4 : Errance
Les Baumettes, Marseille, le vendredi 8 mars 1974
J’aurais aimé vivre ma première fois avec toi. Une première fois que j’ai fantasmée romantique, glamour. Elle n’a rien été de tout ça, parce que je l’ai vécue sans toi.
A dix-sept ans, j’étais timide, je n’osais pas aborder les filles. Je m’étais fait embaucher sur le port, j’étais docker, je gagnais un peu d’oseille… Le soir, je traînais dans les bars de la cité phocéenne, du côté de la Canebière. Après, j’errais rue Curiol, là où tapinaient des catins. Je les reluquais avec envie bien sûr, comme un ado qui n’a jamais couché. Et puis, j’ai franchi le pas avec l’une d’elles. Ce fut étrange, pas désagréable mais étrange. Très éloigné de ce que je m’étais imaginé jusqu’alors. Mais j’y avais pris goût, et j’y revenais périodiquement.
Dans les heures qui ont suivi mon abominable crime, je repris mon rituel nocturne. Pour essayer d’oublier, de t’oublier. Oublier que je venais de te tuer…
J’avais mes habitudes, rue Curiol, et j’y étais plutôt fidèle. Mais ce soir-là, Maddy n’était pas disponible, alors j’ai poursuivi mon chemin.
— Je fais tout, mon chéri, on monte quand tu veux, dix sacs la passe et t’en auras pour ton argent !
Elle avait peut-être la quarantaine et sans doute pas mal d’heures de vol au compteur, mais elle était bien foutue quand même, et me fila instantanément la gaule avec son tour de poitrine et ses jambes interminables. Un shoot de baise pour s’exploser le ciboulot et ne plus penser. Je me suis donc laissé entraîner dans l’immeuble voisin, les couloirs et l’escalier miteux. La chambrette était tout aussi vétuste mais peu m’importait, la lumière tamisée ferait illusion. Et puis comme ça, dans la pénombre, je pourrais m’imaginer… Être avec toi. Ce n’était pas elle que je voyais pendant que je la besognais, mais toi, Salomé, toi… Toi qui te débattais, toi qui hurlais sous mon joug. Il fallait que je te fasse taire dans ma tête, tu comprends, que j’étouffe tes cris, alors j’ai enserré son cou en me figurant que c’était le tien. Le tien…
***
— A la question « L’accusé a-t-il assassiné Elvira Cabello ? », il a été répondu oui…
***
J’ai tué par deux fois ce jour-là, Salomé. Deux fois… Oui, je suis un assassin, et ils me condamneront pour ça.
Était-ce écrit dès le début, cela devait-il finir comme ça dès notre première rencontre, sur la plage de Cap Falcon ? Où est-ce l’enchaînement de certains éléments qui a infléchi le cours de notre destin ?
Il y a eu l’été 58, sur cette plage ; et il y a eu tout le reste…
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