Chapitre 13. Je l’Aime à Mourir
Wen marchait à une allure vertigineuse malgré la pente raide et la boue laissée par l’orage tropical du matin. Bae et Kevin, en bons citadins, peinaient à suivre la cadence de l’aventurière aguerrie au milieu de cette flore exubérante et inhospitalière. Essoufflés, ils marchaient en silence sans même essayer de s’accorder avec la cheffe d’expédition sur la route à suivre. Wen démontrait un sens de l’orientation certain et les deux hommes se laissèrent guider sans broncher, même si l’expédition virait au cauchemar pour eux deux. Les encouragements de Wen ne suffisaient pas à les rendre plus agiles ni performants, malgré les enjeux de la survie du groupe.
Voilà trois heures qu’ils avaient laissé les autres au bord de la plage, et pas la moindre trace d’animaux qui pourraient servir de nourriture, ni de point d’eau fraîche, ou encore moins des habitations. Pile quand le découragement de Bae commençait à se refléter sur le rythme de sa marche, Wen l’impétueuse s’écria :
- Regardez ! Une clairière et une construction là-haut.
- Enfin ! On a bien fait de partir en expédition, s’agita Bae avec un regain d’optimisme.
Les trois reprirent les derniers souffles d’air qu’ils conservaient dans leur poumons, pour arriver au sommet qui se divisait. Une nouvelle cabane en bois à l’allure plus solide que celle de la plage les y attendait.
Une fois sur place, ils regardèrent la seule inscription marquée sur la porte :
“777 m.s.n.m”
- 777 mètres sur le niveau de la mer ! lacha Kevin.
- Trois heures pour faire un dénivelé de 777 mètres, ce n’est pas très glorieux ! dit Wen déçue.
- A la verticale peut-être, mais à l’horizontale, nous avons dû marcher une dizaine de kilomètres, c’est tout à fait honorable pour Kevin et moi ! la gronda Bae.
- L’important est de voir ce qu’il y a derrière cette porte, dit Wen en cherchant le meilleur moyen de l’ouvrir.
Prenant les autres par surprise, Bae cassa le cadenas de la porte d’un coup de pied sec et efficace. L’intérieur de la pièce recelait une vraie petite caverne d’Ali Baba. Il virent entre autres, une multitude de conserves sans étiquettes, des stocks de bidons d’eau douce et une grosse trousse de secours.
- C’est un refuge de montagne avec des réserves, ou le stock de vivres laissés par nos ravisseurs !? demanda Bae.
- Aucune importance ! Prenez ce que vous pouvez et on repart en vitesse, répondit Wen anxieuse de reprendre le chemin de la plage.
- Vous avez peur que le propriétaire nous mette un coup de fusil, s’il nous trouve en train de voler ses provisions ? s’inquiéta Bae.
- Je ne crois pas que nous ayons beaucoup de voisins sur cette île. Venez admirer la vue, répondit Kevin qui avait fait le tour de la cabane pendant que Bae et Wen fouillaient son intérieur.
La cabane était construite sur le point le plus élevé d’une île, au bord d’un cratère de quelques centaines de mètres. Ils avaient marché vers le Nord depuis leur départ de la plage, et à partir de l’endroit où ils se trouvaient, quelques kilomètres seulement les séparaient d’une grande étendue de terre volcanique, fruit d’une ancienne éruption du volcan sur lequel ils se trouvaient, un énorme coulée de lave, devenue un champs de roches noires sans la moindre végétation.
- L’île ne devrait faire pas plus de quinze kilomètres en longueur dans le sens Nord-Sud et dix d’Est en Ouest. Pratiquement toute la moitié Nord est un désert volcanique, déballa Wen pendant qu’elle scrutait la vue panoramique.
- Vous êtes trop forte, vous êtes aussi géomètre de profession !? s’étonna Kevin.
- J’ai failli participer à Survivor sur les îles Fidji il y a trois ans, et je m’étais entrainé comme une folle, jusqu’à ce que je me pète la cheville pendant le marathon de New York trois mois avant le départ.
- Survivor, c’est le Koh Lanta à l’américaine, précisa Bae à Kevin qui la regardait circonspect.
- Dans ce cas, comment peut-on s'échapper de cette île !? Avez-vous appris ça aussi dans le cadre de votre entraînement d'apprentie naufragée ? ironisa Kevin.
- Pour s'échapper d’ici ? Seulement à bord d’un bateau sans aucun doute ! rigola Wen.
- Ou en lançant un appel à l’aide, grâce à un télégraphe. J’ai trouvé l’antenne qui va avec le nôtre ! Regardez vers cette plage là-bas, c’est une belle antenne, cria Bae en pointant la structure, plus bas sur le versant Est du volcan.
