Danger
La discussion avait continué agréablement, le courant passait naturellement bien entre nous. Je lui avais proposé mon aide modeste pour s’orienter dans Strasbourg, donné quelques adresses utiles pour se restaurer dont l’incontournable Belfast, fait une rapide liste des lieux à visiter parmi l’horloge astronomique et les maisons à colombages.
Par curiosité, je lui avais demandé ce qui l’avait poussée à quitter la Russie pour venir en France, si c’était pour des raisons professionnelles et si oui de quel travail il s’agissait. Irina travaillait dans une agence de talents. Elle avait eu la chance d’être acceptée à Sotchi, où, étrangement, la direction imposait des cours de français à tous ses employés. Cette remise à niveau lui avait permis de rattraper son retard et donné la possibilité d’obtenir un poste en France, entre Paris et Strasbourg.
Ne pouvant réellement juger de son parcours dans cette entreprise et son expression restant optimiste, je me contentai de lui souhaiter le meilleur pour l’avenir tout en lui demandant un aperçu de ce monde que je ne connaissais pas. Ses journées commençaient généralement par des échauffements et des exercices physiques d’endurance. Il leur arrivait parfois de modifier leur programme et de commencer la journée tôt le matin ou tard le soir en raison de vols à l’étranger, mais c’était bien par ces entraînements que débutaient leurs séances de travail.
Ensuite, cela variait en fonction des jours. Parfois, les organisateurs enchaînaient avec des cours de théâtre, de danse ou de langues. Certains donnaient même des cours de mise en scène pour que chacun puisse se donner à cent pour cent lors de leurs diverses activités de photographie et interprétation. L’atmosphère semblait détendue dans leur agence, ils devaient y être heureux.
C’était néanmoins l’impression que cela donnait en écoutant le récit d’Irina. Seulement, un détail de taille rendait toute cette histoire beaucoup plus sombre. Or, je n’avais que des soupçons. Il fallait que je m’informe sur la situation et la façon la plus discrète était de se joindre au groupe des commères, Grégoire et Clara.
Étrangement, cette dernière se trouvait absente. Malheureusement, Grégoire, lui, était bel et bien présent dans toute son extravagance, vêtu d’une perruque blonde qui lui descendait un peu plus bas que les épaules. Le temps de digérer la nouvelle sous mes yeux et lui demander des informations que déjà je trouvais deux autres excentricités. Ça n’arrêtait pas ! « On se rince l’œil ? », lançai-je provocatrice. D’un mouvement de tête supposément féminin qui faisait danser sa fausse chevelure d’un côté à l’autre, un sourire ridicule aux lèvres, il répondit :
« Tu me touche, vraiment. Je ne savais pas que je te faisais autant d’effet.
— Non, c’est toi qui te rince l’œil. Depuis quand est-ce qu’on travaille avec son porno sur le bureau ? dis-je fusillant du regard son exemplaire de Playboy à peine dissimulé son un numéro de L’Équipe.
— Mais, je le regarde pour les articles ! se justifia-t-il.
— L’excuse !
— Non mais c’est vrai, regarde. Il y a un article sur le dopage, cette fois. Et sur l’autre, ça parle des conditions de travail dans les services. Même eux ils font du meilleur journalisme que Le Figaro des fois. Ou tout le temps, ça dépend de ton opinion d’eux, en fait. »
Il n’avait pas l’air de mentir mais je n’étais pas venue le voir pour discuter ses goûts en matière de journaux. « Dis-moi, tu le connais bien, Garry ? », lui dis-je enfin. Il me regardait intensément, comme pour souligner son attention, mais sa réaction évidemment exagérée doublée de sa perruque burlesque enleva toute utilité au stratagème.
« Alors ?
— C’était mon superviseur lorsque j’ai commencé.
— Tu dirais que c’est une bonne personne, qu’on peut lui faire confiance ?
— C’est un excellent journaliste dans son domaine même s’il en prend plein la figure, oui.
— Ce n’est pas ce que je t’ai demandé. Comment tu te sentirais si tu te retrouvais seul dans une ruelle sombre avec lui ?
— C’est vrai que si je dois lui chercher des problèmes dans une ruelle sombre, je n’aimerais pas me retrouver dans cette situation. »
Comme je le pensais, même dans son entourage, on le craignait. Son comportement de la veille se confirmait être inquiétant. Ses banals sarcasmes, provocations et menaces étaient montées d’un cran. À l’abris des yeux curieux mais pas des miens, sur la terrasse située au toit du bâtiment, il avait fait preuve de bien des gestes déplacés, de regards indiscrets et de caresses appuyées sur l’anatomie d’Irina. Allant jusqu’à lécher la longueur de son cou, remonter le bas de sa robe et planter ses crocs dans la peau laiteuse de sa poitrine.
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