Clara
Aucun article n’avait trouvé grâce aux yeux de mon superviseur. Refus après refus, je commençais à douter de mes capacités. Une nouvelle semaine s’annonçait. Peut-être serais-je plus chanceuse cette fois-ci. L’article sous mes yeux ne me convenait pas. Je n’avais pas réussi à exprimer ce que je voulais. Il manquait de vivacité.
Afin de me changer les idées, j’étais encore une fois partie en exploration dans les bureaux du journal. C’est durant ma petite expédition que mes yeux se posèrent sur la mine inquiète d’une jeune femme aux cheveux bruns. Vraisemblablement agitée, je la voyais s'acharner à l’ouvrage sur son ordinateur entre deux explosions de panique. Je la pris aussitôt en sympathie et m’approchai d’elle. « Besoin d’aide ? », lui dis-je. Elle ne sembla pas comprendre le sens de ma question et je dû me répéter :
« Est-ce que je peux aider ?
— Oui ! Tu veux bien m’aider ? Pour de vrai ? fit-elle avec de grands yeux écarquillés.
— J’essaierai.
— Merci beaucoup ! »
Si je devais être méchante, je dirais que c’est à ce moment-là que la jeune femme se jeta sur moi et essaya de m’étrangler. En vérité, elle m’avait juste pris passionnément dans ses bras comme si j’étais sa meilleure amie pendant que son doux parfum sucré me montait à la tête. « Je m’appelle Clara », dit-elle en me libérant de son emprise. « Eleanor », répondis-je. Je ne le savais pas encore, mais cela allait être le début d’une belle et longue amitié entre nous deux. Même si le début de cette relation commençait avec de sérieux handicaps dues à nos personnalités divergentes.
Quatre articles à écrire et commenter, tout en étayant leurs dossiers respectifs, sans oublier de dénoncer le traitement médiatique local et international de chacun des sujets, pour un total d’une cinquantaine de pages au moins, à terminer avant la tombée de la nuit. Comme si arriver en milieu de parcours ne suffisait pas, les notes étaient soit illisibles, soit cryptées, ce qui en rajoutait encore plus à la difficulté de la tâche.
Un article sur la politique allemande, un autre sur l’économie indienne, un troisième sur l’agriculture biologique dans le monde et un dernier sur la corruption au Brésil. Tout ça parce que j’avais malencontreusement accepté d’aider cette chipie. Elle ne s’était même pas foulée de me prévenir. Mais une fois la catastrophe passée au rythme du jour qui disparaissait, j’étais reconnaissante d’avoir survécu à ce carnage. Je pouvais enfin souffler un peu.
J’allais au moins être récompensée pour ma souffrance : « Tu veux qu’on sorte ensemble en ville ? » demanda-t-elle à ce qui restait de mon esprit, tandis qu’elle semblait ne jamais avoir perdu le sien. « Où ça ? » soufflai-je de mes dernières forces. « Le Belfast. Il n’y a rien de mieux pour se détendre après une longue journée de travail. »
Je ne connaissais pas cet endroit, mais rien qu’au nom, je pouvais deviner qu’il s’agissait d’un pub irlandais. Situé place Gutenberg, près de la cathédrale, un manège en face rajoutait au charme des environs et l’endroit dégageait une ambiance familiale malgré la forte affluence. Plus que spacieux, l’intérieur était lumineux et on n’y avait pas l’impression d’être entassés les uns sur les autres, ce qui favorisait naturellement le contact humain. La musique n’était pas spécialement irlandaise mais elle allait bien avec une certaine douceur de la salle.
Puisque je me regardais autour comme une touriste qui visite New York pour la première fois, frappée par la nouveauté, Clara ne tarda pas à me remettre les pieds sur terre : « Tu n’es jamais venue ici ? » dit-elle avec de grands yeux compatissants et désapprobateurs, un brin vexée. « Ça ne fait pas longtemps que je suis à Strasbourg. Je viens de commencer », dis-je pour ma défense. Bonne réponse, à en juger par l’expression rassurée de ma collègue. « On aime bien cet endroit au Dernier. C’est calme, c’est animé. On se retrouve souvent ici pour s’amuser », expliqua-t-elle.
Puis, tout d’un coup, elle s’avança vers moi en s’appuyant sur la table de telle façon que nos visages auraient pu se toucher si elle s’était davantage penchée sur moi : « Parle-moi un peu de toi », sussura-t-elle d’un ton doux, presque mielleux, avec un sourire éclatant, un peu malicieux sur les bords. Il y avait dans son petit jeu, un air maternel, affectueux, qui me rappelait quelques moments de mon adolescence. Je décidai alors de la prendre à revers et lui tenir tête en aiguisant encore plus sa curiosité. Elle ne m’aurait pas si facilement. J’allais bien voir jusqu’où la nuit nous porterait.
Annotations
Versions