
mais quand ça sonne,
moi j' trouve ça bien

j'vais sûrement pas me mettre à danser
j'ai pas envie d'apprendre à chanter
parce que si pour toi, ça c'est d'l'art.
alors je suis pas prêt d'être star

❞

La maison de disques - Kinito, 2004