9 : Révélations

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Palais de Justice
place de Verdun
Aix-en-Provence (13)
fin octobre 1973

Ils veulent tout savoir, le comment, le pourquoi. Des journalistes en goguette avides de scoop, et cette cour d’assises qui, de toute manière, ne peut pas comprendre tout cet amour qui me liait, me lie encore à toi.

Je me souviens de l’avant, de l’après, mais pas de ce pour quoi ils m’auditionnent, me jugent. Il ne subsiste de nous, de cet après-midi-là, de l’amour et de la violence de notre rapport de force charnel, que des flashs qui crépitent encore en moi, toutes les nuits.

— Le rapport du médecin légiste est limpide : il y a eu viol manifeste. Si l’on en croit la présence d’ecchymoses qui subsistaient encore sur le dos de l’accusé lors de son interpellation quatre jours après les faits, la victime se serait farouchement défendue. Mais face à l’imposante stature de son agresseur, Salomé Dellière n’avait hélas aucune chance d’en réchapper. Sa robe déchirée, les marques de strangulation marbrant son cou, le traumatisme crânien provoqué par un choc à l’arrière de la tête... Tout ceci témoigne de l’extrême brutalité dont a fait preuve l’accusé à son égard ce jour-là. Et s’il a rapidement avoué ce premier meurtre dès les premières heures de sa garde à vue à la gendarmerie de Cassis, s’il a réitéré ses aveux dans le bureau du juge d’instruction, la reconstitution des faits n’a pas permis de définir de façon précise leurs enchaînement et motivations, Maxime Duval ayant refusé de coopérer avec la justice afin que toute la lumière soit faite sur cette dramatique affaire. Mais à présent, l’heure n’est plus aux tergiversations, Duval ; il est grand temps de vous mettre à table, de vous expliquer. D’expliquer les raisons pour lesquelles vous avez sciemment violé et tué Salomé Dellière, votre amie d’enfance. Oui, la partie civile a le droit de savoir, elle en a besoin pour pouvoir faire son deuil. Pourquoi avoir soustrait à la vie une si jeune mère de famille, une femme qui portait à nouveau la vie en elle ? Car oui, Mesdames et Messieurs les jurés, Salomé Dellière, déjà maman d’une petite Manon, était enceinte de quelques semaines au moment des faits !

L’assistance s’en émeut, tu t’en doutes, et c’est un choc pour moi. Personne ne me l’a jamais dit au cours de mes nombreuses auditions. Mon avocate commise d’office en est muselée, terrassée. Et moi, je crois bon d’intervenir pour clamer mon ignorance à ce sujet.

Enceinte… Comment aurais-je pu le deviner ? Ton corps n’en portait aucun stigmate ; aucune excroissance n’altérait la perfection de ton ventre, ta silhouette de sylphide… Et toi, toi, est-ce que tu le savais ? Et ce mystérieux rendez-vous alors, c’était pour ça ? Une échographie ou pire, un rencard amoureux avec le géniteur ? Non, rien de tout ça : tu avais rendez-vous avec un prêteur sur gage.

***

Domaine de Saint-Pierre
Martigues (13)
mi-mars 1972

— Écoute, ma chérie, il n’est absolument pas question que je vende une partie des terres situées au Nord de Saint-Pierre, pas plus qu’il n’est question de me séparer du mobilier rescapé de l’incendie d’Aïn El Turk. Que ce soit la salle à manger, la bibliothèque ou le secrétaire Empire de ta mère, ils me sont trop précieux, trop chers à mon coeur, tu comprends ? Et puis, quand je ne serai plus là, tous ces biens seront tiens ; ils seront aussi l’héritage de Manon… Je ne veux ni le brader ni le morceler pour le réduire à une peau de chagrin !
— Mais enfin, papa, tu ne peux pas continuer à t’occuper du Domaine tout seul !
— Je ne suis pas seul : il y a André et Ray pour les vignes, toi pour la compta…
— Ça ne suffit pas, papa, et tu le sais très bien. Il faudrait embaucher pour venir à bout de tout ce qu’il y a à faire. Mais on n’a pas assez de liquidités pour ça, et les banques refuseront de nous prêter…

***

Ton père ne voulait rien savoir, alors tu as organisé seule ce rendez-vous pour mettre en gage à son insu le collier diamants-or blanc de ta mère. Dire que ce collier était rangé dans un écrin, au fin fond de ton sac à main, et que je l’ai balancé à la mer !

C’est ton amie Réjane qui nous déballe tout ça, en tant que témoin de la partie civile. Elle insiste sur l’importance que tu accordais à ce rendez-vous, et le procureur général sur le fait que tes effets personnels n’aient jamais été retrouvés, ni sur le lieu du crime ni dans ta bagnole. Mais ce n’est pas ce qui retient le plus mon attention à ce moment-là, non. C’est plutôt le fait qu’elle évoque brièvement un amant de fraîche date, le potentiel géniteur du môme qui ne naîtra jamais de vos ébats. Elle ne sait presque rien de lui, mis à part qu’il serait marié et exploitant agricole à Aubagne. Aubagne... En entendant le nom de cette commune, mon sang ne fait qu’un tour. Ce n’est pas possible, ça ne peut pas être lui ! Ça ne peut pas être…

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