Athlétisme

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À ma surprise, la salle de sport se trouvait tout près de chez moi, sur le boulevard d’Anvers. Même si mes craintes de me retrouver piégée dans la version sportive d’une boîte de nuit ne voulaient pas faiblir, avoir une habituée à mes côtés me préserverait au moins des dangers. La présence de jeunes gens frêles et à l’allure inoffensive me rassura également avant de commencer.

C’était sans compter sur la créature sublime qui m’accompagnait. Sa tenue bordeaux dévoilait tout de sa silhouette mince, la finesse de ses membres, l’éclat de sa peau le long de ses bras et ses jambes nus, la fermeté de ses muscles et un ventre, source de toute vie, à faire fondre n’importe qui. Je ne l’aurais vue moins habillée qu’en été à la plage ou au lit lors de nos ébats, si nous avions ce genre de relation. Son corps peu modeste ne lui enlevait cependant rien à son élégance, ce que je n’aurais jamais pu imiter dans mon simple survêtement vert.

La séance a consisté pour moi en divers exercices d’échauffement, de course et de musculation à faible rythme, puisque je n’avais plus fait de sport depuis plus d’un an déjà. En compagnie de Lilo, les efforts physiques étaient supportables. Mais comme une idiote, à la fin de la séance, j’ai laissé les battements rapides de mon cœur confondre cette sensation pour une autre. Une humeur joyeuse, joueuse, enjôleuse qui m’a fait oublier la notion du temps jusque dans mon travail. Je ne pensais plus qu’à elle et ses abdominaux finement sculptés sur son corps dont le seul souvenir suffisait à me donner des frissons.

C’est perdue dans ces pensées volages qu’un contact brusque mis un terme à mes divagations pour ne les remplacer que par la peur. L’homme contre lequel je m’étais heurtée avait tout pour inspirer la crainte que le bouleversement de l’impact ne rendait que plus effrayant. Sa taille aussi en rajoutait à son allure intimidante et lorsque nos regards se croisèrent, mon corps se figea face au visage familier d’un Garry furieux : « Regarde où tu mets les pieds ! » rugit-il dans un grognement qui laissait apercevoir ses dents féroces.

Bien que maladroite pour avoir eu la tête dans les nuages au travail, sa réaction était pour le moins excessive et malvenue. Il ne s’attarda pas plus longtemps sur notre bousculade, marquant son passage d’un pas rapide foudroyant à faire froid dans le dos. L’incident révéla au moins le caractère brutal du rustre, à moins que ce ne fût juste une fausse impression. Exagération ou pas, peu de chances que je m’entende bien avec lui.

Cependant, depuis que ce sombre individu avait fait cette entrée fracassante dans ma vie, je le voyais partout. Pas comme un potentiel objet de désir ou quoi que ce soit de ce genre, bien sûr que non. Il était plutôt beau garçon, c’est vrai, mais à chaque fois que sa silhouette attirait mon attention, je le voyais toujours de mauvaise humeur. Même lorsqu’il souriait, c’était pour se moquer de quelqu’un et déverser ses sarcasmes. Sa seule présence suffisait à m’enrager. Il ne lui en fallait pas plus pour nous fusiller tous du regard.

Le problème étant que je n’avais aucun moyen de l’éviter. Surtout cette fois où j’ai dû le supporter tout le temps pendant que je rendais mes articles :

« La rumeur dit que tu serais pressenti pour entrer à faire partie du prochain conseil d’administration, informa l’homme au blouson noir.

— C’est ce que j’ai entendu aussi, confirma mon idole sans interrompre sa lecture.

— De qui vient l’idée ?

— Pas de moi.

— Essaye de me faire croire qu’ils ont tort.

— Mais c’est toi le meilleur d’entre nous.

— Chirac, la ferme. »

Durant le silence qui s’ensuivit, Garry posa dédaigneusement les yeux sur moi. Je ne pouvais pas voir son regard méprisant derrière ses lunettes de soleil mais la rigidité de son visage en disait tout autant. Aucune erreur d’interprétation n’était possible à son sujet. Je n’aurais pas voulu croiser son chemin en ville la nuit. Il reprit son bavardage décidé à jouer la provocation :

« Je parie que c’est tellement nul que même les souris en écrivent de meilleurs, indiqua-t-il en ma direction.

— Non, tempéra mon patron. Pas comme des souris.

— Pour ce que ça vaut, je ne vois pas la différence.

— Ce n’est pas comme si on était au Figaro.

— Tais-toi. »

L’importun ne sachant plus quoi dire pour soutenir la discussion décida de partir. Ravie que mon superviseur m’ait défendue contre l’attitude odieuse de Garry, cela n’enleva pas la légère déception de ne voir encore aucun article accepté. Mais le soir, seule dans mon appartement, un message sur mon ordinateur chatouilla ma curiosité. L’équipe dirigeante du groupe Le Dernier me conviait à la prochaine assemblée générale du journal. L’information ne m’intéressa pas outre mesure. Cependant, le lendemain, tous n’avaient plus que l’invitation à la bouche.

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