Bureau
J'avais presque fini mon article sur ces lycéens grévistes dont la revendication principale demeurait la démission du chef d'établissment, un certain Rivière qui se serait injustement acharné à renvoyer une élève. Il ne me manquait plus qu’une relecture attentive et le résultat se présentait même plutôt bien à en croire la fluidité de son écriture. Je l’avais soumis à la sagesse d’Aurore mais celle-ci c'était refusée net de le lire. Elle n’était pas ma superviseuse. Je devais le montrer au rédacteur en chef, mon superviseur, Nikola von Lorentz.
Ce qui m'avait frappée en premier en entrant dans son bureau, c’était l’atmosphère chaude et agréable de l’endroit, comme pour adoucir l’aspect moderne donné au reste du journal par de large et lumineuses baies vitrées. Le revêtement en bois donnait un caractère ancien à ce vaste espace. Un peu à la manière d’une cabine de capitaine pirate. Face à moi, le journaliste de légende croisa mon regard, fit glisser son casque audio à son cou, tourna son fauteuil d’un bleu léger en ma direction avant d’évaluer mon article.
Pendant qu’il examinait mon œuvre, je remarquai un futon vert et ambre sur le côté qui donnait un air confortable à ce bureau déjà bien chaleureux. Le mobilier, sans être excessivement moderne, se mariait bien au style ambiant. Le tout me faisait penser à une sorte de salon ou salle de classe. Une sorte de désordre organisé. Accroché au fond du bureau, à droite d'une télévision à écran plat, un dernier objet attira mon attention. Un drapeau bleu clair au motifs blancs représentant la carte du monde entourée des rameaux d'olivier, la bannière des Nations unies.
Le temps que j’observe la décoration, le rédacteur en chef m’avait très simplement fait part de sa décision : « Je ne le publierai pas. » Il l'avait dit honnêtement avec une voix tout à fait naturelle. Je l'avais pourtant ressenti comme une refus très direct, très court. À tel point que je ne fus frappée par ces cinq mots qu’une fois sortie de son bureau. J’étais frustrée comme une étudiante après un examen. Non, plus.
Je n’ai jamais supporté que l’on me fasse des remarques, que l’on me juge ou que l’on me note. Je me donnais déjà suffisamment de mal pour qu’en plus on me rabaisse. Mais cette fois, c’était mon idole qui m’avait mise dans cet état. Pour me remettre de cet échec, je décidai de ne plus écrire d’articles pendant le reste de la semaine. Juste me défouler sur ceux des autres lorsque ceux-ci étaient bien trop mauvais, même pour moi. Si je ne pouvais rien écrire d'assez bien pour être publiée, je pouvais peut-être contribuer aux articles de mes collègues.
Alors que leurs visages défilaient, en apercevant le duo composé du farceur Grégoire et du grand Garry, je me rappelai enfin pourquoi ce dernier m'avait l'air si familier. Avec un costume noir déboutonné, une cravate rouge légèrement dénouée, un air plus soigné, c'était l’un des journalistes les plus tenaces du Dernier. Je l'avais déjà vu sur quelques plateaux de télévision avec ces mêmes habits. Toujours mieux que ceux qui portent une écharpe rouge.
Cependant, lorsqu’il était invité chez les concurrents, il devait passer son temps à défendre Le Dernier. Alors, pour retourner la situation à son avantage, il prenait souvent un air accusateur pour faire payer ses contradicteurs de leur attitude méprisante. Cela lui donnait ainsi la réputation de quelqu'un de prétentieux empli de suffisance. Mais alors pourquoi les chaînes concurrentes l'invitaient-il autant ? Sans doute pour une obscure raison dissimulée dans le huis clos de leurs rédactions. Une décision prise par les grands chefs. Une situation que je ne comprenais pas encore, jeune journaliste que j'étais.
Grégoire parlait sans cesse tel un moulin à paroles, à tel point que Garry n’en avait strictement rien à faire et décida de rentrer dans son bureau et lui fermer la porte au nez. Le farceur, content de lui, arborait un large sourire malicieux. C’était un gamin, un insupportable coquin. Il m’avait rendu le sourire le temps d’un instant.
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