Témoin de la scène, Nikola von Lorentz tenta enfin de désamorcer le conflit :

« Vous n’allez quand même rester fâchés, tous les deux.

— Demande à Mademoiselle je veux faire la une des magazines de mode, rétorqua mon ennemi.

— De mieux en mieux, ironisai-je.

— S’il vous plaît, arrêtez.

— Je veux qu’il me présente des excuses, déclarai-je.

— Je te présente mes excuses.

— Excuses refusées. »

Aucun de nous deux ne voulait faire un effort. Moi, j’étais justifiée. C’était Garry qui me cherchait. Je n’allais tout de même pas me laisser marcher dessus juste parce qu’il était mieux placé dans la hiérarchie, surtout s’il avait un comportement et une humeur aussi exécrables. Ce n’était pas la meilleure idée de se mettre à dos quelqu’un comme lui mais au moins je n’aurais pas dérogé à mes principes.

Notre médiateur, bien que désabusé, continua néanmoins d’essayer :

« Allez ! Vous ne pouvez pas faire la paix comme deux personnes de bonne volonté ? Passez quatre jours à Paris pour vous réconcilier, profitez-en !

— Hors de question. Je ne supporte pas de voir une souris pleurer.

— Honnêtement, patron, je pense que ça risque gravement d’empirer si on fait comme vous dites.

— Bon, alors je ne vous laisse pas le choix. Vous irez, point. »

C’est ainsi qu’Eleanor Sullivan, moi-même, et mon ennemi juré, Garry Reus, avons été obligés de passer quatre jour ensemble. Seule consolation pour moi, je pourrais me promener à Paris et faire du tourisme dans la ville, loin de la présence néfaste de cet individu malsain. En dépit du long voyage en train qui m’attendais, presque deux heures face à face, nos échanges devaient en toute logique être assez limités, me laissant de quoi profiter de mon temps libre.

Le lendemain, jour du départ, réveil légèrement plus matinal pour arriver à la gare et prendre le train de sept heures cinquante-huit. Valise prête pour trois nuits dans la capitale, programme des activités minutieusement élaboré, réservation de l’hôtel sur la rive gauche de la Seine avec vue sur la cathédrale Notre-Dame, billets de train aller-retour, liste de restaurants, j’avais absolument tout organisé pour mon séjour.

Le grognon en cravate rouge qui m’accompagnait avait, quant à lui, un volumineux sac à dos qu’il tenait d’une seule épaule, et dans la main, un étui pour un costume. Assis à nos places, l’une face à l’autre, deux ordinateurs nous séparaient. Bien que ma tâche ne m’enthousiasmais pas, aider mon voisin de voyage à faire son travail, au moins étais-je occupée. J’avais tout le loisir ou le malheur de silencieusement ruminer le racisme et le sexisme de celui-ci.

J’apprenais ainsi les activités d’une certaine Lalla Okoro, dont le sexe et la couleur de peau n’étaient pas du goût de tout le monde, pas plus que ne l’était son orientation sexuelle. Je découvrais au travers de plusieurs articles la force de caractère et le tempérament combatif de cette femme originaire de Niamey. Elle avait mené de brillantes études en France et au Canada jusqu’à l’obtention d’un doctorat en administration des affaires et son engagement auprès des associations faisait aussi partie des raisons de son succès. Le dynamisme de ses campagnes donnait une voix d’autant plus retentissante aux délaissés et laissés pour compte, les femmes, les gens de couleurs, les homosexuels, les handicapés, les étrangers et bien d’autres encore.

Comme par hasard, c’était aussi la femme qui avait osé blesser l’amour-propre de mon voisin de voyage, raison pour laquelle nous étions envoyés à Paris pour préparer la réplique de celui-ci. Dans son costume aussi noir que ses cheveux, il me fit penser à un individu également très odieux, toujours très prompt à s’en prendre aux faibles et très servile face aux puissants, qui sous couvert de philosophie pour justifier d’immondes opinions, cachait son ignoble lâcheté.