Défouloir

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Je n’avais pas remarqué plus que ça l’absence de ce rustre de Garry, surtout parce qu’une certaine personne ne quittait plus mes pensées. Cependant, au retour fracassant de celui-ci, j’avais compris combien ce temps sans lui était précieux. Il tempêtait, rugissait, criait comme un furibond, puis baissait le ton de sa voix et recommençait en prenant tout le monde par surprise.

Avec lui se trouvait mon patron qui le supportait religieusement de son calme légendaire. On le voyait parfois se retourner vers l’autre brute, dire quelques mots, puis le laisser rager en paix. Lorsque les deux étaient assez près de moi pour que je l’entende ou lorsqu’il se mettait à crier, j’arrivais à saisir quelques morceaux de phrase pas très cohérents, pour la plupart, des insultes comme « Crétin ! », « Escroc ! », « Fumier ! », « Terroriste ! », « Pédé ! » ou encore « Agent du Kremlin ! » et plus.

Loin de vouloir s’arrêter, il continua ses tirades énervées en long, en large et en travers dans tous les couloirs du journal qui étaient effectivement devenus son défouloir. Ce n’est qu’avec l’intervention opportune d’Aurore que les cris cessèrent mais la matinée s’était déjà écoulée. Le rustre étant parti, les deux restèrent ensemble un instant avant de disparaître de ma vue. Du moins c’était ce que je pensais, mais Garry en avait décidé autrement et reparut toujours d’aussi mauvaise humeur.

Au moins cette fois, il se contentait de marmonner des choses incompréhensibles à un volume sonore acceptable. Malheureusement, pour compenser cela, il multipliait les inspections sur le personnel, et comme par hasard, le résultat n’était jamais satisfaisant, ce qui lui donnait l’excuse parfaite pour s’en prendre aux gens. Plus la journée avançait, plus il s’approchait de mon secteur et à chaque fois sa présence hostile se faisait plus pressante. Un coup de téléphone m’évita néanmoins cette expérience abominable. Il répondit et quitta les lieux, ce qui me permit de manger mon sandwich tranquillement sans peur de me faire agresser par cet individu plus qu’inquiétant.

La pause déjeuner terminée, Aurore revint au poste accompagnée du patron. En les observant, je remarquai encore le petit animal en peluche sur le bureau de ma voisine. Elle le tenait tendrement dans ses mains douces et regardait intensément le patron vérifier ses articles. Quelque chose de familier se dégageait de cette scène, presque rassurante. Je n’y avais pas fait attention au départ, mais à chaque fois que je jetais un œil à ce qu’ils faisaient, Aurore avait toujours les yeux rivés sur lui et parfois même elle posait doucement la main sur son bras, multipliant les contacts à la moindre occasion. Lui, en retour, se laissait faire la plupart du temps tout en fuyant les demandes les plus insistantes.

Le soir, je n’avais que ces deux-là en tête. Qu’est-ce que je venais de voir ? Qu’est-ce qui s’était passé, au juste ? Depuis quand est-ce qu’ils étaient comme ça ? Je ne les avais jamais vus dans cet état, et pourtant pour un peu ils ne se câlinaient pas l’un dans les bras de l’autre en se disant des mots doux. Ou alors c’était moi qui me faisais des idées, mais la situation était tellement électrique que je me serais laissée faire si tous les deux m’avaient entraînée avec eux.

Le pire, c’était que j’étais jalouse de leur lien qui peut-être n’existait même pas. Jalouse de leur bonheur, de leur histoire parce que ma plus récente datait d’un an et s’était terminée à cause de moi, parce que je ne suis pas quelqu’un de bien, que la seule chose dont je suis capable c’est de faire souffrir les gens que j’aime. Ses larmes lorsque nous avons rompu sont encore le souvenir le plus douloureux de notre relation. Comment ai-je pu l’abandonner comme ça ? La preuve de l’horrible personne que je suis.

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