L’antenne en question devait se trouver à environ cinq kilomètres d’eux, mais la mission du jour avait été suffisamment éprouvante pour ne pas se lancer dans une nouvelle expédition pour atteindre l’antenne.
- Si vous êtes d’accord, je vous propose de rentrer à la plage avec des conserves, de l’eau et la grande trousse de secours. L’antenne attendra ! annonça Kevin sans trouver des réticences en retour.
Kevin remplit son sac avec des conserves, Bae prit deux grands bidons d’eau et Wen enfila la grosse trousse portable sur son dos. Sans délai, l’équipe se remit à marcher vers la plage afin d’y apporter la nourriture et l’eau le plus vite possible pour Stacey.
Wen reprit la marche de retour à un rythme encore plus soutenu qu’à la montée. Le sens du dénivelé à la descente leur facilitait la tâche et leur précieux butin calmait les esprits malgré la fatigue.
Pendant que Bae et Kevin luttaient pour se frayer un chemin au milieu de la végétation, Wen les devançait d’une bonne trentaine de mètres. Alors qu’ils avaient dû faire la moitié de la route, les hommes entendirent Wen crier. Ils se précipitèrent pour franchir la distance qui les séparait, et retrouvèrent le sac de provisions médicales accroché à une branche presque au bord d’un profond ravin.
- Wen !? cria Bae désespéré et sans aucune visibilité vers le bas de la pente.
- Je vais bien ! Rien de cassé, plus de peur que de mal, répondit Wen d’une voix un peu étouffée.
- On vient te chercher, ne bouge pas, répondit Kevin en cherchant à s’effrayer un chemin pour la descente.
- Hors de question ! Impossible de remonter d’ici et pour vous la descente sera trop dangereuse.
- On ne va pas te laisser ici ! lui répondit Bae.
- Nous ne sommes pas très loin de la plage, faites la marche par le haut et je trouverai le chemin depuis ce point bas. J’arriverai sans doute avant vous, affirma Wen.
- T’as besoin de quelque chose ? Tu es blessée ? interrogea Kevin.
- Rien du tout, je suis intacte ! Hop, hop, hop, on avance, je suis déjà en route.
Kevin prit le sac médical avec lui et le groupe reprit sa marche comme commandé par Wen.
*
Sur la plage, Mark, Stacey et Maombi marchaient dans les environs depuis environ une heure, pour trouver des arbres fruitiers ou quelque chose à se mettre sous la dent. Les noix de coco étaient bien trop hautes et après quelques essais pour escalader un petit cocotier, Mark abandonna, les troncs étaient encore beaucoup trop glissants pour l’exercice.
Stacey marchait non sans difficulté et la lumière du jour était trop agressive pour les yeux de Maombi. Depuis quelques minutes elle avait annoncé une migraine qui montait en puissance, forçant le groupe à revenir à la vieille cabane.
Maombi ne pouvait pas s'empêcher de se frotter la nuque avec insistance, et Stacey qui marchait à la traîne quelques pas derrière elle, observa que le mannequin avait à la base de son crâne une petite cicatrice, fruit d’une incision chirurgicale. Cela frappa Stacey car elle avait la même.
Un flashback défila devant ses yeux pour la ramener jusqu’en 2012, année de sa chirurgie. Stacey resta tétanisée, en silence, essayant de digérer ses souvenirs. La coïncidence ne pouvait pas en être une, elle connaissait Maombi depuis cette époque, alors qu’elles étaient gamines et qu’elles avaient côtoyé Kevin Letailleur.
***
Avril 2012, Royal Infirmary d’Edimbourg.
Un jeune Ian Muirhead se promenait dans les couloirs du centre de recherches neurologiques du grand hôpital écossais. Il venait de finir sa spécialisation en nanotechnologies appliquées aux maladies neurologiques.
Avec fierté il accéda dans l’unité des soins post-opératoires dans laquelle la petite Stacey se trouvait. Sa chirurgie par neuroendoscopie s’était déroulée sans accroche et le réveil s’annonçait proche.
Kevin Letailleur avait participé à l’opération, avec un fort intérêt pour le traitement innovant que son ami développait grâce à ses recherches.
Les deux hommes se retrouvèrent dans la pièce où Stacey dormait encore.
- Quel est ton pronostic, mon ami ? demanda Ian.
- Tout s’est très bien passé, le chirurgien en chef m’a dit que la petite pourra rentrer chez elle dans peu de temps, répondit Kevin. Quand penses-tu qu’elle pourra entendre ses premiers mots ? J’ai hâte d’échanger avec elle autrement qu’en langues de signes.
