En ce début de mois de mai, la rédaction semblait avoir intensifié ses activités. Des allées et venues plus fréquentes donnaient des airs plus laborieux à cet environnement déjà bien mouvementé d’ordinaire. Des hommes en costume et des femmes en tailleurs constituaient ce florilège de visiteurs de plus en plus fréquent. Je reconnaissais le président Bradley, souvent par la voix inhumainement forte, lorsqu’il accueillait ces invités de marque. La directrice générale Bishop, souvent présente, elle aussi, jonglait parfaitement entre ses différents interlocuteurs, passant d’un groupe à un autre à une vitesse remarquable de fluidité.

Un vendredi en particulier, jour pendant lequel le conseil d’administration se réunissait d’une semaine à l’autre, le bureau de mon superviseur et non moins membre de ce conseil, était complètement plein à craquer. On se serait cru à la bourse ou dans une salle de concert tellement l’endroit était bondé de monde. Il y avait même des gens debout faute de places assises et des gens restaient dehors pour désengorger les lieux, ce qui recréait la même atmosphère à son extérieur.

Celui dont c’était le lieu de travail faisait face à ces innombrables personnes dont certaines lui faisaient la grâce de ne pas l’interpeller directement si bien que cela détendait un peu l’ambiance surchargée des lieux. La discussion n’en demeurait pas moins énergique :

« Bon, mais qu’est-ce que vous faites tous ici ? lança mon superviseur à cette assemblée, en particulier à la superbe blonde en tailleur turquoise.

— Moi, je voulais tout simplement que mon dévoué directeur de la rédaction me donne un avant-goût de son compte rendu avant la réunion d’aujourd’hui. Je voulais aussi te rappeler la date de ma plaidoirie à laquelle tu serais vraiment très gentil d’assister.

— Je sais… Toi, Bradley ?

— Je me sens investi de la tâche indispensable de te préparer pour ton élection au conseil municipal !

— Tu m’as fait peur, j’ai cru que tu allais me nommer président de la République !

— Je peux faire ça aussi, si tu préfères !

— Les élections sont dans trois ans, Bradley…

— Et alors ? On ne sait jamais ce qui peut arriver en trois ans ! Il pourrait très bien y avoir des élections partielles entre-temps ! Il faut commencer à te préparer, Nick !

— Occupe-toi de Gavin à la place !

— Mais c’est ce que je fais ! »

Pendant que la discussion continuait de s’enflammer, Lucie Bishop avait remarqué ma présence et s’était alors éclipsée de cet endroit de dingues pour me rejoindre : « Eleanor, juste la personne que je voulais voir ! » dit-elle ravie sous le brouhaha incessant de la salle. Je l’accompagnai vers les étages supérieurs du bâtiment, les bureaux des administrateurs et lieu de réunion de la direction générale.

Dans son bureau, l’espace était vaste et lumineux, des fleurs et autres plantes rafraîchissaient les lieux, le tout dans un ensemble tout à fait harmonieux. Les couleurs douces de la pièce adoucissaient le peu de meubles présents et la baie vitrée donnait sur le fleuve bordant le Parlement européen. À cette hauteur, la vue de ce petit panorama provoquait une sensation de liberté agréable qui s’expliquait par la place occupée dans la hiérarchie.

La superbe blonde en tailleur turquoise m’invita à m’asseoir sur le canapé à peine plus foncé que sa tenue. Si c’était une convocation, elle n’en avait pas les codes habituels. Intimidée par l’incertitude qui m’entourait, ainsi que par le statut de celle que j’accompagnais, je restai sagement silencieuse, me faisant la plus discrète et respectueuse possible, figée sur place. Elle, au contraire, était tout à fait détendue et son regard soudain plus sérieux plongea dans le mien.