Quelle tache !
« Zut ! »
« Quoi ? »
« Mon gilet ! »
« Il est très bien ton gilet. »
« Mais non, regarde ! »
« Ah, oui. Taché. Dis donc, tu ne t’es pas ratée. Quel gâchis, le café est excellent. »
« En laine en plus… »
« C’est dommage, oui. Mets du sel marin pour l’enlever. »
« …mon gilet tout neuf… »
« Roh, ne fais pas cette tête ! Ce n’est qu’un bout de tissu ! »
« Christophe, dois-je te rappeler qu’il m’a coûté une petite fortune ? »
« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? »
« Quelque chose qui n’aggrave pas la situation. »
« Tu es la plus belle femme que je n’ai jamais vu avec un gilet taché. »
« Oh, arrête, on est trop vieux pour jouer à ce jeu-là. »
« De toute manière, quoi que je dise, tu m’engueules. »
« Même pas vrai. »
« Ah si, si, je t’assure, tu devrais t’écouter. À la limite, je préfère ton chien. Lui au moins, il est supportable la moitié du temps, c’est-à-dire quand il dort. »
« Ne fais pas rentrer Canette dans la conversation s’il te plaît. Roh… me voilà bien sotte, je l'aimais bien ce gilet... »
« Canette ? »
« Oui, Canette, mon labrador. »
« Ah oui, ce con. Et pourquoi ne pourrait-on pas parler de ton cher et tendre Canette ? »
« Ne me cherche pas Christophe s’il te plaît. Et d’ailleurs, il n’est pas con, il est juste lent. »
« Tu rigoles ?! Une tornade à plein temps : il détruit tout ce qu’il trouve oui ! Et violent en plus. Ce n’est pas une surprise si ta réputation a pris un coup depuis que tu as adopté ce clebs. »
« Christophe ! »
« Quoi ? »
« J’ai fait l’erreur de te le confier une soirée. Tu as mis trois jours à t’en remettre, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour l’insulter. Tu sais que je suis folle de mon chien. »
« C’est bien ça le plus inquiétant. »
« Ne me dis pas que tu es vexée ? »
« Je t’avais dit de ne pas parler de Canette. »
« C’est vrai. Allez, si tu veux un autre café, le serveur est juste là. »
« Tu sais, je me demande pourquoi on se parle encore. »
« Écoute, on est bien là, non ? La vue n’est pas trop mauvaise, on est tranquille, le soleil n’est pas loin. Suffit d’admirer l’instant présent. »
« Alors c’est ça l’amitié ? Rester passif ensemble ? »
« Tu deviens philosophe maintenant toi ? Tu as pris un coup de vieux. Je ne sais pas ce qu’est l’amitié. Mais, ce qui est sûr, c’est que ça fait cinq minutes qu’on se dispute pour une pauvre tache de café insignifiante. Oublions ça, tu veux ? »
« Tu recommences ! »
« Quoi encore ? »
« Tu prends ton air professoral. »
« Tu me fatigues. Ça ne s’arrête pas. »
« Je préférerai vivre dans une fiction où le café ne tache pas. »
« Moi aussi. »
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