- Si elle répond aussi bien que le premier cas, elle devrait pouvoir entendre d’ici quelques semaines. Mais tu sais que les deux premiers essais n’étaient pas similaires. La réponse au traitement varie en fonction des zones affectées du cerveau, chacune réagissant à son rythme. Pour l’adolescente Congolaise cela traîne en longueur et elle n’a toujours pas retrouvé la vue.
- Mais la jeune fille Brésilienne ? Pour elle c’est un grand succès, n’est-ce pas ? Elle parle maintenant à une vitesse étonnante, comme si elle n’avait jamais perdu la voix.
- C’est exact, on verra par la suite, assena Ian.
- Par ailleurs, pour la petite Stacey Brookhart, Feñch t’a dit comment il a réussi à obtenir le consentement de sa mère ? Ou simplement comment il l’a trouvé ?
- Une vieille connaissance de jeunesse en Nouvelle Zélande, tu sais qu’il est toujours très mystérieux. L’important est d’avoir trouvé un cas pour tester la technique pour des personnes muettes. Nous n’arrivions pas à en trouver depuis des mois.
- Oui. Pour des recherches de ce genre, c’est toujours plus facile de trouver des candidats dans un bidonville Congolais ou Brésilien, ou chez de fillettes fortement atteintes d’une maladie neuronale dégénérative !
- Ne sois pas si pessimiste. Miranda n’est pas malade à ce point. Et tu sais que nous continuerons à travailler ensemble jusqu’à ce que le traitement par nano puces soit utilisable pour sa maladie.
*
Trois semaines plus tard, Glodi promenait Maombi dans les jardins de l’hôpital, par une journée ensoleillée du milieu de printemps, fait surprenant pour le climat de la région à cette époque de l’année. Ian, Kevin et Feñch se promenaient aussi à leur côté avec Stacey et sa mère Rhonda Brookhart.
- Madame Brookhart, je suis certain que Stacey pourra entendre d’un moment à l’autre ! Les docteurs Letailleur et Muirhead sont très confiants après les premières analyses d’imagerie cérébrale, annonça Feñch.
- En effet ! Nous notons des réponses positives dans sa zone cérébrale de l’écoute, les effets arriveront très vite, confirma Ian.
- Vous avez eu de la chance d’intégrer ce programme grâce à mon beau-frère Feñch. C’est une chance pour la science tout simplement !
- Monsieur Caradec est un ange tombé du ciel, s’exalta Rhonda Brookhart, depuis que nous l’avons connu, tellement de bonnes choses se sont passées pour Stacey. Mon défunt mari nous a quittés pile après notre installation en Ecosse depuis la Nouvelle Zélande. Stacey était encore un bébé ! Même avec son handicap, elle a toujours été la fille la plus parfaite du monde. Je suis sûre que notre nouvelle vie en Californie démarrera de la meilleure des façons, dès que nous pourrons partir.
- Elle pourra écouter très bientôt toutes vos belles paroles, madame, dit Kevin. Regardez par contre cet homme là-bas. La réussite du traitement de sa fille n’est pas la même que pour Stacey. Déjà quatre mois et pas vraiment de réponse. Elle ne récupère toujours pas la vue.
- Je suis sûr que ça ne va pas tarder ! continua Feñch, essayant d’optimiser. La jeune Brésilienne Flavia est retournée à Rio de Janeiro et elle parle comme un perroquet tropical aujourd’hui !
- Glodi restera ici le temps qu’il faudra avec sa fille Maombi. Il donnerait sa vie pour elle et pour la voir soignée. On a parlé avec lui d’une nouvelle chirurgie pour essayer un nouvel implant s’il le faut.
Maombi était assise avec Glodi sur un banc qui offrait une vue magnifique sur la mer du Nord. Ils discutaient de la pluie et du beau temps, les journées paraissant interminables pour l’adolescente. Soudain, celle-ci se mit à crier...
- Papa, j’ai mal aux yeux !
- Comment ça, ma fille ? On n’a pas touché à tes yeux durant l’opération !
- Il y a trop de lumière, dit-elle en couvrant ses yeux avec les mains.
Glodi aperçut les médecins qui marchaient dans le jardin et courut dans leur direction pour leur annoncer la nouvelle.
- Docteurs ! Maombi dit que la lumière lui fait mal aux yeux ! annonça Glodi en sautant comme une puce.
- Je savais que cela finirait par arriver Glodi ! On va regarder ça immédiatement, annonça Ian.
Un grand sourire complice s’installa entre Stacey et sa mère adoptive. La fille était encore sourde mais pas aveugle, et elle avait suivi sur les lèvres, depuis le début avec attention, toutes les conversations des membres du groupe.
***
“... Elle a dû faire toutes les guerres
Pour être si forte aujourd'hui
Elle a dû faire toutes les guerres
De la vie
Et l'amour aussi …”
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